Cet article date de plus d'un an.

Législatives 2022 : porte-voix, législateur, contrôleur... On vous explique à quoi sert un député

L'élu de l'Assemblée nationale écrit et vote les lois. Mais il peut aussi contrôler l'action du gouvernement. Il mène enfin un travail de terrain dans sa circonscription. Quatre spécialistes reviennent sur ses missions et ses moyens.

Article rédigé par franceinfo - Miren Garaicoechea
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Les élections législatives sont prévues les 12 et 19 juin 2022. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Hémicycle, perchoir, navette, commission, rapporteur... Le Palais-Bourbon possède son propre lexique avec, au centre de tout ce décorum, le député. Il ne s'agit pas d'un métier (puisque tout Français est éligible) ni d'une fonction (puisqu'un député n'est pas nommé mais élu au suffrage universel). Le mandat de cinq ans, non cumulable avec les fonctions de maire ou de président de conseil régional ou départemental, est rémunéré 7 240 euros brut par mois, soit 5 680 euros net (salaire auquel s'ajoutent 5 373 euros mensuels d'avance de frais de mandat).

Les dimanches 12 et 19 juin prochains, 45 millions de Français pourront voter aux élections législatives pour élire le député de leur circonscription, 577 au total. Mais à quoi sert, au juste, un député ? Que fait-il de ses journées ? Quelles sont ses missions, ses responsabilités, ses marges de manœuvre dans une Ve République présidentialisée ? Eclairage de franceinfo avec quatre experts. 

Le député propose des lois et les vote

Pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, les députés ont participé à 1 559 séances publiques au total, réparties sur 735 jours (le nombre annuel de jours de séance est plafonné à 120 pour l'Assemblée nationale comme pour le Sénat, mais des journées supplémentaires peuvent, en pratique, être ajoutées). Soit quasiment 6 100 heures de travaux parlementaires dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, du 21 juin 2017 au 30 avril 2022, selon le décompte de l'Assemblée. Lors de ces séances, les députés proposent et examinent des textes de loi, qui font des aller-retours entre les deux chambres qui composent le Parlement. Cette "navette parlementaire" s'arrête lorsque l'une des deux chambres adopte sans le modifier le texte précédemment validé par l'autre, explique le Sénat. Si le désaccord persiste, les députés ont le dernier mot.

Dans ce processus, chaque député, épaulé par un maximum de cinq collaborateurs, a le droit de proposer des modifications du texte par amendement. Un outil aussi bien employé par les élus de la majorité que ceux de l'opposition. Quand il est utilisé en masse, "l'amendement est l'instrument le plus courant pour faire obstruction, comme il faut les évoquer un à un avant de voter", précise Priscilla Jensel-Monge, maîtresse de conférence en droit constitutionnel à l'université Aix-Marseille. En 2020, les 40 000 amendements relatifs à la réforme des retraites avaient par exemple contraint l'Assemblée à limiter les débats à une quinzaine de jours avant de voter le texte.

A l'instar du gouvernement, les députés peuvent aussi proposer des lois. Ils soumettent beaucoup de textes, mais ont rarement converti l'essai ces cinq dernières années. Selon l'Assemblée nationale, ils en ont présenté cinq fois plus que le Premier ministre : 790 propositions de loi contre 149 projets de loi. En revanche, les textes proposés par le gouvernement ont été près de quatre fois plus nombreux à être adoptés que ceux des parlementaires : 94 contre 24.

Comment expliquer cette différence ? Les députés sont d'abord limités par la règle de la recevabilité financière. "Toute proposition de loi qui aurait une incidence financière, soit d'augmenter les charges, soit de diminuer des ressources, est évacuée d'office", explique Priscilla Jensel-Monge. Mais des idées peuvent se frayer un chemin, "si le gouvernement les reprend".

Ensuite, les députés sont soumis à "une logique collective". Ils ont donc tendance à voter de la même manière que les autres membres de leur groupe parlementaire, notamment au sein de la majorité. "L'exécutif a toujours un moyen 'ultime' de pression sur les députés : la dissolution de l'Assemblée nationale, comme en 1997 sous Jacques Chirac. Il y a donc une forme de soumission volontaire des parlementaires", souligne Priscilla Jensel-Monge. Les projets de loi du gouvernement ont donc davantage de chances d'aboutir, grâce à la discipline et à la loyauté des troupes. 

Après l'adoption d'une loi, il reste un moyen aux élus pour tenter de s'opposer au texte. Soixante parlementaires, au minimum, peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour que celui-ci étudie la conformité de la loi à la Constitution. Si ce n'est pas le cas, le Conseil constitutionnel censure cette loi, ou une partie, comme lorsqu'il a retoqué en novembre dernier la disposition légale censée permettre aux directeurs d'établissements d'accéder au statut vaccinal des élèves.

Il contrôle le gouvernement

Chaque député peut contrôler l'action du gouvernement par divers moyens, à commencer par les commissions. L'élu siège forcément dans une des huit commissions permanentes (affaires économiques, sociales, étrangères...), mais il peut aussi participer à des commissions spéciales et des commissions d'enquête parlementaire. "Les députées prennent plusieurs mois pour creuser à fond un sujet avec des déplacements, des auditions – de ministres par exemple –, des moyens, ou lors de missions 'flash'", limitées à quelques semaines, expose le politologue Olivier Rozenberg, professeur à Sciences Po Paris. 

Parmi les commissions permanentes, celle des finances, par exemple, est intégralement dédiée au contrôle de l'emploi de l'argent public. "A l'automne, les députés votent le budget annuel de l'Etat proposé par le gouvernement. Puis, au printemps, ils analysent les rapports financiers. Cela permet ne pas se limiter à une simple autorisation annuelle de budget", souligne Olivier Rozenberg. Chaque année, chaque groupe politique peut aussi proposer un sujet d'enquête. Les commissions d'enquête sont les seules qui contraignent légalement les personnes auditionnées à se présenter, ainsi qu'à dire la vérité. Politique pénitentiaire ou migratoire, maintien de l'ordre, impact de la crise du Covid-19 sur les enfants... Durant la législature, 25 commissions d'enquête ont rendu leur rapport, contre 17 au cours de la précédente législature, selon vie-publique.fr.

Autre outil de contrôle majeur : les questions au gouvernement. Ecrites ou orales, ces questions peuvent s'adresser à un ministre en particulier ou au gouvernement dans son ensemble. Depuis 2017, quelque 970 questions en moyenne ont été posées à l'oral au gouvernement chaque année, et plus de 9 000 à l'écrit, recense l'Assemblée nationale. Chaque citoyen peut accéder à l'intégralité des questions et des réponses.

Il existe enfin la motion de censure. L'Assemblée nationale a "théoriquement droit 'de vie ou de mort' sur le gouvernement", écrit vie-publique.fr. Si 10% des députés (soit 58 d'entre eux) déposent une motion de censure, et qu'elle est votée à la majorité absolue, le Premier ministre doit alors démissionner. Sur la seule année 2018, le gouvernement d'Edouard Philippe a fait l'objet de trois motions de censure, qui n'ont toutefois pas abouti. Sous la Ve République, une seule motion de censure (sur un total de 58 déposées) a été adoptée, en 1962, menant à la démission du Premier ministre Georges Pompidou. 

Il peut se faire le porte-voix des intérêts de sa circonscription

Les députés représentent "la nation tout entière et non leurs électeurs", stipule l'Assemblée nationale. "Ils ne sont pas les porte-parole de leurs électeurs." Ça, c'est pour la théorie. La pratique diffère quelque peu. "De fait, certains députés très ancrés localement représentent soit des intérêts locaux ou territoriaux, soit des groupes particuliers, comme les femmes ou les personnes LGBTQI+ par exemple", explique la politologue Nathalie Brack, professeure à l'université libre de Bruxelles. De fait, à part les personnalités politiques "parachutées" dans une circonscription, "les députés ont grandi dans un territoire qui les a forgés".

Un député venant d'une région d'élevage de bétail peut tenter d'entrer dans une commission dédiée ou s'en rapprochant, illustre Nathalie Brack. Une députée d'une circonscription rurale, touchée par la désertification médicale ou par la fermeture d'un chantier industriel, peut mettre cette problématique à l'agenda d'une séance en posant une question au gouvernement, par exemple. Ou contacter des administrations en sa qualité d'élue pour avoir davantage d'informations. Enfin, si le député appartient au groupe politique de la majorité, il peut utiliser son réseau pour entrer en contact avec un ministère ou un secrétariat d'Etat, par exemple dans le cas d'une catastrophe naturelle sur son territoire. 

Il "joue le rôle d'assistant social" dans sa circonscription

Les députés mènent aussi un travail de terrain dans leur circonscription. Aux cérémonies, aux visites d'entreprises, sur les marchés, dans les manifestations, s'ajoutent les permanences hebdomadaires, où chaque habitant peut solliciter son élu. "Certains députés y passent peu de temps. D'autres, jusqu'à deux après-midi chaque semaine", précise le sociologue Etienne Ollion, professeur à l'Ecole polytechnique.

Lors de ces permanences ou d'échanges par lettre ou sur les réseaux sociaux, "on dit souvent que le député local joue le rôle d'assistant social. Il y a de tout, de la vie en communauté, du personnel", relate Etienne Ollion. "Cela va du 'mon fils est dans une secte, faites quelque chose', aux demandes de logements sociaux, d'aides, de budgets... Dans les années 1970, il arrivait même que certains députés donnent de l'argent directement." 

Il permet aux citoyens de se sentir représentés

Plus symbolique, le député a aussi une fonction sociale : permettre aux citoyens de se sentir représentés. "La démocratie représentative s'est construite sur l'idée qu'on n'avait pas besoin d'être pour représenter, qu'on pouvait transcender ses intérêts propres au nom de l'intérêt général", retrace Etienne Ollion, auteur de plusieurs ouvrages spécialisés sur le travail des députés. 

L'Assemblée nationale n'est cependant pas à l'image de la société française. Les femmes restent sous-représentées dans l'hémicycle (39,5% des députés), de même que les jeunes (14% des députés ont moins de 30 ans). Les CSP+ sont au contraire surreprésentés (69% des députés contre 21% de la population), d'après des chiffres datant de 2019. Or, la diversité "améliore le sentiment de représentation, avec l'enjeu de ne pas se sentir exclu, analyse Etienne Ollion. Et ainsi, d'éviter de rentrer dans une logique qui opposerait les élites contre le peuple."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.