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Meurtre de Lola : comment l'extrême droite tente de récupérer l'affaire à son compte

Alors qu'un rassemblement organisé en mémoire de l'adolescente a lieu jeudi à Paris, en présence notamment d'Eric Zemmour, franceinfo revient sur cinq jours de surenchère médiatique et politique. 

Article rédigé par Juliette Campion, Antoine Comte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Eric Zemmour lors de la présentation de sa candidature aux élections législatives, à Cogolin dans le Var, le 12 mai 2022. (ARIE BOTBOL / HANS LUCAS / AFP)

Loin du battage médiatique parisien, les parents de Lola se sont réfugiés depuis quelques jours à Fouquereuil (Pas-de-Calais), d'où ils sont originaires. "Ils ont coupé leur téléphone, ils ne regardent pas la télé. Ils ne veulent surtout pas de récupération politique", a fait savoir le maire de cette commune au Parisien (article abonnés). Trop tard. Depuis le week-end dernier, l'extrême droite et une petite partie de la droite s'agitent autour du meurtre de cette adolescente de 12 ans, symbole, selon eux, de l'échec de la politique d'Emmanuel Macron. La nationalité de la principale suspecte, Dahbia B., une Algérienne de 24 ans, interpellée pour défaut de titre de séjour en août, cristallise les tensions. 

>> Meurtre de Lola : la récupération politique de "l'extrême droite" est "sordide" et "d'une indécence totale", s'indigne SOS Racisme

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, n'a pas manqué, mardi, de fustiger "l'indécence des personnes qui transforment cette histoire en tract électoral". Mais qu'importe. Les figures de Reconquête !, le mouvement d'Eric Zemmour, et du Rassemblement national (RN) s'escriment à démontrer que l'affaire Lola n'est pas un simple fait divers mais un "fait de société à part entière". 

L'origine comme point d'attaque

La spirale politique s'est très vite enclenchée autour de ce meurtre particulièrement sordide. Samedi 15 octobre au matin, les médias révèlent qu'une collégienne a été tuée la veille dans le 19e arrondissement de Paris. Son corps a été retrouvé par un SDF vers 23 heures, recroquevillé dans une malle déposée dans la cour de son immeuble. Une vive émotion s'empare des réseaux sociaux. Plusieurs personnalités d'extrême droite expriment leur indignation. "Les salauds qui ont fait ça doivent pourrir en prison jusqu'à la fin de leurs jours !", tweete dès samedi matin l'une des figures montantes du RN, la députée et porte-parole du parti, Laure Lavalette.

Dans la matinée, quatre personnes sont interpellées à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), dont Dahbia B. Dimanche, Le Parisien (article abonnés) rapporte qu'ils sont tous nés en Algérie. Dès lors, le ton se durcit. De très nombreux députés RN montent au créneau, alors qu'on ne sait encore rien de l'implication de ces personnes. "L'enquête sur le meurtre atroce de Lola, 12 ans, s'oriente vers un crime gratuit, commis par un milieu de marginaux venus d'Algérie", avance notamment le président par intérim du RN, Jordan Bardella. "Regardez bien le visage de Lola, arrachée à ses parents et atrocement mutilée et égorgée par quatre Algériens", renchérit le député RN du Nord, Bruno Bilde.

Lundi après-midi, deux des quatre gardés à vue sont présentés à un juge d'instruction, en vue d'une mise en examen. Les autres ont été relâchés sans poursuites, précise le parquet de Paris. Ce qui n'empêche pas Alexis Jolly, député RN de l'Isère, d'en remettre une couche sur les réseaux sociaux : "Lola avait 12 ans, elle était française, blanche et chrétienne : quatre Algériens l'ont torturée, mutilée, égorgée et placée dans une valise."

"Les zemmouriens ont sauté sur l'occasion" 

Alors que l'affaire prend une tournure identitaire, le terme de "francocide" se répand sur la toile. Stéphane Ravier et Guillaume Peltier, tous deux membres de Reconquête !, l'emploient sous forme de hashtag, très largement repris. Ce néologisme raciste a été popularisé par Eric Zemmour. "Le meurtre, l'attaque au couteau d'un Français ou d'une Française par un émigré, n'est pas un fait divers (...) C'est un fait politique que j'appellerai désormais 'francocide'", a-t-il lancé début septembre lors de l'université d'été de son parti. L'ex-candidat à la présidentielle n'hésite pas à l'employer pour qualifier le meurtre de Lola sur Twitter : "Quand défendrons-nous nos enfants contre ces 'francocides' qui sont toujours commis par les mêmes, toujours au détriment des mêmes ?"

"Ce terme avait tourné sur les réseaux sociaux zemmouriens dès cet été déjà. Ils ont sauté sur l'occasion pour l'utiliser à nouveau et essayer de se refaire une santé en remobilisant leur base", analyse Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l'extrême droite. Dans le même temps, d'autres dénoncent "le silence du gouvernement", selon les termes de Sébastien Chenu, député RN du Nord, ou la commémoration, il y a un an, du massacre des Algériens le 17 octobre 1961. Jordan Bardella reprend, lui, un tweet d'Emmanuel Macron saluant le Ballon d'or de Karim Benzema.

Les OQTF remises sur le devant de la scène 

Lundi soir, BFMTV révèle que la principale suspecte faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis le mois d'août. De quoi remettre un bidon d'huile sur le feu. La colère éclate dès le lendemain à l'Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement. Marine Le Pen reproche à l'exécutif de vouloir "évacuer le sujet" en "criant à la récupération et en attaquant par cet argument éculé ceux qui s'en scandalisent".  Mais c'est de la droite que vient l'attaque la plus virulente. "Par le laxisme de votre politique d'immigration, cette enfant a été martyrisée, violée et tuée par une clandestine qui faisait pourtant l'objet d'une OQTF", lance Eric Pauget, député Les Républicains (LR) des Alpes-Maritimes, sous les applaudissements des bancs du RN et les huées de la gauche.

Plusieurs figures LR, en pleine course à la présidence du parti, semblent bien décidées à ne pas laisser ce sujet à l'extrême droite. "Lola a aussi été la victime du laisser-aller migratoire", déclare à Valeurs actuelles (article abonnés) Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR. "Ce laxisme migratoire criminel me révolte", renchérit sur Twitter le très droitier député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, l'un des favoris pour prendre la tête du parti.

Le sujet de l'OQTF avait déjà été remis sur le devant de la scène politique en mai dernier, avec la publication d'un rapport du Sénat sévère sur le droit des étrangers, devenu "illisible et incompréhensible". "Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français a atteint au premier semestre de l'année 2021 un niveau historiquement bas : 5,7 %", relevait notamment la mission parlementaire. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a reconnu mercredi que l'exécutif devait "faire mieux" sur les expulsions d'immigrés en situation irrégulière.

Le RN ne veut pas s'afficher avec "les fous furieux de Reconquête !"

La pression sur le gouvernement devrait se poursuivre jusque dans la rue. Un rassemblement est prévu jeudi 20 octobre à 19 heures dans le 14e arrondissement de Paris, en présence de plusieurs membres de Reconquête !. L'initiative est portée par l'Institut pour la justice (IPJ), un collectif qui se décrit comme une "association de victimes du laxisme judiciaire". Eric Zemmour sera présent, ainsi que d'autres figures de son mouvement comme Marion Maréchal, Nicolas Bay et Stanislas Rigault. Florian Philippot fera également le déplacement. Nicolas Dupont-Aignan, initialement annoncé, a finalement fait savoir jeudi qu'il ne serait pas présent. 

De son côté, le RN s'est montré très indécis. Alors qu'une "large délégation d'une vingtaine de députés" était annoncée mercredi matin, selon les informations de franceinfo, le parti s'est finalement rétracté dans l'après-midi, préférant organiser une minute de silence à 18h30, place du Palais-Bourbon. Officiellement, il s'agit de "respecter la douleur de la famille qui ne souhaite pas de marche blanche", a justifié le porte-parole du RN, Philippe Ballard. Officieusement, des cadres du parti confient à franceinfo ne pas vouloir "s'afficher avec les fous furieux de Reconquête !".

Dans le camp d'en face, on assume. "La famille [de Lola] ne semble pas avoir exprimé d'hostilité à notre encontre. On ne peut pas ne pas réagir face à tel drame", glisse un proche d'Eric Zemmour. Le parti du candidat déçu à la présidentielle a été jusqu'à faire l'acquisition des noms de domaines "manifpourlola.fr" et "justicepourlola.fr", comme l'a confirmé à franceinfo un membre du parti. "On ne va pas forcément les utiliser tout de suite, mais ils pourraient servir pour d'autres rassemblements, au nom de Reconquête !", précise-t-il.

Les médias identitaires vent debout 

En parallèle, une pétition a massivement été relayée par Samuel Lafont, responsable du numérique chez Reconquête !, via le site Damoclès, qu'il a lui-même fondé. Accompagnée du hashtag #ManifPourLola, la pétition a recueilli près de 40 000 signatures – soit autant de mails réutilisables par le parti pour chasser de potentielles recrues.

Au delà de Reconquête !, c'est toute une partie de la sphère identitaire qui se mobilise depuis quelques jours. Le collectif Nemesis, qui réunit des militantes d'extrême droite, est parvenu à faire largement circuler un visuel montrant le visage de Lola. Il a notamment été repris par Damien Rieu, qui l'utilise désormais en photo de profil.

De son côté, Valeurs Actuelles a choisi de mettre le visage de l'adolescente en une de son édition de jeudi, en titrant : "Le massacre des innocents". Le site de "réinformation" Boulevard Voltaire a, lui, posté une vidéo mettant en scène l'un de ses reporters, qui égrène dans le détail les supplices infligés à la jeune victime. Lui aussi appelle à se rendre à la manifestation de jeudi.

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