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"Nous allons jouer un rôle de pivot" : après leur percée historique, quelles ambitions pour les eurodéputés écologistes au Parlement ?

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des eurodéputés du groupe parlementaire Verts / Alliance libre européenne tiennent des affiches "Pas de permis de tricher sur le diesel", lors d'une session de vote au Parlement européen, à Strasbourg (Bas-Rhin), le 3 février 2016.  (VINCENT KESSLER / REUTERS)

Forts de victoires électorales à travers l'Europe dimanche 26 mai, notamment en Allemagne, en Belgique et en France, les Verts s'apprêtent à rassembler quelque 10% des députés au Parlement européen. Cette nouvelle force s'annonce stratégique dans l'évolution des politiques de l'UE en matière climatique. 

Une certaine effervescence traverse les couloirs du bâtiment Altiero Spinelli, à Bruxelles (Belgique), ce mercredi 29 mai. Dans ce lieu abritant des services du Parlement européen, une poignée d'écologistes fraîchement élus font leurs premiers pas en tant qu'eurodéputés. D'autres députés sortants et réélus, tels que Yannick Jadot et Karima Delli, les accueillent dans ce lieu qui leur est familier. "J'arrive à Bruxelles, nous avons plein de réunions. Les premières discussions de groupe commencent", lance David Cormand, secrétaire national d'Europe Ecologie - Les Verts (EELV) et nouvel eurodéputé écologiste. "ll y a eu le temps de l'euphorie ce matin, poursuit Karima Delli. Nous avons un groupe qui s'est carrément étoffé."

Des écologistes "souriants et déterminés", et qui ont le vent en poupe. Et pour cause : lors des élections européennes du dimanche 26 mai, les Verts à travers l'Europe ont obtenu des scores inédits. Avec 69 sièges obtenus sur 751 dans l'hémicycle de Strasbourg, les écologistes ont réalisé leurs meilleurs scores en quarante ans de scrutins européens. En France, la liste EELV emmenée par Yannick Jadot a recueilli 13,47% des voix, s'imposant troisième à la sortie des urnes et première force politique de gauche. Dans un Parlement européen où les deux groupes dominants – le Parti populaire européen (PPE) et l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) – perdent leur majorité historique, le groupe des Verts / Alliance libre européenne gagne en influence, avec 17 eurodéputés supplémentaires. 

Quand la place des Verts devient stratégique

Comment ces eurodéputés Verts vont-ils compter davantage dans les couloirs du Parlement européen ? Leur premier allié est leur nombre – l'écologie politique représente désormais 10% de l'hémicycle. "Nous sommes plus nombreux à travailler ces dossiers, et donc plus nombreux à voter", résume à franceinfo David Cormand. "Au Parlement européen, ce n'est pas une majorité qui a raison et une minorité qui a tort. Il y a cette culture de l'écoute de toutes les préoccupations des partis", développe Sven Giegold, eurodéputé et tête de liste des Verts en Allemagne, contacté par franceinfo. "Donc plus votre groupe est grand, plus vous faites une différence. Vous êtes plus pertinent dans le compromis." Sa collègue française Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste depuis 2009 jointe par franceinfo, abonde. "Nous étions en sixième position au Parlement, nous allons passer quatrième", se réjouit-elle. "Nous allons jouer un rôle de pivot, qui va contraindre les autres groupes à accepter plusieurs priorités. Ce qu'avant, nous ne pouvions pas faire", affirme l'élue. 

Pour Michèle Rivasi comme pour Neil Makaroff, responsable des politiques européennes au Réseau Action Climat (RAC), l'enjeu réside aussi dans la place des Verts au sein des commissions parlementaires. Au sein de ces commissions thématiques, les eurodéputés étudient les propositions législatives et proposent des amendements. "Vu que les écologistes sont plus nombreux, ils vont pouvoir se répartir dans toutes les commissions parlementaires du Parlement. Et c'est vraiment l'endroit où se joue la législation européenne", développe Neil Makaroff à franceinfo.

Mais au-delà d'une percée en nombre, les Verts ont aussi un rôle à jouer dans la constitution d'une potentielle coalition majoritaire au sein du nouveau Parlement. "Pour faire une majorité pro-européenne stable dans cette maison, les Verts seront indispensables", assurait Philippe Lamberts, coprésident du groupe écologiste au Parlement européen, à l'annonce des premières estimations dimanche soir, rapporte Le Monde"Le PPE et le S&D pourront avoir une majorité avec les libéraux de l'ADLE, mais les élus aux extrêmes de ces groupes vont mettre en difficulté cette coalition. Elle aura donc besoin des Verts, affirme auprès de franceinfo le coprésident du groupe écologiste. Et notre force de frappe ne change que si nous sommes indispensables." 

Le politologue Olivier Costa, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Europe, est lui aussi convaincu du rôle "pivot" des Verts dans cette future alliance. 

Avant, ce n'était même pas la peine pour les Verts de mener ces négociations avec les autres groupes. Aujourd'hui, on a besoin d'eux.

Olivier Costa, politologue

à franceinfo

Au cours des prochaines semaines, le rôle des Verts s'annonce aussi déterminant dans la nomination de la présidence de la Commission européenne. Les candidats à la tête de la Commission devront s'assurer d'une large majorité de soutiens derrière eux, pour garantir le bon suivi de leur programme de travail au Parlement européen. Pour cela, ces "Spitzenkandidaten" "auront besoin du soutien des eurodéputés Verts", insiste Wendel Trio, directeur du réseau d'ONG Climate Action Network (CAN) Europe. "Si le président de la Commission veut être sûr de pouvoir gouverner, il va être obligé de compter sur les Verts", confirme Neil Makaroff.

Un appui-clé, en échange duquel les écologistes pourraient gagner des avancées conséquentes, comme "un vice-président à la Commission européenne, ou pousser pour un programme de travail de la Commission ambitieux sur l'environnement", analyse Olivier Costa. Rien que le fait d'obtenir un commissaire écologiste "va donner des opportunités", souligne Wendel Trio. A ce stade, Philippe Lamberts se dit "confiant". "Beaucoup de signaux nous montrent que l'on nous souhaite autour de la table" pour ces négociations, assure-t-il. "Maintenant, nos demandes seront-elles respectées ? Cela reste à démontrer."

Des électeurs derrière les écolos 

Un autre élément vient aussi bouleverser l'influence des Verts sur la scène politique européenne. Le message envoyé par les électeurs dimanche soir est clair –davantage d'Européens attendent aujourd'hui davantage sur le climat. Emmanuel Macron l'a lui-même reconnu : "l'urgence climatique" a été "un message très fort de ces élections en France et partout en Europe". "Si la pression continue avec les manifestations des jeunes pour le climat notamment, les gouvernements nationaux vont changer leurs positions", avance Sven Giegold. "S'ils ne le font pas, nous ferons de meilleurs scores à l'échelle nationale et ils seront forcés d'agir." 

Vingt votes en plus, ce n'est pas suffisant pour créer le changement. La clé, c'est la pression de l'opinion publique, qui doit continuer. (...) Cela change le comportement des autres partis.

Sven Giegold, eurodéputé écologiste allemand

à franceinfo

Une prise de conscience qui se ressent déjà dans positions tenues par d'autres partis européens. Le "Spitzenkandidat" du S&D, Frans Timmerman, a placé l'écologie au cœur de sa campagne, relève Euractiv. "Idem en Espagne, où le parti socialiste (PSOE) a fait du climat l'une de ses priorités. La liste LREM, avec Pascal Canfin, a elle aussi accordé de l'attention à l'écologie", souligne Wendel Trio. Quant à Manfred Weber, candidat à la présidence de la Commission européenne pour le PPE – un groupe connu comme moins ambitieux sur l'environnement – il s'est lui aussi exprimé (tardivement) sur le sujet. "Nous allons avoir au Parlement une majorité de personnes qui soutiennent bien plus qu'avant une amélioration des politiques européennes en matière de climat", se réjouit Wendel Trio. 

Le jeu des compromis

Au sein de ce Parlement européen plus vert, d'ambitieuses politiques en matière de lutte contre le réchauffement climatique verront-elles bien le jour au cours des prochaines années ? "L'Union européenne joue un rôle extrêmement important. Tout ce qui se passe dans chaque Etat européen en matière d'environnement est basé sur des législations européennes", note Wendel Trio. Le Parlement européen est l'institution qui adopte ces législations, conjointement avec le Conseil des ministres de l'Union européenne. Il n'a cependant pas l'initiative des textes – ce rôle reste la chasse gardée de la Commission européenne. 

Au cours de la dernière législature (2014-2019), plusieurs mesures notables de protection de l'environnement et de la biodiversité ont vu le jour. Sven Giegold cite ainsi la décision, cette année, de réduire de 30% les émissions de CO2 des camions – une première en Europe. L'eurodéputé vert néerlandais Bas Eickhout était rapporteur de ce texte. 

Le RAC (Réseau Action Climat), à travers son observatoire climat, évoque également "de nouvelles limites aux émissions de C02 des voitures neuves" sur le marché européen dès 2020. Le Parlement a adopté un premier objectif, celui de baisser de 40% ces émissions d'ici à 2030. Mais la Commission et le Conseil des ministres poussaient pour une baisse moins élevée, oscillant entre 30 et 35%. Par le travail des eurodéputés, les institutions se sont finalement accordées sur un recul de 37,5%, rappelle le site Reporterre

Heureusement qu'il y avait le Parlement européen pour rectifier le tir. Nous avons dû batailler dur, contre la Commission et contre le lobby automobile.

Karima Delli, eurodéputée écologiste

à Reporterre

Autre succès de taille pour le Parlement européen : l'interdiction de la pêche électrique dès l'été 2021. Selon Reporterre, la Commission européenne proposait à l'origine d'étendre cette pratique plutôt que de la proscrire. Un travail de persuasion d'ONG et de plusieurs eurodéputés, notamment Yannick Jadot, a permis de faire pencher les parlementaires vers une interdiction. 

Mais face à des groupes parlementaires moins ambitieux, les Verts n'ont parfois pas d'autre choix que d'accepter les compromis. En début d'année, le groupe écologiste s'est opposé à un amendement proposant l'interdiction immédiate du glyphosate dans l'UE, relève Euractiv. Les Verts ne l'ont pas fait par conviction, mais pour obtenir le vote par le PPE d'un rapport évaluant les procédures d'autorisation des pesticides en Europe.

Les eurosceptiques, "une épine dans le pied des verts"

L'autre difficulté est celle posée par les groupes eurosceptiques et nationalistes, connus pour leur réticence à l'égard de certaines politiques environnementales. Le réseau Climate Action Network, dans son évaluation (lien en anglais) du travail des partis européens sur le climatestime qu'avec le PPE, les groupes des Conservateurs et réformistes européens (CRE) et l'Europe des nations et des libertés (ENL) sont les plus mauvais élèves en la matière. "Ces groupes sont vraiment une épine dans le pied des Verts", juge le politologue Olivier Costa. "Ils ne pèsent pas assez pour imposer quelque chose à l'agenda, mais ils joueront les empêcheurs de tourner en rond", estime-t-il. Wendel Trio, du Climate Action Network, reste optimiste. 

Ces parlementaires eurosceptiques et populistes ne sont pas les plus actifs. Ils sont là pour faire du commentaire plus que pour travailler. Alors que les Verts, eux, sont parmi les plus actifs.

Wendel Trio, directeur du Climate Action Network Europe

à franceinfo

II restera encore, pour les eurodéputés écologistes, à faire face aux blocages de certains Etats-membres. "L'opposition des gouvernements est toujours un peu plus forte, notamment sur la question du climat. Et le Conseil des ministres de l'UE aura plus de poids sur la décision finale que le Parlement", concède Wendel Trio. Le directeur du Climate Action Network évoque notamment les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Comme le précise l'observatoire du Réseau Action Climat, les eurodéputés ont proposé en octobre de passer de 40 à 55% de réduction de ces émissions. Mais à ce stade, les représentants des Etats-membres ne bougent pas sur ce point. 

J'ai fait voter par le Parlement européen un projet de redevance sur les poids lourds pour réduire leur pollution. Aujourd'hui, cette redevance est bloquée au Conseil des ministres de l'UE.

Karima Delli, eurodéputée écologiste

à franceinfo

Mais ces obstacles n'entament pas l'enthousiasme des nouveaux élus. Maire écologiste de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême était troisième sur la liste menée par Yannick Jadot. "Nous allons être le point de bascule dans beaucoup de décisions", avance-t-il avec conviction. "Et nous serons intransigeants sur l'écologie", insiste Damien Carême auprès de franceinfo. "Cela veut dire une écologie totale. Car il nous reste dix ans pour inverser la tendance." 

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