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Comprendre l'octuple infanticide, le casse-tête du procès de Dominique Cottrez

Les experts psychiatres et psychologues ont défilé à la barre, lundi 29 et mardi 30 juin, pour tenter d'expliquer comment cette femme de 51 ans a pu tuer huit de ses enfants à la naissance.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Dominique Cottrez assise (à droite), au premier jour de son procès, le 25 juin 2015 à Douai (Nord). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

"Juger, c'est comprendre." L'avocat général et les parties civiles l'avaient dit avant l'ouverture du procès de Dominique Cottrez. La défense, par la voix de Me Frank Berton, l'a répété à l'audience mardi 30 juin. La cour d'assises du Nord, menée avec tact et justesse par la présidente Anne Segond, cherche depuis le début de l'audience une explication à l'inexplicable. Comment cette femme de 51 ans, ex-aide-soignante, a-t-elle pu étrangler huit de ses bébés à la naissance, des actes d'une ampleur inédite en France ?

La cour bute sur ce mystère, épaissi par le coup de théâtre de la veille. Pour sa défense, l'accusée expliquait avoir tué ses bébés parce qu'elle craignait qu'ils ne soient de son propre père. Lundi, au cœur de l'après-midi, Dominique Cottrez a avoué ne jamais avoir été violée par son père, ni même avoir noué de relation incestueuse avec lui. Depuis, la cour est suspendue aux paroles des experts qui se succèdent à la barre.

"Une origine traumatique dès l'enfance"

"On n'a pas besoin d'inceste pour comprendre", estime le docteur Roland Coutanceau, expert psychiatre, mardi en fin de matinée. La présidente Anne Segond lui laisse le privilège d'échanger avec Dominique Cottrez sur ses "aveux" d'affabulation.

"On a mis en avant l'inceste. Est-ce que c'est parce que c'est plus facile d'expliquer les actes comme ça ? Ou c'est parce que d'une certaine manière, en public, vous ne voulez pas salir votre père ?

- C'est pour Virginie… Je ne veux pas quitter l'audience sans dire la vérité à Virginie [la seconde fille de l'accusée].

- Donc, face au poids de l'accusation, vous avez menti ?

- Oui, j'ai menti."

Malgré tout, le docteur Michel Dubec, psychiatre agréé à la Cour de cassation, s'accroche à la thèse de l'inceste. "Je maintiens que cliniquement, il y a eu un inceste de l'enfance. Madame Cottrez a des vérités successives. Ce n'est pas être mythomane", assure-t-il. Selon lui, il faut rechercher chez elle "une origine traumatique dès l'enfance".

"Même si l'inceste n'a pas existé, l'analyse de la personnalité reste la même. Elle est peu construite depuis son enfance. Il y a eu très certainement une carence précoce", estime également l'expert psychologue Yves Delannoy. Il voit en l'inceste "un éclairage" pour comprendre Dominique Cottrez. Néanmoins, il reconnaît que la thèse de l'inceste "avait l'avantage de donner des pistes rationnelles à quelque chose qui par ailleurs ne l'est pas".

Les mères infanticides, des "autruches"

Ce "quelque chose", c'est le cœur de l'accusation : le fait de donner naissance, puis, aussitôt, de tuer. Sur ce point, les experts se montrent plus prolixes. Pour la psychologue Katy Lorenzo-Regreny, l'assassinat est peut-être la traduction d'une issue non désirée de la grossesse. "L'enfant, toujours être enceinte, ça pourrait être pour elle la complétude, être entière." Michel Dubec invite à regarder l'acte sous un autre angle : "Ce n'est pas qu'une femme infanticide ne donne pas la mort. En fait, elle ne donne pas la vie." 

"Elle vit une grossesse sans l'investir. L'enfant grossit physiologiquement. Mais il n'est pas investi comme un enfant à naître. (...) C'est une boule qui grossit, un magma", analyse de son côté Roland Coutanceau. Pour parler des mères infanticides, l'expert psychiatre les compare à des autruches. On a l'image de ces animaux qui, apeurés, restent figés debout et la tête dans le sable au lieu de s'enfuir. "Elles sont capables de savoir un jour qu'elles sont enceintes avant de l'oublier le lendemain. Ce sont des femmes très introverties, avec une grande passivité."

"Après toute cette passivité pendant la grossesse, il y a quand même ce sursaut terrible de violence, elle étrangle le bébé... C'est ce temps-là qui nous occupe aujourd'hui", réagit la présidente. "La force de la peur de l'autre – 'que penseraient-ils de moi ?' – est plus forte que l'amour pour un enfant, répond Roland Coutanceau. Elles se disent : 'Je ne peux pas l'assumer pour les autres'. C'est le petit déclic."

Dominique Cottrez sort de sa prostration pour lever les yeux vers lui et le regarder avec attention. Ce "déclic", elle l'a eu huit fois entre 1989 et 2007. Pour l'expert psychiatre, peu importe. Il n'y a rien à comprendre de cette répétition. "Les femmes qui font des séries [d'infanticides] ne sont pas plus problématiques que les autres. Si ce n'est pas dévoilé, le même mécanisme peut se reproduire. C'est lié à la fragilité. Cela se répète parce que cela reste dans le silence." Pour autant, Roland Coutanceau ne peut conclure à une altération du discernement de Dominique Cottrez au moment des faits, qui permettrait, selon le Code pénal, une minoration de la peine encourue.

"Plus on cherche à rationaliser, plus on s'éloigne"

Ce n'est pas le cas de Michel Dubec, qui parle bien d'altération du discernement chez Dominique Cottrez. "C'est très rare que les experts la retiennent, remarque l'avocat Frank Berton. Pourquoi vous la lui accordez ?" "Face à cette femme, il faut faire attention à ne pas manquer d'humanité", répond le psychiatre. 

"On n'a pas besoin du discernement pour la juger avec compassion et intelligence", affirme le lendemain Roland Coutanceau, comme en écho aux propos de son confrère. Il propose une solution à la cour : "Si j'avais à juger cette femme, je me demanderais : 'est-ce qu'elle le mérite ?' ou 'est-ce que j'ai de la compassion pour elle, malgré ce qu'elle a fait' ?" 

"Plus on cherche à rationaliser, plus on s'éloigne, insiste de son côté Yves Delannoy. Ses actes, ses gestes n'ont pas été commis dans une rationalité, dans un but. C'était dans un moment d'angoisse intense, surtout lors du premier meurtre." Avant de quitter la salle d'audience engourdie par la chaleur en fin d'après-midi, il formule un vœu : "J'espère, à travers ces débats, avoir fait passer cette notion : 'on ne peut pas tout comprendre'." Impossible de se mettre dans la tête de Dominique Cottrez, même pour la juger. La seule à pouvoir le faire, c'est l'accusée elle-même. "On va essayer de comprendre ensemble ce qui s'est passé", a-t-elle promis pour la première fois mardi.

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