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Abou Moussab Al-Souri, l'homme qui a théorisé le "nouveau jihad"

Cet idéologue syrien, ancien d'Al-Qaïda, a jeté les bases du nouveau terrorisme qui frappe les pays occidentaux. Ses armes : de petites cellules clandestines autonomes, très difficiles à détecter par les services de renseignement.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Deux hommes armés ayant pris part à l'attaque meurtrière contre "Charlie Hebdo", à Paris, le 7 janvier 2015. (ANNE GELBARD / AFP)

MerahTsarnaevAdebolajoToulouseBoston, Londres et maintenant Paris. Les tueries perpétrées par de jeunes hommes se répètent dans le monde. Fini les explosions simultanées dans les métros et les gares, les avions détournés ou lancés sur des tours. Fini les attentats nécessitant des années de préparation minutieuse et des réseaux sophistiqués.

Les récentes attaques jihadistes en Occident procèdent d'une nouvelle logique. Elles sont conduites par de toutes petites cellules autonomes agissant avec les moyens du bord. Un "nouveau jihad", théorisé par un Hispano-Syrien, dont les effets sont particulièrement pervers.

Un idéologue vétéran du jihad

Ce nouveau type de jihad a été théorisé par Abou Moussab Al-Souri (le Syrien), un "idéologue d'Al-Qaïda 'canal historique', bien qu'ayant toujours fait preuve d'une grande indépendance personnelle vis-à-vis de la direction du mouvement", explique Alain Rodier, directeur de recherche au sein du Centre français de recherche sur le renseignement, sur Atlantico.

Moustapha Sitt Mariam Nassar, de son vrai nom, est né à Alep, en Syrie, en 1958. Il a traversé toutes les époques du jihad, expliquait le politologue Gilles Kepel dans un portrait du théoricien pour Le Monde. Il rejoint en 1976 la branche paramilitaire des Frères musulmans syriens, assiste au soulèvement et au massacre de Hama (Syrie), vit un temps en France, puis en Espagne où il acquiert la nationalité par mariage, avant de partir pour l'Afghanistan où se déroule le "premier âge" du jihad, celui contre l'Armée soviétique. De retour en Europe (France, Espagne, Royaume-Uni), il défend le GIA (groupe terroriste algérien) et lance une publication.

"Un homme dur et très intelligent"

Et puis, en 1996, quand les talibans prennent le pouvoir, il s'installe en Afghanistan aux côtés d'Oussama Ben Laden. En 1997, Al-Souri organise un rendez-vous entre le journaliste de CNN Peter Bergen et Ben Laden. Le reporter se souvient d'Al-Souri : "Il était dur et très intelligent. Il apparaissait comme un vrai intellectuel, très au courant de l’histoire, et il avait des objectifs des plus sérieux. Pour sûr, il m’a davantage impressionné que Ben Laden".

Après le 11 septembre 2001, les Américains envahissent l'Afghanistan, lancent des écoutes massives, surveillent les mouvements de fonds, utilisent des drones et ont même recours à la torture. Al-Souri se cache au Pakistan pour échapper à la traque. Il écrit un volumineux ouvrage de 1 600 pages intitulé Appel à la résistance islamique mondiale, explique Jeune Afrique. En décembre 2004, il met en ligne ce véritable manuel du jihad. Sa tête est mise à prix 5 millions de dollars par les Américains. Mais, un an plus tard, ce sont les Pakistanais qui lui mettent la main au collet, avant de le remettre à la CIA qui le retient dans ses prisons secrètes.

Les Américains finissent par le livrer aux Syriens. Une erreur. Il a été depuis relâché, comme d'autres islamistes radicaux. En effet, pour semer la zizanie parmi les rebelles et accréditer l'idée d'une guerre contre le terrorisme et non contre des opposants nationalistes, le régime de Bachar Al-Assad a lui-même fait libérer des jihadistes. Depuis, on ignore où se trouve Al-Souri.

Un jihad local et peu coûteux, mais efficace

La théorie d'Al-Souri, telle qu'elle est exposée dans son manuel, part d'un constat simple. Après le 11-Septembre, l'Afghanistan est perdu pour les talibans. Les moyens mis en place par les Occidentaux tiennent Al-Qaïda en échec. Et, en Irak, le deuxième âge du jihad contre les Américains n'a pas abouti à un califat islamique, mais à un nouveau pouvoir chiite. Abou Moussab Al-Souri, qui a toujours fait preuve d'indépendance d'esprit, prône une autre manière de conduire le jihad.

Comme l'explique Alain Rodier, pour échapper aux radars des services de renseignement, il prône "la création de cellules clandestines sans liens avec un commandement central pour ne pas se faire détecter". Ce nouveau terrorisme local, peu coûteux, soutenu par un accès facile à des contenus sur internet, déroute les services de renseignement.

Comme le résume Gilles Kepel, c'est un jihad "'par le bas', déstructuré, qu'il nomma 'nizam la tanzim' (un système et non une organisation)". Et d'ajouter : "A un terrorisme hâtif de destruction massive devenu impraticable, il oppose la multiplication d'actions quasi "spontanéistes", mises en œuvre au long cours par des jihadistes autoradicalisés grâce aux sites de partage de vidéos – prolongés par quelques stages de formation in situ – incités à choisir eux-mêmes, dans leur proximité, une cible opportune." Pas de morts par milliers, mais des cibles symboliques, de longues traques et une caisse de résonance médiatique assurée.

Créer la division en suscitant des réactions islamophobes

Libération précise que deux types d'opérations sont privilégiées : "Celles qui visent en priorité les musulmans ayant trahi leur foi, comme ceux qui ont endossé l’uniforme des armées occidentales – ce qu’a fait Mohamed Merah. Et celles qui, selon Al-Souri, leur permettraient d’attirer les sympathies de la communauté musulmane, comme l’assassinat d’enfants juifs en représailles [à la mort] des enfants palestiniens tués par Israël. Ou les blasphémateurs – et Charlie Hebdo entre à l’évidence dans cette catégorie."

Car l'objectif de l'idéologue, explique Alain Rodier, c'est de dresser les uns contre les autres : "Ces cellules devaient pouvoir passer à l'action avec leurs propres moyens pour déclencher une guerre civile en créant des divisions entre les musulmans et les populations locales". Par la répétition de ces actions, les terroristes misent sur des réactions islamophobes, soudant en retour les croyants humiliés.

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