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Grève à la SNCF : comment les cheminots s'organisent financièrement pour poursuivre le mouvement

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des manifestants contre la réforme des retraites, le 17 décembre 2019, à Toulouse (Haute-Garonne). (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

La grève a pris racine dans les transports, et notamment à la SNCF. Pour certains salariés, la manifestation de mardi marquait déjà le treizième jour de grève, avec d'évidentes conséquences financières sur leur quotidien. Explications.

Le marathon de la grève fait mal au portefeuille des cheminots en lutte. Au quinzième jour de mobilisation contre la réforme des retraites, jeudi 19 décembre, les syndicats tentent donc de s'organiser et prolonger leur action, malgré la perte de salaire liée aux jours non travaillés. "Evidemment que ça commence à tirer, résume Fabien Villedieu, secrétaire fédéral du syndicat Sud Rail. Ce sont des cadeaux en moins à Noël, mais le plus beau cadeau que je peux faire à mes filles, c'est de me battre pour leurs futures retraites."

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Concrètement, ce conducteur estime avoir perdu 100 euros par jour avec ses 19 ans d'ancienneté, soit 1 500 euros perdus depuis le début du mouvement. Maxime Durand, conducteur et délégué CGT à Montparnasse, travaille depuis treize ans dans l'entreprise. Il évoque pour sa part la somme d'un millier d'euros depuis le 5 décembre. "Les plus bas salaires (agents au guichet, maintenance en journée, informatique…) sont autour de 50 euros par jour. Pour un conducteur, un agent aux trois-huit ou un contrôleur, tout dépend de l'ancienneté".

Maxime Durand, conducteur et délégué CGT à la gare Montparnasse (à droite sur la photo) avant la manifestation parisienne du 17 décembre 2019. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

L'an passé, la SNCF avait de son côté évalué ses pertes à 790 millions d'euros malgré les 100 millions d'euros non versés aux grévistes. Pour les salariés, toutefois, ce manque à gagner n'est pas intégralement porté sur le mois de décembre. En effet, les conducteurs ont droit à des primes de traction – en fonction des kilomètres parcourus – et des primes de découcher – lors des nuits à l'hôtel ou en foyer. Ces indemnités sont payées sur les mois n+1 ou n+2.

Le coût de la grève de décembre sera donc reporté ce mois-ci pour le salaire de base et les deux mois suivants pour les primes. Par ailleurs, le taux de présence est également pris en compte sur la prime d'intéressement, versée en avril.

De l'épargne en prévision

"Ma femme est enseignante et fait aussi la grève, explique Olivier Gilles, conducteur CFDT de TER à Nîmes (Gard). A Noël, il n'y aura pas de cadeaux entre nous." "Après une dizaine de jours, certains collègues ont repris le travail pour des raisons financières. Moi, j'ai une petite épargne mais les jeunes n'ont pas toujours le choix", ajoute cet agent, qui estime ses pertes à 150 euros par jour de grève. Un coup de pouce est toujours le bienvenu, comme ici sur le stand de nourriture du syndicat, place de la République.

Un stand de la CFDT lors de la manifestation parisienne, le 17 décembre 2019. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

D'autres paramètres permettent aux grévistes de faire le dos rond en cette fin d'année. Ainsi, après les agents RATP, fin novembre, les cheminots ont reçu à leur tour les primes de fin d'année. Son montant correspond à 75% environ d'un salaire mensuel, une somme bienvenue au plus fort du conflit. Fabien Villedieu a déjà fait ses comptes : cette somme sera entièrement absorbée par ses jours de grève. "C'est une bouffée d'oxygène pour absorber une partie du conflit", résume le représentant Sud Rail, "mais dans leur budget, beaucoup de cheminots comptaient sur cette somme pour d'autres choses, comme les crédits".

Afin de limiter les risques financiers, certains cheminots choisissent même d'anticiper les mouvements sociaux. "Comme beaucoup, j'épargne une petite somme en prévision d'une éventuelle grève. Depuis un an, je place donc 50 euros tous les mois. Cela fait 600 euros, mais c'est toujours ça", détaille Maxime Durand.

Quand le mouvement s'inscrit dans la durée, certains cheminots font également le choix de "perler" le mouvement. A partir de sept jours de grève, les jours de repos font l'objet d'une retenue sur salaire. Certains interrompent donc leur grève la veille de leurs jours de repos afin de ne pas perdre leur salaire pour les deux jours chômés suivants, ce qui réduit légèrement le coût financier de leur engagement. Bon nombre de conducteurs choisissent tout de même d'opter pour la grève reconductible, notamment dans le personnel roulant.

Des caisses de grève plus ou moins remplies

"Les gens sont prêts à faire des sacrifices importants, note Fanny Arav, de l'Unsa ferroviaire. L'aspect financier n'est pas leur principale préoccupation mais, au niveau du syndicat, on réfléchit à comment les protéger. Ce coût ne fera pas infléchir le mouvement, même s'il est vrai que cela peut faire baisser le nombre de grévistes", explique-t-elle. "L'argent n'est pas un problème et ce n'est pas la question. Nous, on se bat pour le futur", balaie ainsi Lucien, cheminot niortais syndiqué chez Sud. Malgré tout, une petite aide est toujours la bienvenue. Il agite d'ailleurs une petite cagnotte pour payer le bus du retour à Niort. 

Cheminot à Niort, Lucien agite une cagnotte pour payer le bus du retour, mardi 17 décembre 2019, place de la République à Paris. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Les cheminots comptent en effet sur la solidarité nationale et syndicale. Depuis 1973, la CFDT dispose par exemple d'une Caisse nationale d'action syndicale (Cnas), alimentée par les cotisations de ses membres (8,6% du montant de l'adhésion). Celle-ci permet d'aider les grévistes à hauteur de 7,30 euros de l'heure à compter du deuxième jour de mobilisation. Son montant total est aujourd'hui de 126 millions d'euros, expliquait sur LCI le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. "Cette caisse ne concerne pas que la grève", a toutefois expliqué le responsable syndical, mais aussi la défense juridique des salariés et une aide lors des conflits en entreprise.

Du côté de Sud Rail, on se contente pour l'heure de caisses de grève locales. "J'ai fait le point avec les copains et on est à 3 000 euros pour Paris sud-est", commente Fabien Villedieu, délégué syndical. Une somme bien modeste quand on la rapporte aux "cinq à six cents grévistes reconductibles" ou aux "trois à quatre cents adhérents SUD Rail" de la gare de Lyon. Les critères de redistribution n'ont pas encore été décidés mais, au printemps 2018, le succès rencontré au niveau national par une cagnotte en ligne intersyndicale avait permis à Sud Rail de verser des aides en dehors du simple cercle de ses adhérents : 50 euros par jour en-dessous d'une semaine de grève et 100 euros au-delà.

Chez Force ouvrière, le délai de carence est de trois jours et le fonds de solidarité ouvre droit à 12 euros par jour pour les grévistes. "Nous n'avons pas des moyens extraordinaires", précisait Yves Veyrier, secrétaire général de FO, interrogé par Les Echos. Du côté de la CGT, des appels à la solidarité sont régulièrement lancés. En 2016, la CGT Info'Com a lancé une caisse cogérée avec la CGT et Sud, qui a permis de recueillir 960 000 euros en trois ans, dont 630 500 ont été reversés aux grévistes lors de différents mouvements.

Cette fois-ci, Laurent Brun, secrétaire général de la fédération CGT des cheminots, a toutefois accusé les organisateurs de "laisser croire" que leur collecte était réalisée au nom des cheminots CGT, "ce qui n'est pas le cas".

Une transparence annoncée

La CGT joue également la carte locale. La branche SNCF parisienne de Montparnasse, par exemple, dispose d'une sous-section de son compte courant dédiée à la caisse locale de grève. Celle-ci abrite encore quelques milliers d'euros de reliquat du printemps 2018 – environ 20% de la somme recueillie à l'époque. Une demi-douzaine de personnes (cégétistes, membres d'autres syndicats et non syndiqués) composent une commission ad hoc chargée de calculer et de répartir les sommes, après examen des fiches de paie ou du "relevé d'utilisation", qui recense les jours de travail pour chaque cheminot.

Les modalités de répartition seront discutées en assemblée générale, mais cette collecte locale devrait être ouverte à tous les grévistes, syndiqués ou non. "Une caisse de grève pourra peut-être compenser un tiers du salaire, mais pas l'intégralité", précise toutefois Maxime Durand, qui avait participé à la commission locale l'an passé. Ce dernier nuance également l'importance de l'aspect financier dans la mobilisation. "Contrairement à l'opinion souvent admise, ce n'est pas nécessairement l'argent qui fait craquer les grévistes."

Au printemps dernier, certains cheminots qui avaient fait vingt ou trente jours de grève n'avaient même pas déposé de dossier. A l'inverse, certains n'ont pas participé à la grève pour des raisons politiques et non par logique financière. Les convictions passent avant l'aspect financier.

Maxime Durand, conducteur syndiqué CGT

à franceinfo

Pour les syndicats, il n'y a donc pas d'urgence à reverser les montants des cagnottes à la fin du mois. "Nous préférons redistribuer la somme la plus importante possible de manière correcte, explique Maxime Durand. En fin de mouvement, la cagnotte n'est pas fermée immédiatement et on recueille le maximum de dossiers". Le montant total disponible, les indemnités journalières et le nombre de bénéficiaires seront affichés. "Il est important d'être transparent pour montrer au camp d'en face que nous savons nous organiser."

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