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Meurtre d'Angélique : le procureur de la République a-t-il donné trop de détails lors de sa conférence de presse ?

Lundi, Thierry Pocquet du Haut-Jussé a livré un récit glaçant de la séquestration, le viol et l'étranglement subis par Angélique, 13 ans. Avec un niveau de détails qui a choqué de nombreuses personnes.

Article rédigé par Vincent Daniel, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Thierry Pocquet du Haut-Jussé donne une conférence de presse au tribunal de grande instance de Lille (Nord), le 30 avril 2018.  (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Des détails "atroces", "sordides", "glauques"... Le procureur de la République de Lille a livré, lundi 30 avril, un récit glaçant du meurtre d'Angélique, 13 ans, dont le corps a été retrouvé dimanche à Quesnoy-sur-Deûle (Nord). Lors de sa conférence de presse, Thierry Pocquet du Haut-Jussé a rapporté les aveux du suspect, David Ramault, 45ans, de façon parfois crue et détaillée.

Il dit qu'il a eu envie d'elle et de la ramener chez lui. Il dit : 'C'était plus fort que moi, j'étais comme dans un état second'.

Thierry Pocquet du Haut-Jussé

en conférence de presse

Et le magistrat a décrit le quart d'heure de supplices vécu par la jeune Angélique au domicile. Le suspect la maintient de force, la déshabille, l'emmène dans les toilettes et s'y enferme à clé avec elle. "Comme elle tente de se débattre, il lui donne une gifle, puis va lui imposer une fellation et des pénétrations digitales", a raconté Thierry Pocquet du Haut-Jussé. "Ensuite il prend le pantalon de la jeune fille, qu'il passe autour de son cou, et l'étrangle. Il indique que lorsqu'elle a commencé à se débattre, il a compris qu'il fallait qu'il la tue."

Des propos qui ont horrifié les réseaux sociaux

Lundi soir, l'avocat de David Ramault, Eric Demey, a regretté auprès de l'AFP que "l'émotion [ait] gagné la communication du parquet". "L'ensemble et les détails de la déposition n'avaient pas à être jetés en pâture si vite", a estimé l'avocat.

Le meurtre d'une fillette de 13 ans est suffisamment grave pour ne pas verser dans les détails sordides.

Eric Demey

à l'AFP

Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont également dénoncé un récit "trop détaillé""sordide", "ajoutant de l'horreur à l'horreur". De son côté, Ségolène Royal s'est interrogée sur son compte Twitter : "On pense à l'effroyable douleur de la famille, au traumatisme terrible sur les enfants camarades de classe, en donnant tous ces détails atroces au public ?"

"C'est assez rare de donner autant de détails"

"C'est vrai que ce n'est pas habituel", reconnaît Homayra Sellier, présidente de l'association Innocence en danger, contactée par franceinfo. "Surprise" par le récit du procureur de la République de Lille, elle estime aussi que le magistrat, "de bonne foi, a pu vouloir être transparent". Mais Homayra Sellier s'interroge : "Il y a des dossiers où rien ne sort, d'autres où les détails de l'enquête sont révélés alors qu'il n'y a pas d'utilité pour le public. Quel intérêt y a-t-il à savoir que la jeune fille a été étranglée avec le pantalon du suspect ?"

Autres questions soulevées par Isabelle Debré, présidente de l'association L'Enfant bleu : "La famille de la victime était-elle au courant ? Souhaitait-elle que ces détails soient dévoilés ?" Même étonnement pour Dominique Verdeilhan, chroniqueur judiciaire de France 2 : "C'est assez rare de donner autant de détails." 

Il y avait peut-être la volonté de la part du procureur de montrer la cruauté du crime. Il s'est quasiment exprimé comme si il était à l'audience.

Dominique Verdeilhan

à franceinfo

Si la démarche du magistrat n'était pas délibérée, le journaliste formule une autre hypothèse : "Peut-être n'a-t-il pas pris conscience que sa conférence de presse était retransmise en direct sur les chaînes d'infos." Si auparavant, les journalistes pouvaient exercer une sélection des propos tenus par les procureurs de la République, "désormais, leurs déclarations se retrouvent in extenso sur les chaînes d'info et donc sur le web", souligne Dominique Verdeilhan.

Des magistrats formés à la communication

Aujourd'hui, les futurs magistrats reçoivent d'ailleurs une formation en communication durant leur cursus à l'École nationale de la magistrature (ENM). "Dans l'affaire de la petite Angélique, la communication du procureur de la République était évidemment nécessaire", estime Frédéric Chevallier, procureur de la République de Blois (Cher) et animateur de formation en communication de l'ENM. Interrogé par franceinfo, le magistrat précise : "La question est de savoir quand il doit communiquer et pour dire quoi."

Et Frédéric Chevallier édicte trois principes que chaque procureur de la République doit avoir en tête au moment "le plus opportun" pour une prise de parole publique : "Le respect des nécessités de l'enquête, la présomption d'innocence et puis le respect des familles, celle de la victime mais également celle du mis en cause." Sans s'exprimer directement sur le cas de son confrère de Lille, le procureur de la République de Blois semble tout de même le corriger : "Le rôle du procureur, c'est aussi de rassurer [les familles et la population] ou dire comment les choses ont pu se passer, sans forcément en faire un récit détaillé."

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