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Merah, un enfant de Toulouse

La Ville rose a-t-elle forgé le radicalisme du "tueur au scooter" ? Sur place, les spécialistes sont sceptiques et expliquent plutôt son parcours par une enfance tourmentée.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Dans le quartier de la Reynerie, au Mirail, où Mohamed Merah a passé une partie de son enfance. (NATHALIE SAINT AFFRE / MAXPPP)

AFFAIRE MERAH - A l’écart, dans un coin du carré musulman, un monticule de terre cerclé de pierres et signalé par une plaque en bois anonyme. Un avion quittant l’aéroport de Toulouse-Blagnac s’élance bruyamment dans le ciel vide. Le cimetière de Cornebarrieu (Haute-Garonne) retourne au silence et la chaleur, légèrement troublé par les crissements des pas des rares visiteurs vêtus de sombre qui écrasent les herbes sèches.

Quatre mois après que Mohamed Merah a été criblé de balles à l’issue d’un siège de 30 heures, seules quelques fleurs fanées ornent sa tombe. On la dirait oubliée dans ce vaste cimetière de la banlieue toulousaine, largement inoccupé. Elle n’est pas devenue un lieu de pèlerinage comme le redoutait la mairie de Toulouse. La ville ne voulait pas entendre parler de la dépouille de Merah. L’Algérie, dont son père et sa mère étaient originaires, n’en a pas voulu non plus. Et le corps de Merah a échoué ici, enseveli à la hâte sous les pelletées de terre de ses amis.

A l’image de la mairie, dans la ville, où "c’était la psychose totale", se souvient un policier, on préférerait effacer les traces du terroriste et ne pas ressasser l’histoire. Pourtant, Merah est bien un enfant de la Ville rose. C’est là qu’il est né, le 10 octobre 1988. C’est aussi l’endroit qu’il a choisi pour perpétrer deux de ses trois attentats. Les jihadistes rencontrés à l’étranger lui auraient "proposé des attaques en Amérique, au Canada", mais "comme j’étais Français, c’est plus facile pour moi et plus simple d’attaquer la France", a-t-il expliqué à l’agent de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui le suivait, selon la transcription des échanges qu'ils ont eu pendant le siège de son appartement.

"C'est la cité qui l'a élevé"

Toulouse, c’est surtout là qu’il a grandi. Sa sœur l'a admis face aux policiers, selon Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, les deux journalistes qui ont écrit Affaire Merah, l'enquête (Ed. Michel Lafon) : "C'est la cité qui l'a élevé". D’abord dans les grands ensembles de Bellefontaine, au Mirail, à quelques arrêts en métro du centre ville. Puis entre les lotissements fatigués des Izards, dans le nord de la ville, où vivent de nombreux gitans chrétiens. Ou ailleurs dans des familles d’accueil.

Dans le quartier de La Reynerie, à Toulouse, le 30 mars 2012. (NATHALIE SAINT AFFRE / MAXPPP)

Ce vendredi matin, c’est le jour du marché de Bagatelle, au Mirail, un grand quartier du sud-ouest de Toulouse. "On l'appelle le marché aux femmes", sourit l’ethnologue à l’université du Mirail Noria Boukhobza, en achetant du persil. "Il y a un peu moins de monde que d'habitude et les femmes sont peut-être un peu plus voilées : c'est ramadan", remarque-t-elle.

D'après l'Insee, ce quartier, constitué de grands bâtiments comptait environ 57% de logements sociaux en 2006, 15 000 habitants ayant des revenus bien plus faible que la moyenne toulousaine (le revenu fiscal médian est de 9 000 euros contre 19 000 euros à Toulouse). Des chiffres comparables au quartier voisin de Bellefontaine-La Reynerie, à l'exception du taux de chômage qui grimpe à 33% à Bellefontaine, contre 23% à Bagatelle, selon le site de la municipalité. Toutefois, l'ethnologue décrit des lieux qui ne fonctionnent pas en vase clos, où règne une certaine convivialité et auxquels les habitants sont attachés, loin du portrait de certaines cités enclavées.

Plus que les émeutes de 2005, ces quartiers populaires ont été marqués par l’affaire Habib à Toulouse, en décembre 1998 : un jeune voleur de voitures du Mirail avait été tué par un policier. "Dès le lendemain, il y a eu des violences dans différents quartiers, des émeutes, se remémore l'ethnologue, en longeant le lac du quartier voisin de La Reynerie. Il y avait une prise de conscience de certains qui disaient : on n’arrive pas à s’en sortir."

Une mère battue, un grand frère tyrannique

Aujourd’hui, la ville alimente toujours les statistiques sur les violences urbaines du ministère de l’Intérieur. Ainsi, selon Didier Martinez, policier toulousain et secrétaire régional du syndicat Unité SGP, "près de 2000 véhicules ont été incendiés l'an dernier". Mais l’ethnologue rappelle que ces quelques adolescents qui occupent policiers et journalistes spécialistes des faits divers de la Dépêche du midi, ne sont qu’une minorité "visible", loin d’être représentative de la vie des quartiers. "Ce qui revient dans les discours des habitants, c'est plus le fait d’être délaissés" que les violences urbaines, dit-elle.

Le quartier des Izards, à Toulouse. (NATHALIE SAINT AFFRE / MAXPPP)

C’est dans ce contexte que Mohamed Merah a vécu une adolescence agitée. Les rapports d’éducateurs, de services sociaux ou de psychologues révélés par la presse (comme Le Monde, article payant) dressent un portrait de la famille Merah peu reluisant : le père, condamné pour trafic de drogue, quitte la famille alors que son fils est encore jeune, sa mère est battue, son grand frère Abdelkader terrorise la famille et poignarde son aîné. "Tous ceux qui subissent des maltraitances ne deviennent pas délinquants, mais tous les délinquants en ont subi. Quand on creuse, on trouve toujours des choses douloureuses", explique une éducatrice toulousaine de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Cette enfance difficile a pour corollaire une scolarité chaotique, des comportements violents, de nombreux petits délits (dix-huit au total), des placements en foyer. Merah atterrit finalement en prison à sa majorité pour un vol avec violence de sac à main qui, cumulé à ses précédents sursis, l'envoie pour 18 mois dans une cellule.

Une personnalité très "narcissique"

"Un profil type. La récidive, c’est un phénomène inquiétant", estime Didier Martinez. Selon lui, la ville est abonnée aux "car-jacking et home-jacking : de la petite délinquance qui supposent des faits graves" car elles s'accompagnent de violences. Le policier n’est pas surpris non plus que Merah ait pu se procurer des armes. Toulouse n’est pas confronté au grand banditisme comme Lyon, Marseille, ou la région parisienne, mais "quelques mois avant les tueries de Merah, il y a eu un homicide à la kalachnikov, à La Reynerie". Lors de perquisitions, des armes avaient été découvertes.

Quand et comment Merah s’est-il radicalisé ? Peut-être en prison, où il replonge pour un refus d’obtempérer après une sommation d’arrêter son véhicule, qu'il conduit sans permis... Sa tentative de suicide le conduit alors deux semaines en hôpital psychiatrique. Un psychologue, interrogé par France Inter lors des événements, relève un caractère "dépressif", une personnalité "plutôt anxieuse" et des "dispositions antisociales”, sans compter un fort caractère "narcissique".

Le policier Didier Martinez note, pour sa part, que Toulouse "est une plaque tournante de tous les mouvements actuels extrémistes à surveiller et à signaler", aussi bien les Basques d’Iparretarrak que les islamistes radicaux. "Il y a le vivier, le noyau, des racines", explique-t-il.

"Ce n’est pas la ville qui a généré Merah"

Le quotidien des quartiers populaires toulousains a-t-il provoqué un tournant vers le radicalisme pour Merah ? Non, répondent plusieurs spécialistes locaux. Cela aurait pu avoir lieu "absolument n’importe où ailleurs", estime ainsi l’éducatrice toulousaine de la PJJ. "C’est beaucoup plus lié à la trajectoire singulière de ce gamin, avec sa famille. Je suppose que l’islam fanatique est un prétexte, comme un moyen d’expurger la haine qu’il a de lui-même et de la société. La taule a peut-être été un point de basculement." Et d’ajouter : "Breivik [le terroriste norvégien d'extrême droite], regardez, venait-il d’un grand ensemble ?” Elle parle du "besoin de famille et de se sentir de quelque part" et estime que "la religion, ça peut être un élément". Alors "ils ne vont pas faire dans la petite religion, ils vont chercher le sens que les pères ont perdu, parfois jusqu’aux limites fatales", remarque-t-elle. Et de souligner par ailleurs que des musulmans ont maintenant "peur d’être associés à cet islamisme radical".

La sociologue Noria Boukhobza abonde : "Ce n’est pas Toulouse qui a généré le comportement de Merah. Ça aurait pu arriver à Marseille, Lyon, dans des grandes villes." Elle évoque plus volontiers un ensemble de frustrations de ces adolescents : "A un moment donné, quand des familles sont défaillantes, à un moment donné, quand des jeunes sont en mal être..." Et de reprendre : "Merah a été éduqué par ruptures. Il a fini par construire son identité. Il a pris une route et il ne pouvait plus faire marche arrière."

Dans la ville, il ne reste pas de traces du terroriste. Seules quelques planches masquant les fenêtres du petit logement social qu’il occupait face à une église protestante témoignent de la violence de l’assaut du Raid dans le douillet quartier résidentiel de la Côte pavée. Ce n'est plus un lieu touristique.

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