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Grève à la SNCF : "La manifestation de jeudi montre que la CGT est dans une impasse"

Alors que le quatrième épisode de grève par épisodes vient de se terminer, les cheminots grévistes semblent de moins en moins nombreux. Rémi Bourguignon, spécialiste du dialogue social, analyse pour franceinfo les raisons de cet essoufflement.

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Mahaut Landaz
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Temps de lecture : 7min
Des manifestants participent à la journée de mobilisation interprofessionnelle organisée à l'appel de la CGT, le 19 avril 2018 à Paris. (MAXPPP)

Les cheminots sont-ils en train de perdre la bataille du rail ? Alors que le gouvernement reste inflexible sur la réforme de la SNCF, adoptée à une écrasante majorité en première lecture à l'Assemblée, mardi 17 avril, le mouvement de grève semble faiblir. Alors qu'il avoisinait les 34% au début de la mobilisation, le taux de grévistes est passé sous la barre des 20%, mercredi 18 avril. Et le lendemain, malgré un appel à des manifestations partout en France lancé par plusieurs syndicats, à peine plus de deux cheminots sur 10 étaient en grève.

Peut-on déjà parler d'un essoufflement du mouvement ? Et auquel cas, comment l'expliquer ? Franceinfo a interrogé Rémi Bourguignon, maître de conférences rattaché à l'université Panthéon-Sorbonne et au Cevipof, et spécialiste du dialogue social. 

Franceinfo : Pour la première fois depuis le début du mouvement social à la SNCF, le taux de grévistes est passé sous la barre des 20%. Est-ce le signe d'un essoufflement ? 

Cela semble effectivement confirmer un essoufflement. Au début de la mobilisation, on était plutôt à un gros tiers de grévistes, les cheminots se mobilisaient avec l'espoir d'influencer les décisions. Mais quand ils se rendent compte que la grève est coûteuse, ne produit pas d'effet et qu'il y a peu de chance de victoire, un certain nombre de gens quittent le mouvement. C'est probablement ce qu'on observe.

Ceux qui continuent à se mobiliser appartiennent à une base syndicale plus resserrée et très militante. On a donc un effet de polarisation dans ce mouvement social.

Rémi Bourguignon

à franceinfo

L'adoption du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale à une majorité écrasante a-t-elle pu accélérer la démobilisation ?

Oui, complètement, c'est le même argument : cette idée que finalement, la mobilisation ne produit pas de résultats. En face, le gouvernement ne semble pas fléchir. Plus on avance, moins il y a de chances qu'il modifie sa politique et sa réforme. Donc certains ont un raisonnement rationnel, où ils calculent le coût versus le résultat, et quittent la mobilisation.

Est-ce aussi parce que les grévistes ne sont pas parvenus à convaincre suffisamment l'opinion publique que le mouvement s'essouffle ?

Ils ont fait un gros travail sur l'opinion publique, qui a plutôt fonctionné, mais qui a mobilisé seulement une frange de la population déjà hostile à Emmanuel Macron. Une grande majorité des Français est restée relativement indifférente sur le contenu de la réforme. Cette majorité pouvait avoir un avis sur les nuisances, sur la capacité du gouvernement à aller au bout, mais finalement la réforme est très technique : beaucoup de gens ne sont pas rentrés dans les détails du texte.

Existe-t-il d'autres facteurs ?

Oui : le mode de décision, par le haut, de cette grève. En 1995, c'est la grogne des cheminots qui a été à l'origine du mouvement et les syndicats étaient dans le suivisme. Ici, le schéma est très différent puisque ce sont les syndicats qui ont lancé le mouvement et qui doivent mobiliser les cheminots. C'est donc nettement plus difficile, les syndicats peinent à mobiliser les cheminots non-syndiqués. C'est révélateur de leur faiblesse dans cette entreprise.

Emmanuel Macron a confirmé il y a quelques jours la reprise d'une partie de la dette de la SNCF par l'Etat et Edouard Philippe a annoncé la fin du statut de cheminot pour les nouveaux entrants à partir de 2020. Ces deux questions tranchées, pourquoi les cheminots se mobilisent-ils encore ?

Il y a des raisons internes aux organisations syndicales. Les décisions du gouvernement sont compatibles avec la position de la CFDT, qui avait accepté dès le départ de discuter, de négocier la réforme, la dette et la fin du statut. Elle souhaitait simplement des garanties. C'est pour cela que la CFDT dispose d'une fenêtre pour sortir du conflit de manière honorable en disant que, finalement, elle a obtenu des choses.

La situation est différente pour la CGT. Elle est sur des positions assez radicales et très militantes, en prônant la mobilisation plutôt que le dialogue. Elle est contre la réforme, contre l'ouverture du marché : le compromis est difficilement acceptable pour sa base.

La CGT est bloquée dans une impasse. En demandant le retrait de la réforme, ils se privent d'une position de sortie, sauf à gagner le rapport de force, mais l'espoir que le gouvernement recule est extrêmement faible aujourd'hui.

Rémi Bourguignon

à franceinfo

Pour la CGT, il est extrêmement difficile de sauver la face. Si le conflit s'arrête sur cet essoufflement, la CGT va entrer dans une crise probablement très lourde puisqu'elle aura fait la démonstration sur plusieurs mouvements consécutifs – contre la loi El Khomri, les ordonnances travail et maintenant la réforme de la SNCF – qu'elle a tenté des mobilisations et a échoué à chaque fois. Cela va amener une crise à la CGT. On ne voit pas très bien quelle sortie est possible, c'est pour ça qu'elle a tendance à s'enfermer dans cette radicalité.

La stratégie de "convergence des luttes", incarnée par la manifestation de jeudi, qui a réuni des cheminots, des agents de la RATP et des professionnels de l'énergie notamment, peut-elle être payante ?

La stratégie de convergence des luttes est celle de la dernière chance pour la CGT. Il y a une différence très nette entre la CFDT de Laurent Berger qui cherche à sortir du conflit, et la CGT qui, pour le moment, ne peut en sortir et cherche à donner de l'ampleur par cette convergence des luttes.

Mais la manifestation de jeudi, qui a bien moins mobilisé que les précédentes, confirme que la CGT est dans une impasse, et que la mobilisation reste le fait d'un petit groupe militant.

Cette stratégie de la convergence des luttes est donc vaine ? 

En mobilisant d'autres bastions, les syndicats prennent le risque de corroborer l'argument du gouvernement selon lequel ces mobilisations sont moins motivées par la défense du service public que par la défense du statut des agents. Pourquoi ? Parce qu'on parle là de la RATP,  d'EDF, bref des salariés à statut. Or, ils ne représentent pas la fonction publique de manière générale. Le 22 mars, lors de la mobilisation de la fonction publique, il y avait seulement 10% de grévistes.

Là, il y a un appel pour le 22 mai, mais les fédérations syndicales de la fonction publique n'accélèrent pas le calendrier.

Je ne suis pas sûr qu'il y ait un sentiment de solidarité très fort entre les fonctionnaires et les cheminots.

Rémi Bourguignon

à franceinfo

Ils auraient pu chercher à faire grève beaucoup plus tôt pour rejoindre la SNCF en disant : "Tout ça n'est finalement qu'un seul et même grand mouvement de défense du service public." De toute évidence, les fédérations du service public ne veulent pas être associées au mouvement de la SNCF, gardent leurs propres agendas et refusent de s'aligner sur la convergence des luttes. 

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