Policiers suspendus pour "soupçon avéré" de racisme : pourquoi cette consigne donnée par Christophe Castaner a semé le trouble
Accusé par la droite et l'extrême droite de créer une "présomption de culpabilité" contre les policiers et les gendarmes, le ministre de l'Intérieur a promis, mardi, qu'aucune suspension ne serait prononcée sans enquête.
Tout est parti d'une phrase. Christophe Castaner a annoncé, lundi 8 juin, avoir demandé aux directeurs de la police et de la gendarmerie "qu'une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d'acte ou de propos raciste" de la part d'un policier ou d'un gendarme.
Le ministre de l'Intérieur a ainsi plaidé pour une "tolérance zéro" au sein de ses services, régulièrement mis en cause dans des affaires de racisme et de violences policières.
"Un soupçon ne peut pas être avéré"
L'expression "soupçon avéré" n'a pas manqué de faire réagir. "Un soupçon, il ne peut pas être avéré, s'est étouffé Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police CFDT, sur BFMTV. On ne peut pas décider de manière arbitraire que, si on soupçonne un policier de tenir des propos racistes, il va être suspendu. S'il y a suspension sans preuve, j'appelle mes collègues à déposer plainte contre le ministère pour décision arbitraire. Ce n'est pas acceptable d'entendre ce genre de choses."
La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a dénoncé une "ère du soupçon et de la présomption de culpabilité pour nos forces de l'ordre". Le chef de file des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, s'est lui aussi inquiété d'une "présomption de culpabilité".
En inventant le concept de « soupçon avéré de racisme », Christophe Castaner crée de fait une présomption de culpabilité pour les policiers. C’est une lâcheté sémantique et politique de la part du ministre de l’Interieur, qui devrait défendre ses troupes !
— Bruno Retailleau (@BrunoRetailleau) June 8, 2020
Christophe Castaner "assume"… mais précise
Assumant une expression "volontairement choisie", Christophe Castaner a assuré, mardi matin, sur BFMTV, que cette "procédure de suspension automatique" découlerait d'une enquête préalable. "Chaque fois qu'on a des soupçons, on fait une enquête, et si l'enquête s'avère positive, à ce moment-là c'est avéré et on engage une procédure", a-t-il expliqué.
J'ai signé, vendredi, une circulaire pour que nous puissions engager systématiquement, quand les faits sont avérés, une procédure administrative avec suspension si les faits sont racistes, antisémites ou homophobes.
Christophe Castanerà BFMTV
Le ministre a affirmé vouloir ainsi "généraliser" la procédure appliquée, en avril, à la suite de la révélation de propos racistes de policiers en marge d'une interpellation à L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Vidéo à l'appui, une procédure de suspension avait alors été engagée à la demande du ministre.
Interrogé sur les propos racistes tenus par des policiers de Rouen sur un groupe WhatsApp, Christophe Castaner a reconnu avoir simplement demandé, en janvier, "que l'on lance la procédure administrative" de sanction. "Je regrette de ne pas avoir expressément demandé la suspension immédiate", a-t-il ajouté.
"Un effet d'annonce"
Contacté par franceinfo, mardi, le ministère de l'Intérieur confirme que la suspension des policiers sera bien automatique en cas de fait avéré, et non simplement "envisagée" comme l'avait affirmé Christophe Castaner lundi. A partir des soupçons, l'enquête initiale devra inclure "des enregistrements ou des témoignages concordants" pour pouvoir donner lieu à une suspension.
Pour Olivier Cahn, directeur adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, il s'agit là d'un "effet d'annonce" plus que d'une "mesure concrète". "La hiérarchie peut déjà prendre des mesures conservatoires, notamment la suspension, qui permet de sortir l'agent de l'activité, avec ou sans maintien de salaire, rappelle-t-il à franceinfo. L'enquête peut ensuite conduire à une sanction disciplinaire, si on veut laver le linge sale en famille, ou à un signalement au procureur en vue de poursuites pénales. Le ministre a surtout fait une piqûre de rappel salutaire."
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