Cet article date de plus d'un an.

Un an avant la tuerie de la rue d'Enghien, le traitement "ubuesque" de l'attaque au sabre d'un camp de migrants par William M. dénoncé par des associations

Le principal suspect de la mort de trois Kurdes rue d'Enghien à Paris, vendredi, avait déjà attaqué un camp de migrants au parc de Bercy, en décembre 2021. Des membres d'associations présentes ce jour-là racontent.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Campement de migrants dans le parc de Bercy, dans le 12e arrondissement de Paris, en novembre 2021. (SERGE TENANI / HANS LUCAS VIA AFP)

"J'étais très en colère et je le suis toujours", explique mardi 27 décembre à franceinfo Cloé Chastel, cheffe de service de l'accueil de jour demandeurs d'asile et réfugiés pour l'association Aurore en 2021. Elle revient sur l'attaque de vendredi 23 décembre à Paris qui a fait trois morts parmi la communauté kurde. Il y a un an déjà, l'homme de 69 ans qui a été mis en détention provisoire lundi avait déjà attaqué un camp de migrants à Paris. Et selon Cloé Chastel, les motivations de cet homme étaient déjà claires l'agresseur "avait une idéologie raciste". "Il avait menacé de tuer des migrants et il l'avait exprimé clairement puisqu'en arrivant sur le camp, il avait crié 'mort aux migrants', d'après les témoins."

Cloé Chastel se pose des questions sur la libération de William M. le 12 décembre dernier après un an de détention provisoire, quelques jours avant l'attaque de la rue d'Enghien : "Cela interroge, on se dit que ça aurait pu être évité si l'affaire avait été traitée différemment."

>> Kurdes tués à Paris : dans le cortège de la marche blanche, on croit plus au "crime politique" qu'au "crime raciste"

Le 8 décembre 2021, William M. s'était rendu dans un campement de migrants situé parc de Bercy, dans le 12e arrondissement. Il était armé d'un sabre et s'en était pris aux tentes dans lesquelles dormaient les migrants. Il avait également blessé deux personnes avant d'être maîtrisé par les personnes qu'il agressait, puis interpellé par la police, en même temps que des migrants agressés par l'individu.

Le centre d'accueil de jour d'Aurore pour lequel Cloé Chastel travaillait se situe en face de ce campement. Ce 8 décembre, quand elle ouvre la structure à 9 heures, elle est immédiatement mise au courant de l'attaque via les témoignages des migrants. "Certains étaient en sang, ils étaient très, très choqués, ils ont commencé à nous montrer des vidéos de l'attaque au sabre. Ils étaient vraiment en état de choc."

Aujourd'hui, Cloé Chastel se pose des questions : "Je ne sais pas si ça aurait été la même chose si les victimes avaient été blanches et non pas étrangères." Elle estime que les victimes ont été traitées comme des coupables. "La police était arrivée sur les lieux juste après l'agression et avait embarqué l'agresseur et quatre des victimes en garde à vue. Il y avait quatre personnes qui avaient réussi à le blesser à la main avec une branche, et qui avaient réussi à le maîtriser. La police a trouvé les personnes exilées en train d'essayer de le maîtriser, ils ont embarqué tout le monde." L'homme au sabre n'est pas tout de suite entendu par les enquêteurs, au vu de son état de santé. Les migrants, eux, passent 48 heures en garde à vue. Une information judiciaire est ouverte pour "violences volontaires" avec deux circonstances aggravantes pour trois d'entre eux : "arme" et "réunion".

"Soupçon" et "criminalisation des exilés"

Le lendemain de l'attaque, des bénévoles et salariés d'ONG se regroupent sur le campement pour aider les migrants. "On était avec nos équipes sur le camp pour les soutenir", explique Cloé Chastel. Les migrants demandent des solutions d'hébergement, mais voient arriver des forces de l'ordre en nombre : "Quand des policiers sont arrivés, on s'est rendus compte que c'était la BRAV [la brigade de répression de l'action violente motorisée], qu'ils venaient nous verbaliser pour rassemblement non déclaré. On a reçu 19 amendes, dont neuf dressées à des membres d'Aurore."

Paul Alauzy, chargé de projet à Médecins du monde Paris, s'est également rendu sur le campement de migrants après l'attaque au sabre de décembre 2021, pour aider et soutenir les migrants. Lui aussi a été interpellé par la police. Il a alors pensé à "une blague", explique-t-il.

"Il venait d'y avoir une attaque au sabre, une tentative de meurtre sur le campement, je ne pouvais pas imaginer qu'on nous envoie les forces de l'ordre pour nous verbaliser et nous arrêter. La situation était ubuesque."

Paul Alauzy, chargé de projet pour Médecins du monde France

à franceinfo

Selon Paul Alauzy, cette réponse de la police et de la justice "illustre bien à quel point la première réponse des forces de l'ordre est dans le soupçon, dans la criminalisation des exilés et des personnes qui leur sont solidaires, et c'est hyper inquiétant. Il y a un an, on pensait déjà avoir atteint un stade de l'horreur très élevé, mais on voit que la personne responsable de tout ça est passée au niveau supérieur. C'est hyper inquiétant en termes de réponse de la police et de la justice". Pour lui, la mort de trois Kurdes à Paris la semaine dernière est un "attentat raciste". "On n'a pas les mots dans les moments comme ça", confie-t-il.

William M. poursuivi pour "violences volontaires"

Après l'attaque, William M. a été mis en examen pour "violences volontaires", mais pas pour "homicide volontaire", avec trois circonstances aggravantes : "préméditation", "arme" et "caractère raciste". C'est cette qualification de violences volontaires, moins grave que celle pour homicide, qui a permis sa libération le 12 décembre 2022, a appris franceinfo mardi 27 décembre de source judiciaire, confirmant des informations du journal Le Monde. Il était en effet arrivé au terme du délai maximal de détention provisoire prévu par la loi, d'une durée d'un an pour les faits qui lui sont reprochés. Il n'a toujours pas été jugé.

Les quatre migrants, eux, ont été placés sous le statut de témoins assistés. Un des migrants agressé avait également fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à la suite de cette affaire. Les enquêteurs attendent toujours l'expertise médicale sur la victime la plus grièvement blessée, selon les informations de franceinfo.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.