Européennes 2024 : coups médiatiques, renouvellement… Pourquoi les partis recrutent des personnalités sur leur liste

Les profils issus de la société civile sont particulièrement mis en avant par les formations politiques pour le scrutin du 9 juin. Une manière d'incarner des thèmes de campagne et de susciter l'intérêt d'électeurs peu mobilisés.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Christophe Gomart (LR), Rima Hassan (LFI), Priscillia Ludosky (EELV) et Malika Sorel (RN) sont tous candidats aux élections européennes, et novices en politique. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Ils sont courtisés et leur ralliement est soigneusement médiatisé. Les profils issus de la société civile se multiplient sur les listes candidates aux élections européennes du 9 juin. Dernière recrue en date, une juge, Pascale Piera, a annoncé rejoindre le Rassemblement national (RN), jeudi 25 avril. Comme elle, de nouveaux visages se font une place sur les affiches de campagne : l'agricultrice et syndicaliste Céline Imart chez Les Républicains (LR), la juriste franco-palestinienne Rima Hassan à La France insoumise (LFI), l'ancien policier Matthieu Valet au RN ou la figure des "gilets jaunes" Priscillia Ludosky chez Les Ecologistes.

Novices dans le jeu électoral, ces personnalités permettent aux partis d'afficher un renouvellement citoyen et de s'adresser à certaines catégories d'électeurs. La recette n'est pas nouvelle : le navigateur Gérard d'Aboville et l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse avaient été élus en 1994 sur la liste d’union du centre et de la droite UDF-RPR. En 2009, la liste Europe Ecologie faisait la part belle à la société civile avec notamment l'altermondialiste José Bové, ou un certain Yannick Jadot, fraîchement débarqué de l'ONG Greenpeace.

Lors des dernières élections européennes, en 2019, plusieurs têtes de liste avaient elles aussi fait leurs premiers pas en campagne, comme le philosophe François-Xavier Bellamy pour LR, l'essayiste Raphaël Glucksmann pour le Parti socialiste et Place publique ou l'ex-cadre d'ONG Manon Aubry pour LFI, tous trois candidats à leur réélection le 9 juin. Si l'effet sur la mobilisation des électeurs semble modéré, les partis misent plus que jamais sur cette stratégie pour médiatiser et dynamiser leur campagne.

Un profil pour chaque thème de campagne

Qui de mieux qu'une agricultrice pour accompagner Eric Ciotti et François-Xavier Bellamy à la ferme ? Le 19 février, en pleine crise agricole, le patron des Républicains et sa tête de liste pour les élections européennes se rendent dans une exploitation agricole de Seine-et-Marne. A leurs côtés, une céréalière tarnaise de 41 ans se fraie une place devant les caméras : c'est Céline Imart, dont la position en deuxième place sur la liste LR a été dévoilée la veille.

Deux mois plus tard, on se félicite d'avoir investi cette nouvelle figure, peu connue du grand public malgré ses nombreux passages télé et son engagement syndical. "Ce choix répond à une thématique actuelle forte alors que le monde agricole est en souffrance, se réjouit la députée LR du Jura Marie-Christine Dalloz. C'est important d'avoir sur notre liste une représentante du secteur, d'autant que les agriculteurs ont souvent tendance à remettre en cause l'Europe et sa politique agricole commune."

Quant au général Christophe Gomart, son CV très régalien d'ancien chef du renseignement militaire a séduit l'état-major du parti. "Son passé et ses connaissances sont utiles pour éclairer le débat sur le conflit ukrainien", vante la parlementaire. Avec ces investitures, les partis sont dans l'optique d'incarner des thèmes de campagne, une stratégie payante selon LR.

"Aujourd'hui, faire du généralisme sur l'Europe, ça ne marche pas." 

Marie-Christine Dalloz, députée Les Républicains du Jura

à franceinfo

Choisir une personnalité dont le profil correspond à un axe de campagne, c'est aussi ce qu'a fait le RN en recrutant Fabrice Leggeri, l'ancien patron de l'agence Frontex. "Il confirme le diagnostic que nous faisons depuis des années sur l'Union européenne qui fait tout pour encourager l'immigration", assure Alexandre Loubet, directeur de campagne de la liste menée par Jordan Bardella. Quant à l'essayiste Malika Sorel, c'est son travail "sur la lutte contre le communautarisme" qui intéresse le parti. Enfin, le recrutement de l'ancien policier Matthieu Valet est tombé à pic, début avril, alors que plusieurs faits divers ont suscité une forte médiatisation et des réactions politiques ces dernières semaines. La stratégie a toutefois ses limites : "Notre deuxième thématique phare pour cette campagne, c'est le pouvoir d'achat, mais c'est plus compliqué d'avoir quelqu'un qui incarne ça", concède Alexandre Loubet.

Un scrutin favorable à de tels recrutements

Beaucoup de partis choisissent de "faire monter des profils professionnels", analyse Sébastien Michon, directeur de recherche au CNRS. "Pour élire des représentants au sein d'institutions européennes au fonctionnement complexe, les partis misent plutôt sur des personnes qui incarnent un secteur : l'agriculteur, l'enseignant, le policier... C'est une porte d'entrée pour essayer de dérouler des thématiques." Autre avantage : "Incarner le renouvellement".

Le sociologue rappelle que cela a longtemps été une tradition spécifique aux élections européennes : "Comme c'est un scrutin qui n'est pas territorial, les états-majors des partis ont plus de poids. Par ailleurs, le Parlement européen est considéré par beaucoup comme un peu périphérique : les ténors des partis sont déjà à l'Assemblée et au Sénat ou au gouvernement, donc les européennes sont l'occasion de faire monter des personnes moins identifiées." En outre, le mode de scrutin à la proportionnelle favorise la multiplication des listes, et chacune essaie de se démarquer.

"De la crédibilité pour porter des luttes"

A gauche aussi, ces profils sont très recherchés. Leur présence sur la liste "produit deux effets", théorise Matthias Tavel, directeur de campagne de La France insoumise. Elle apporte "de la crédibilité et de la légitimité pour porter des luttes". "Sur les retraites, ce n'est pas la même chose quand c'est Rachel Keke qui dénonce la pénibilité au travail que quand c'est moi, avec mon bac +5", illustre le député LFI de Loire-Atlantique, qui perçoit un autre avantage.

"Ça génère de l'identification : des gens qui ne se sentent pas représentés vont s'intéresser à l'élection en voyant sur la liste des profils comme l'inspecteur du travail Anthony Smith ou l'apicultrice Muriel Pascal."

Matthias Tavel, directeur de la campagne européenne pour LFI

à franceinfo

En plaçant l'activiste franco-palestinienne Rima Hassan en septième position sur sa liste, La France insoumise espère aussi que son slogan "pour un cessez-le-feu à Gaza" sera au cœur de la campagne européenne et permettra de récupérer des voix. "L'enjeu, c'est d'arriver à mobiliser des gens qui pourraient considérer que cette élection n'est pas pour eux", estime Matthias Tavel, qui ajoute que "la paix à Gaza se joue aussi dans ce scrutin". Un positionnement qui suscite de vives réactions, notamment au sein de la droite et de la majorité, garantissant au passage une certaine médiatisation.

Alors que leur campagne est à la peine, Les Ecologistes misent, eux aussi, sur de nouveaux visages pour se relancer, même s'ils se veulent pionniers en la matière. "Chez EELV, on a toujours eu un creuset militant, avec beaucoup de personnalités ayant un parcours associatif", insiste l'eurodéputé David Cormand, l'un des sortants figurant en position éligible, derrière la tête de liste Marie Toussaint.

Aux côtés des eurodéputés écolos qui se représentent, plusieurs nouvelles figures se sont fait une place, comme le jeune militant marseillais Amine Kessaci et Priscillia Ludosky. "On a toujours analysé les "gilets jaunes" comme un mouvement contre la dépendance au carbone", explicite David Cormand. Quant à Flora Ghebali, entrepreneuse et chroniqueuse dans l'émission "Les Grandes Gueules" sur RMC, elle est "très médiatique", et "cela fait longtemps qu’elle s’interroge sur la sobriété et notre société d’abondance", défend l'eurodéputé. Et si ces recrutements semblent éclectiques, c'est parce que "l’écologie a vocation à rassembler", assure-t-il.

"L'important, c'est la petite histoire que ça raconte"

Au RN, l'arrivée de profils estampillés "société civile" est un peu plus récente, par rapport à d'autres partis, et liée à la progression du mouvement ces dernières années. "Tous les cadres du RN sont devenus députés, et les sous-cadres sont élus, donc le parti n'a plus besoin de rétribuer ses troupes", observe le chercheur Sébastien Michon. Le parti de Marine Le Pen peut ainsi aller piocher à l'extérieur du mouvement, une démarche qui n'est pas sans risque pour un parti en quête de crédibilité. Car les nouvelles recrues "n'ont pas forcément une connaissance de tous les autres sujets", reconnaît-on au parti. "Mais on les prépare et on les coache."

Malgré la prise de risque et les accusations d'opportunisme, le RN estime avoir plus à gagner qu'à perdre en investissant plusieurs novices en politique. Pourtant, l'impact de ces candidats sur le résultat dans les urnes "est impossible à mesurer", assure Sébastien Michon.

"Les partis misent sur ces profils car cela fait parler et, dans un scrutin marqué par une forte abstention, il faut essayer d'accrocher les électeurs."

Sébastien Michon, directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

En 2019, un électeur sur deux ne s'était pas déplacé et le scrutin du 9 juin pourrait à nouveau être marqué par une forte abstention, en dépit de cette stratégie. "L'impact électoral peut être assez limité, mais l'important, c'est la petite histoire que ça raconte : le RN aura une liste d'ouverture avec des gens sérieux, issus d'autres horizons, pas des politiques de carrière. Ça nous crédibilise", martèle Alexandre Loubet.

Chez les frontistes, la mécanique est d'ailleurs bien huilée, et la tactique consistant à feuilletonner les ralliements pleinement assumée. Les démarchages de personnalités ont démarré il y a plusieurs mois avant d'être actés dès janvier. Mais les noms sont dévoilés au compte-gouttes, avec à chaque fois une interview exclusive dans un média, pour s'assurer une exposition maximale. "On va égrener nos ralliements, car la campagne est longue", sourit Alexandre Loubet. Contrairement à LFI ou aux écologistes, qui ont déjà présenté l'intégralité de leur liste, le RN attendra le 1er mai pour dévoiler les 30 premiers candidats lors d'un meeting à Perpignan. Les partis ont jusqu'au 18 mai pour déposer leur liste.

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