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Grand entretien Présidentielle 2022 : "Marine Le Pen va tenter de constituer un front anti-Macron"

Comme en 2017, Marine Le Pen s'est qualifiée pour le second tour de l'élection présidentielle. Peut-elle faire entrer l'extrême droite à l'Elysée le 24 avril ? Pour Gilles Ivaldi, politologue au Cevipof, "elle n'a peut-être pas pu enclencher la dynamique autant qu'elle l'aurait espéré".

Article rédigé par Thibaud Le Meneec - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Marine Le Pen s'adresse à ses partisans lors d'un meeting à Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 7 avril 2022.  (JC MILHET / HANS LUCAS / AFP)

Elle l'attendait depuis cinq ans : Marine Le Pen affrontera, dimanche 24 avril, Emmanuel Macron pour le match retour de l'élection présidentielle de 2017. Pour ce second tour, la candidate du Rassemblement national espère réaliser un bien meilleur score que les 33,9% lors de sa première "finale". Avec 23,15% des suffrages au premier tour, peut-elle contourner le front républicain qui s'est reconstitué contre elle ? Séduira-t-elle une partie significative des soutiens de Jean-Luc Mélenchon et rassemblera-t-elle les voix des électeurs déçus d'Eric Zemmour ?

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Franceinfo s'est penché sur la dynamique en faveur de Marine Le Pen avec Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et au Cevipof (Sciences Po). Le chercheur, auteur de la note "Marine Le Pen, Éric Zemmour : social-populisme contre capitalisme populaire" (en PDF) en mars dernier, revient sur la campagne de la candidate d'extrême droite et analyse ses forces et ses faiblesses en vue du second tour.

Franceinfo : Quel est l'enseignement principal du premier tour de l'élection présidentielle pour Marine Le Pen ?

Gilles Ivaldi : C'est d'abord une victoire, dans la mesure où sa campagne avait mal commencé. Elle était très affaiblie et avait commencé une campagne avec un parti en très grande difficulté financière. Elle sortait des élections régionales, l'an dernier, séquence lors de laquelle son parti avait connu des revers assez importants. Elle a pâti de la concurrence d'Eric Zemmour qui, lui, a fait un très bon début de campagne. On la disait presque morte politiquement, donc c'est plutôt un succès.

Ce succès est-il incomplet ?

Certes, Marine Le Pen est qualifiée, mais elle n'a peut-être pas pu enclencher la dynamique autant qu'elle l'aurait espéré. Dans les derniers moments de la campagne, on a vu les courbes se rapprocher jusqu'au point où Marine Le Pen a caressé l'espoir de passer en tête devant Emmanuel Macron. Finalement, elle arrive en deuxième position et il y a un écart relativement important avec le président de la République. Elle est talonnée par Jean-Luc Mélenchon, avec environ 400 000 voix d'écart entre eux. C'est une position médiane pour Marine Le Pen, un succès en demi-teinte.

A-t-elle bénéficié d'une logique de vote utile face à Eric Zemmour ?

Lui a finalement souffert de deux choses : la première, c'est qu'il a fait une campagne de l'outrance et de la provocation, en se positionnant sur des thèmes très extrêmes. Il a enchaîné les erreurs, comme ses déclarations sur le Bataclan, le doigt d'honneur à Marseille, les propos sur les enfants handicapés ou sur la guerre en Ukraine.

"Eric Zemmour a montré qu'il avait assez peu de crédibilité et qu'il inquiétait beaucoup."

Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et au Cevipof

à franceinfo

Le deuxième facteur de son déclin remonte à début mars, quand le pouvoir d'achat a commencé à s'imposer dans les débats. C'est l'enjeu principal sur lequel les gens ont voté. Là-dessus, Marine Le Pen s'est positionnée très tôt quand lui n'en a pas aussi bien senti l'importance. Eric Zemmour a commencé à perdre pied dans les sondages en début d'année et là s'est joué le phénomène du vote utile. On a vu de manière très nette comment les électeurs lepénistes de 2017 sont revenus progressivement au bercail. Début janvier, Marine Le Pen ne ramène vers elle qu'environ 60% de ses électeurs d'il y a cinq ans ; d'après les enquêtes publiées dimanche, elle a finalement réuni pratiquement 80% de son électorat.

En additionnant les suffrages obtenus par Marine Le Pen et ceux obtenus par Eric Zemmour, peut-on dire que l'extrême droite n'a jamais été aussi forte en France ?

L'extrême droite est très forte. Cela traduit plusieurs dynamiques distinctes. D'abord, Marine Le Pen a consolidé sa base électorale, qui s'était un peu éloignée d'elle. Lors de la crise du Covid-19, les partis d'extrême droite ont plutôt reculé, avec un retour des électeurs vers l'exécutif en place, comme on l'a vu aux régionales. Ensuite, elle a progressé dans les classes moyennes inférieures. Auparavant, il y avait un écart plus important entre son score chez les ouvriers, très fort, et les employés.

"L'autre dynamique à l'œuvre est celle d'Eric Zemmour. Il a attiré dans le camp de l'extrême droite des électeurs fillonistes, plus bourgeois et plus traditionalistes sur les valeurs."

Gilles Ivaldi

à franceinfo

Ces dynamiques créent quelque chose de plus large et de plus hétérogène. L'extrême droite, ou plutôt les extrêmes droites, est plus forte qu'auparavant.

Pensez-vous qu'elles puissent se rejoindre au second tour ?

Clairement, oui. Aujourd'hui, les sondages montrent qu'environ 80% de l'électorat d'Eric Zemmour devrait se reporter sur Marine Le Pen le 24 avril. L'électorat d'Eric Zemmour est aussi profondément anti-Macron. Dans le même temps, si elle affiche un visage adouci et respectable, Marine Le Pen reste quand même une candidate qui a des positions très radicales sur l'immigration, ce qui plaît au camp Zemmour. Dans cette logique, la fusion des extrêmes droites est assez claire et évidente.

Doit-elle faire beaucoup d'efforts pour attirer les voix des électeurs d'Eric Zemmour ?

Pas vraiment. Marine Le Pen sait qu'elle doit aller chercher des voix ailleurs parce que le réservoir d'Eric Zemmour est acquis. De la même manière, elle n'a pas intérêt à trop s'afficher avec lui, parce qu'elle sait que c'est devenu un épouvantail, alors qu'elle doit montrer qu'elle est crédible et rassembleuse. En fait, elle veut parler à trois catégories d'électeurs : les abstentionnistes, sa principale réserve ; ce qu'il reste des électeurs de droite, avec Valérie Pécresse, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle ; et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Or, elle est confrontée à une difficulté car le candidat LFI a appelé à la faire battre.

Pourtant, une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pourrait voter pour elle au second tour. Cela pourrait aller jusqu'à 30%, selon un sondage de l'Ifop...

En 2017, d'après nos enquêtes au Cevipof, ce chiffre s'élevait à environ 12% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Là, 25% à 30% de report des voix vers elle, ce serait énorme !

De quels leviers dispose-t-elle pour les rallier ?

Ils sont triples. D'abord, pour elle, il faut continuer la dédiabolisation et apparaître comme la plus modérée, la plus acceptable. Elle a entrepris ce travail depuis longtemps et dimanche, elle a été extrêmement soft pour se positionner en candidate quasi mainstream

"Marine Le Pen va mettre l'accent sur le social, car elle sait qu'elle a une carte à jouer."

Gilles Ivaldi

à franceinfo

Enfin, là où Emmanuel Macron va réactiver le front républicain, Marine Le Pen va tenter de constituer un front anti-Macron. Elle est assez bien armée pour le faire, car elle a une capacité à faire oublier qui elle est. Dimanche, Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs pris soin de rappeler à ses électeurs à qui ils avaient affaire pour les dissuader de céder aux sirènes du social-populisme de Marine Le Pen car, derrière, il y a un programme d'extrême droite.

Ces deux électorats ne semblent pas voter pour les mêmes raisons, si ?

Dans nos enquêtes, on avait trois grands blocs d'émotions : l'inquiétude, qui a porté le vote Macron, notamment celui des plus âgés ; la lassitude, qu'on retrouve dans une abstention importante ; et la colère, qui se retrouve dans le vote Le Pen et Mélenchon. Aujourd'hui, Emmanuel Macron va continuer à mobiliser l'électorat de l'inquiétude, alors que Marine Le Pen va mobiliser l'électorat de la colère. Les deux visent maintenant l'électorat de la lassitude, qui s'est détourné des urnes pour une multitude de raisons.

Avec une image adoucie et un accent mis sur le pouvoir d'achat, Marine Le Pen réfute le qualificatif "d'extrême droite". Qu'en est-il vraiment ? 

La meilleure définition d'un parti comme le Rassemblement national, c'est le national-populisme. En Europe, ces partis combinent deux grandes caractéristiques. D'un côté, ils sont populistes, car ils pensent la centralité de l'affrontement entre peuple et élites, en dépassant le clivage gauche-droite. D'autre part, ils sont pour le nationalisme et contre l'immigration. En France, Marine Le Pen a coloré le national-populisme classique d'un discours très social, très orienté à gauche sur l'économie. Pourtant, si elle a beaucoup mis en avant ses chats et sa vie privée, son programme sur l'immigration n'a pas changé. 

"Eric Zemmour lui a sans doute fait une fleur en endossant les habits de l'épouvantail d'extrême droite, mais Marine Le Pen n'est pas plus pondérée."

Gilles Ivaldi

à franceinfo

Sa proposition de référendum constitutionnel est toujours là. Pendant la campagne, elle a beaucoup masqué son nationalisme, qui reste très anti-européen. Elle était une opposante directe et frontale à l'Europe, maintenant elle ne dit plus un mot sur ce sujet. Elle a fait une campagne intelligente, en mode furtif. Pourtant, elle reste sur l'idée centrale de son père, qui est la sortie de l'Europe fédérale pour une Europe des nations libres et indépendantes. Son projet reste un projet de bras de fer permanent avec les institutions européennes. La France de Marine Le Pen refuserait les décisions européennes qu'elle juge contraire à ses intérêts. Cela créerait une crise profonde avec l'Union européenne.

De quels alliés disposerait-elle en Europe ?

Ses alliés sont clairement des partis et des personnalités d'extrême droite : aujourd'hui, elle est alliée avec l'AfD en Allemagne, le Parti de la liberté en Autriche ou la Ligue de Matteo Salvini en Italie. Outre le fait que son grand modèle a été et reste véritablement Vladimir Poutine, elle se tournerait en premier vers Viktor Orban si elle était élue. Le dirigeant du gouvernement hongrois est en train de créer un régime autocratique. Marine Le Pen trouve, elle, que Viktor Orban est le personnage privilégié pour détricoter l'Union européenne de manière assez drastique.

Passée "en mode furtif", Marine Le Pen est-elle plus difficile à combattre pour Emmanuel Macron ?

C'est la grande difficulté pour Emmanuel Macron. D'abord, il l'a attaquée sur l'extrême droite, en associant Marine Le Pen et Eric Zemmour, pour les rediaboliser. Le changement d'image s'est quand même opéré, donc il sera plus difficile de remobiliser le front républicain. Pour autant, je pense qu'Emmanuel Macron peut y arriver car la plupart des leaders, comme Jean-Luc Mélenchon, l'y aident. Ensuite, tout va dépendre de la capacité d'Emmanuel Macron à envoyer un message à l'électorat de gauche, qui a pu se sentir trahi et délaissé durant le quinquennat. En 2017, quand on demandait aux gens de placer Emmanuel Macron sur l'axe droite-gauche, un tiers des Français le plaçaient à droite. Cette année, cette proportion est passée à 60%. Subjectivement, il est perçu comme plus à droite. L'enjeu, pour lui, c'est de reparler aux gauches sociales-démocrates et à une partie de la gauche mélenchoniste.

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