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"C'est quelle élection dimanche ?" : les candidats aux départementales et aux régionales face au désintérêt des Français

Le scrutin de ce dimanche 20 juin peine à mobiliser les foules, constatent les candidats interrogés par franceinfo. Plusieurs facteurs expliquent l'indifférence des électeurs. 

Article rédigé par Juliette Campion, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le candidat RN aux régionales en Bourgogne-Franche-Comté, Julien Odoul, sur un marché de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), le 12 juin 2021. (FLORIAN JANNOT-CAEILLETE / HANS LUCAS / AFP)

"Je leur dis : 'Allez voter dimanche !' Mais ils me répondent : 'C'est quelle élection, dimanche ?'" Voilà le genre de remarques entendues sur les marchés par Laurent Jacobelli, tête de liste du Rassemblement national dans le Grand Est. A quatre jours du premier tour des élections régionales et départementales du 20 juin, les candidats peinent à capter l'attention des électeurs qui, pour beaucoup, découvrent encore l'existence de ce double scrutin. Le parti de Marine Le Pen bénéficie pourtant habituellement d'un électorat très mobilisé. Mais cette fois, l'ancien candidat de Debout la France observe un manque criant de sensibilisation des citoyens qu'il rencontre, prévoyant qu'il pourrait y avoir "des abstentionnistes malgré eux". Non pas "ceux qui ne viennent pas voter car 'cela ne sert à rien'", mais des électeurs qui ne sont tout simplement pas informés de cette échéance électorale.

Officiellement lancée lundi 31 mai, la campagne ne parvient pas à mobiliser les citoyens, et l'abstention s'annonce, une fois de plus, "tout à fait massive", prédit d'ores et déjà Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop. Un récent sondage prévoit une abstention autour de 60%, un record absolu pour une élection régionale. "Ce n'est pas faute de faire du 'boîtage', du tractage, d'aller sur les marchés…" regrette le député Maxime Minot, candidat LR aux départementales de l'Oise, qui constate lui aussi une certaine indifférence de ses concitoyens.

"A longueur de journée , je leur dis : 'N'oubliez pas, c'est ce dimanche-là qu'il faut voter.'"

Maxime Minot, candidat LR aux départementales de l'Oise

à franceinfo

La faute, en partie, au manque de communication du gouvernement sur ce scrutin local, assurent plusieurs candidats interrogés par franceinfo. "Il y a un déficit d'information majeur, parce qu'on ne s'est pas donné les moyens de sensibiliser largement", tance Charles Fournier, tête de liste Europe Ecologie-Les Verts aux régionales en Centre-Val de Loire. Il affirme avoir écrit il y a plusieurs mois un courrier à la préfète, "avec des propositions pour améliorer la mobilisation et susciter l'intérêt". Il attend toujours une réponse.

Manque de com' du gouvernement, intrusion du Covid...

"Les citoyens reçoivent la profession de foi seulement quelques jours avant le scrutin : on aurait pu doubler l'envoi et faire des circulaires vidéos sur les grandes chaînes d'info nationales", avance-t-il. La tête de liste de l'union de la gauche dans les Hauts-de-France, Karima Delli, pointe aussi une "absence totale de grande campagne d'information publique".

Surtout, la crise sanitaire a bouleversé la manière de faire campagne, avec des contraintes qui l'ont "rendue difficile voire inaudible", assure Karima Delli. Jusqu'au 9 juin, troisième étape du déconfinement, les rassemblements publics étaient très contraints et devaient "se faire surtout en extérieur", rappelle l'eurodéputée. Depuis, les candidats peuvent à nouveau organiser des meetings pouvant aller jusqu'à 5 000 personnes.

De quoi redonner du souffle à la campagne, ce dont se réjouit Hervé Morin, candidat à sa réélection en Normandie. Le centriste a pu organiser, lundi soir, un meeting au Palais des congrès de Rouen, avec un total de 600 personnes. "Les contraintes, c'est qu'il faut veiller aux jauges et organiser une inscription nominative des participants en cas de cluster : c'est plus lourd à organiser." Maxime Minot trouve, lui, que "c'est une opération périlleuse de faire des meetings en demi-jauge dans des salles intérieures" et redoute d'être tenu responsable d'un cluster. Le candidat de l'Oise a constaté que le porte-à-porte était aussi plus compliqué, avec la sensation "de faire intrusion dans la sphère vitale des gens".

"Pas la tête aux scrutins"

Le report d'une semaine du scrutin, acté mi-avril par l'Assemblée nationale, a ajouté d'autres contraintes logistiques pour les candidats comme Ronan Sohier (EELV), qui se présente en Ille-de-Vilaine et a dû réimprimer l'ensemble de ses tracts qui affichaient des dates obsolètes. Da manière générale, le Covid-19 pèse sur l'organisation et sur le mental des votants potentiels. 

"Il y a une forme de lassitude post-Covid à l'égard de la politique, qui leur paraît lointaine."

Nicolas Forissier, candidat de la droite dans le Centre-Val de Loire

à franceinfo

Son collègue de l'Oise, Maxime Minot, abonde : "On a l'impression que les gens ont la tête ailleurs que dans les élections." Même sentiment chez le candidat EELV Charles Fournier, qui comptait sur "la jeune génération climat" pour booster sa campagne, y compris dans les urnes. Avant la période Covid, "les jeunes manifestaient dans la rue les vendredis pour le climat, sur leur temps de cours. Mais il n'y a plus cette dynamique temporelle commune, les élections ont lieu au moment où les étudiants ont décroché de leurs études", analyse-t-il. Plus globalement, "c'est le retour à la vie normale maintenant, les Français ont envie de retrouver une joie de vivre et on n'a pas nécessairement la tête aux scrutins", résume Karima Delli. 

Un scrutin fortement nationalisé

Le retour des beaux jours et le déconfinement n'expliquent pas à eux seuls le désintérêt des Français pour ces élections. La nationalisation de ce scrutin brouille aussi les pistes, pointent les candidats. "Les électeurs ont tendance à mélanger les enjeux et à faire rentrer du national dans le local", soupire Christelle Morançais, la présidente sortante LR des Pays de la Loire et candidate à sa réélection. "Les gens ont l'impression que c'est une espèce de répétition générale de l'élection présidentielle. Or, le conseil régional, par son budget et ses compétences, sa capacité à booster les territoires, a une importance très grande et cela devrait être une élection locale", abonde Nicolas Forissier.

Dans les régions très médiatisées, le phénomène est bien plus accentué. "La nationalisation du scrutin est incroyable ! Les Moretti, les Le Pen et les Bertrand ne parlent jamais des enjeux locaux", s'agace Karima Delli. Dans sa région, les Hauts-de-France, pas moins de cinq ministres sont candidats tandis que Xavier Bertrand, le président sortant, a d'ores et déjà annoncé sa candidature à la présidentielle.

"Quand il y a un coup de lumière sur les Hauts-de-France, ce n'est pas sur les régionales ! On a brouillé les choses, c'est devenu un débat national."

Karima Delli, tête de liste de la gauche et des écologistes dans les Hauts-de-France

à franceinfo

La nationalisation du scrutin va aussi de pair avec une méconnaissance des compétences des régions et des départements. "A mesure que les jours passent, les électeurs sont de plus en plus informés, mais il y a des confusions entre l'échelon départemental et l'échelon régional : on ne sait pas très bien qui fait quoi", analyse Guillaume Garot, le candidat socialiste des Pays de la Loire. Résultat : les électeurs parlent de tout "sauf des compétences de la région et du département", constate, un brin dépité, Alexandre Saada, conseiller municipal LREM au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) et candidat aux départementales. "On m'a très peu interrogé sur le fond de mon programme."

La double peine des candidats aux départementales

Et pas plus sur la forme. Car l'organisation des régionales et des départementales, le même jour, ajoute du flou. "Ce double scrutin n'aide pas. Les Français découvrent qu'ils vont voter deux fois", assure Gilles Pennelle, le candidat RN en Bretagne. "C'est déjà si complexe à comprendre, alors avec des modes de scrutin très différents en même temps... Ce n'est pas une réussite", ajoute Charles Fournier, le candidat écologiste du Centre-Val de Loire. En pratique, cette double élection, avec deux votes bien distincts, devra en plus respecter les mesures de sécurité sanitaire.

Et dans ce double scrutin, une élection en a écrasé une autre, les départementales passant à la trappe. Une sorte de double peine pour les candidats. "On s'est sentis écrasés par les régionales qui ont plus passionné nos militants que les départementales", déplore Alexandre Saada. "La surmédiatisation des régionales, notamment dans les Hauts-de-France, a évincé les départementales dont on parle très très peu", renchérit Maxime Minot. Certains ont trouvé la parade en combinant leurs actions militantes. 

"On a fait une campagne commune de terrain ensemble, on se sert de cette caisse de résonance des régionales pour susciter de l'intérêt."

Ronan Sohier, candidat EELV aux départementales en Ille-et-Vilaine

à franceinfo

Pas sûr que cela suffise à déplacer les foules, au grand dam des candidats. "Les gens disent : 'On en a marre de ci, on en a marre de ça'. Mais alors, très bien, votez ! Exprimez-le dans les urnes, c'est le seul moyen que l'on a en France", conclut Enzo Alias, candidat RN dans le canton d'Arles (Bouches-du-Rhône). 

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