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Attentat de Nice : pourquoi l'expression "radicalisation express" pose problème

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a évoqué la possibilité d'une "radicalisation rapide" de l'auteur de l'attentat de Nice, mais les experts mettent en doute cette version.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Une reproduction de la carte de séjour de l'auteur de l'attentat de Nice, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, diffusée le 15 juillet 2016. (POLICE NATIONALE / AFP)

Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l'auteur de l'attentat meurtrier de Nice, n'était pas connu des services de renseignements. "Il semble qu'il se soit radicalisé très rapidement", a estimé le 16 juillet le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, en évoquant "un attentat d'un type nouveau". Le phénomène de "radicalisation express" est depuis utilisé pour décrire le parcours de ce petit délinquant venu de Tunisie, mais francetv info vous explique pourquoi cette expression pose problème.

La radicalisation reste un long processus

La notion de "radicalisation express", déjà utilisée pour Salah Abdeslam, est plus que contestée par les spécialistes du jihadisme. "C'est n'importe quoi, la radicalisation est un long processus", explique ainsi à francetv info Patrick Amoyel, président de l'association Entr'autres de Nice, qui cherche à comprendre les ressorts de la radicalisation. Selon le psychanalyste, il existe une confusion entre la radicalisation qui prend des mois ou des années, et le passage à l'acte, qui peut être beaucoup plus rapide.

Avant le passage à l'acte, il y a l'entrée dans une mentalité avec le développement d'une "idéologie de jihad de conquête, de revanche sur l'Occident avec du complotisme, un discours anti français…", ajoute Patrick Amoyel. Une fois ce chemin idéologique emprunté, il peut se produire un basculement vers "l'être terroriste et l'acte terroriste", détaille ce spécialiste de la radicalisation jihadiste. Autrement dit, il est faux de penser qu'un individu peut passer de la normalité à l'acte terroriste en trois semaines, comme pouvait suggérer les divers portraits de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Ce dernier aurait d'ailleurs montré une vidéo de décapitation d'otage à une connaissance, il y a sept-huit mois.

En revanche, la radicalisation peut prendre plus ou moins de temps, admet Patrick Amoyel : "Le schéma long passe par la radicalité identitaire, cultuelle, religieuse puis politico-religieuse. Dans le schéma court, choisi par Bouhlel, on va directement de l'identitaire au politico-religieux." Comme l'a détaillé le procureur de la République de Paris François Molins, l'auteur de l'attentat buvait de l'alcool, fumait et avait "une vie sexuelle débridée". Le contenu de son ordinateur montre aussi "un intérêt récent pour la mouvance jihadiste"

Un projet terroriste élaboré rapidement

La confusion peut venir du fait que la préparation de l'attentat semble s'être déroulée plus rapidement que dans les autres cas d'attentat. "Si la radicalisation est un long processus, l'arrivée d'une mentalité terroriste peut prendre quelques semaines et l'idée d'un passage à l'acte quelques jours", précise Patrick Amoyel. 

Selon les premiers éléments de l'enquête, l'homme aurait effectivement basculé dans son projet terroriste en quelques semaines, "ce qui semble assez rapide", selon Patrick Amoyel. Pour le psychanalyste, le passage à l'acte se justifie par le choix de mourir en martyr, "ça peut se jouer en une journée avec un rêve prémonitoire par exemple"

Sa délinquance, sa violence, sa démence, ont pu jouer en lui donnant la certitude qu'il allait droit en enfer et que le martyr était sa seule porte de sortie.

Patrick Moyel

Francetv info

Le caractère violent n'explique pas tout

Pour expliquer la rapidité du passage à l'acte, Bernard Cazeneuve a évoqué le caractère de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, décrit comme violent et fragile psychologiquement. "On ne peut pas exclure qu'un individu déséquilibré et très violent, et il semble que sa psychologie témoigne de ces traits de caractère, ait été à un moment, dans une radicalisation rapide, engagé dans ce crime absolument épouvantable", a détaillé sur RTL le ministre de l'Intérieur.

Mais ces éléments ne fournissent pas une explication suffisante. "Avoir un potentiel de violence, cela ne suffit pas", affirme Patrick Amoyel, "il y a environ 10 millions d'individus potentiellement violents en France, et ils ne deviennent pas tous terroristes."  De même, il ne faut pas s'arrêter à la fragilité psychologique de l'auteur de l'attentat. Il a fait des repérages, loué son véhicule à l'avance et choisi le soir du 14-Juillet, jour de la fête nationale, "il sait donc très bien ce qu'il fait, ce n'est pas un loup solitaire et ce n'est pas une bouffée délirante", estime Patrick Amoyel.

Une confusion pouvant en entraîner une autre, Patrick Amoyel rappelle que tous les individus radicalisés ne sombrent pas dans le terrorisme : "Un gars qui se radicalise cultuellement n'est pas pour autant dangereux. (…) On estime environ à 40 000 le nombre de radicalisés. Donc si tous les radicalisés étaient terroristes, on serait déjà tous morts", indique Patrick Amoyel. La difficulté pour les services de renseignement demeure de repérer les personnes qui sont sur le point de basculer. Mohamed Lahouaiej Bouhlel, par exemple, n'était pas rentré dans les radars de la police.

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