Elections européennes 2024 : la perspective d'un débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen agite les deux camps politiques
Après le débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, programmé le 23 mai, assistera-t-on bientôt à un remake télévisé des deux dernières présidentielles entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ? Depuis plusieurs jours, l'éventualité d'un débat entre le chef de l'Etat et la présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, d'abord relayée dimanche par La Tribune, agite la sphère politique. "C'est une hypothèse qui a été émise par d'autres et par Marine Le Pen elle-même le 21 avril, donc rien de bien nouveau", évacue l'entourage du chef de l'Etat.
Interrogée par BFMTV ce jour-là, lors d'un déplacement à Mayotte, la cheffe de file du RN, qui est jeudi 16 mai l'invitée de "L'Evénement" sur France 2 (20h40), avait ouvert la porte : "Pourquoi pas. (...) Cela ne me poserait aucune difficulté". Cette "hypothèse", émise en pleine campagne pour les élections européennes, est bien à l'étude du côté de l'Elysée. "C'est une idée qu'Emmanuel Macron caresse depuis longtemps. Elle est sur la table", assure un proche du président de la République.
Mais depuis l'interview du 21 avril, le positionnement de la finaliste de la dernière présidentielle a évolué. Le contexte n'est plus le même aujourd'hui, assure Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN. "Lorsqu'elle a été interrogée sur le sujet, le Premier ministre refusait à l'époque de se confronter à Jordan Bardella. C'est pour ça qu'elle se disait prête à échanger avec le président. Depuis, le débat avec Gabriel Attal a été lancé."
"Il faut la faire sortir du bois"
L'idée relancée ces derniers jours d'un face-à-face télévisé avec Emmanuel Macron agace le camp de Marine Le Pen. "Elle trouve contradictoire de proposer un débat de présidentielle alors qu'ils nous reprochent en permanence de nationaliser le débat, d'évoquer le rôle des européennes dans la dynamique de la future présidentielle, de parler d'élections de mi-mandat", accuse son entourage. L'ancienne présidente du RN propose désormais de confronter leurs idées après les européennes et les Jeux olympiques. "Je pense qu'il doit se dérouler en septembre, sauf si le président annonce que, s'il perd [les élections européennes], il procédera à une dissolution. Alors là, peut se justifier un débat", a-t-elle affirmé mardi sur BFMTV.
"Il serait très utile qu'elle puisse débattre avec le président à ce moment-là sur le thème : 'Que va-t-il faire des trois longues années qui lui restent ?'", poursuit son entourage. La position lepéniste a immédiatement suscité les ricanements du camp présidentiel. "Il y en a une qui se dégonfle, elle a trop peur d'y perdre des plumes !", accuse une ministre, fustigeant une "Marine Le Pen qui a peur". Le discours est le même du côté de la majorité parlementaire. "Marine le Pen a peur de débattre avec lui, car tout le monde aura les yeux rivés sur ce débat et elle sera démasquée", estime la députée Renaissance Nadia Hai. "Plus on la force à sortir de son silence, mieux c'est. Elle prospère sur le vide, il faut la faire sortir du bois", ajoute son collègue Mathieu Lefèvre.
Alors que la candidate du camp présidentiel est en difficulté dans les sondages, les soutiens du président de la République misent sur l'engagement d'Emmanuel Macron dans la campagne pour mobiliser leur électorat et enclencher une remontée. Ces dernires semaines, dans différentes enquêtes d'opinion, Valérie Hayer accuse une quinzaine de points de retard sur la tête de liste RN, Jordan Bardella, et doit également faire face à la dynamique du candidat socialiste, Raphaël Glucksmann. Quoi de mieux dans ces conditions qu'un duel entre le chef de l'Etat et Marine Le Pen pour appâter l'électorat macroniste ? "L'organisation d'un débat avec elle serait une manière de réduire les européennes à un duel avec le RN et donc d'éclipser le danger Glucksmann. C'est une stratégie un peu désespérée", analyse le spécialiste de communication politique Philippe Moreau-Chevrolet, professeur à Sciences Po et président de MCBG Conseil.
Un pari risqué pour Emmanuel Macron ?
Le format, s'il se concrétisait, n'est pas totalement inédit. Le 3 septembre 1992, deux semaines avant le référendum sur le traité de Maastricht, François Mitterrand avait affronté sur le petit écran le tenant du "non", Philippe Séguin, ministre de l'Emploi dans le gouvernement de Jacques Chirac. Le risque d'un décrochage du "oui" dans les sondages avait convaincu le président de la République de descendre dans l'arène. Il avait dominé ce duel, retrace Le Figaro, et le "oui" l'avait emporté sur le fil, avec un peu plus de 51% des voix.
"C'est un précédent qui crédibiliserait la démarche d'Emmanuel Macron, décrypte Philippe Moreau-Chevrolet. En répétant ce format Mitterrand-Séguin, il rappellerait à son électorat âgé des souvenirs tout en lui permettant d'enfermer le RN dans un clivage anti-Europe que le parti d'extrême droite cherche à éviter." Mais l'exercice n'est pas sans risque pour le chef de l'Etat.
"Le risque majeur d'un tel débat pour Emmanuel Macron est de faire de l'élection européenne un référendum sur sa personne, et c'est ce que cherche le RN."
Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politiqueà franceinfo
Les soutiens du président de la République n'y voient, eux, que des avantages. "Aucun risque pour lui. Il porte un projet pour l'Europe, c'est un leader qui pèse, il a de vraies propositions", assure l'un de ses proches, pour qui l'objectif premier d'un affrontement télévisé avec Marine Le Pen serait de faire "craquer le vernis du RN".
Mais, dans la majorité, certains doutent de la pertinence de ce possible rendez-vous. "Je n'y suis pas favorable. On consoliderait l'ascension de Marine Le Pen. Si elle n'était pas très mauvaise, ça serait un cadeau", estime une députée Renaissance. "Je préférerais que le président passe ses week-ends sur les foires et marchés à faire campagne en direct avec les gens. Ça, ça marche très bien", ajoute un conseiller ministériel. En 2017 et 2022, les deux débats d'entre-deux-tours de la présidentielle avaient tourné à l'avantage d'Emmanuel Macron. Mais à un peu plus de trois semaines du scrutin européen, le 9 juin, l'objectif d'une victoire semble, cette fois, hors de portée du camp présidentiel.
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