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Le scandale de l'écotaxe : enquête sur un échec à 10 milliards d'euros

Pourquoi l'addition de l'écotaxe grossit-elle tous les jours ? Quelles sont les conséquences de son abandon ? Secrets d'Info revient sur une facture très lourde pour l'État français. 

Article rédigé par Elodie Guéguen, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L'écotaxe a été suspendue en novembre 2016 mais les portiques n'ont pas été démontés à cause du coût financier de l'opération. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

En 2007, l'écotaxe prévoyait de taxer les poids lourds de plus de 3,5 tonnes, sur certains tronçons du réseau routier français. Elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014, mais elle a été suspendue en novembre 2016. Selon les calculs de Stéphane Giraud, directeur de l’association écologiste Alsace Nature, la facture s'élève déjà à ce jour à plusieurs milliards d’euros.

 Le choix des Italiens

Pour collecter l'écotaxe, le gouvernement Fillon a élaboré un partenariat avec un partenaire privé. Le choix s’est arrêté sur le groupe Italien Autostrade (derrière lequel on trouve la puissante famille Benetton). Autostrade s’est allié, dans la dernière ligne droite, à plusieurs entreprises françaises comme Thales, SNCF et SFR. Le consortium choisi a été baptisé "Ecomouv". Il devait collecter l’écotaxe pour le compte de l’État et se rémunérer en récupérant environ 20% des recettes de la taxe.

"On a choisi l’italien Autostrade alors que la Sanef voulait ce contrat, explique le journaliste spécialiste des transports, Marc Fressoz.  Les autoroutiers ont tiré à boulet rouge sur l’Italien. En plus, qui dit Italien dit “mafia”, d’où les suspicions d’affaires de corruption…"

Soupçons de favoritisme

Marc Richer, l'avocat de la société d'autoroutes Sanef, a découvert qu’un cabinet qui travaillait pour Autostrade conseillait aussi le gouvernement français dans la mise en place du dispositif de l’écotaxe. Pour lui, il y a conflit d'intérêt : "Le groupement retenu avait pour conseil technique un consultant qui travaillait déjà pour l’État, qui était donc juge et partie", détaille l'avocat.

Le consultant du gouvernement s'est défendu en affirmant que ceux qui travaillent comme juges boudaient ceux qui travaillaient comme parties. Je ne peux pas le croire

Marc Richer, avocat de la Sanef

franceinfo

Pendant des mois, la rumeur d'une procédure d’appel d’offres irrégulière se répand. En ligne de mire : les ministres des Transports et de l’Environnement du gouvernement Fillon qui ont conclu le contrat. Ils réfutent les accusations de favoritisme. Et ils martèlent que leur choix de la société Ecomouv a été validé par une commission consultative composée d’experts indépendants. Mais, de l’aveu même de celui qui présidait cette commission, le conseiller d’Etat honoraire Roland Peylet, cette commission n’a eu qu’un rôle marginal dans ce dossier et ne s’est réunie que trois fois.

Le climat de suspicion qui entoure le contrat de l’écotaxe entraînera, par la suite, la formation de plusieurs commissions d’enquête au Parlement. Elles s’interrogeront notamment sur un épisode dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012. Le ministre des Transports, Thierry Mariani, est déjà dans ses cartons lorsqu’il signe un décret essentiel dans ce dossier de l’écotaxe.

Le député François-Michel Lambert, qui a siégé à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la taxe poids lourds, s’interroge sur ce calendrier : "On est à deux jours du second tour dont chacun savait que l’alternance avec François Hollande allait avoir lieu. Est-ce que ce n’est pas une armée en déroute qui planque un trésor ?" De son côté, Thierry Mariani réfute avoir agi contre l’intérêt du pays. 

Je rappelle que l'écotaxe avait été votée donc il était normal de l'appliquer

Thierry Mariani, ancien ministre des Transports

franceinfo

En février 2011, le Service central de prévention de la corruption (organe qui dépendait de la Chancellerie) alerte le parquet sur de possibles "irrégularités". Le parquet de Nanterre ouvre alors une enquête mais elle sera très vite classée sans suite par le procureur de l’époque, Philippe Courroye.

En 2013, son successeur relance des investigations qui se poursuivent encore aujourd’hui. L’enquête est alors confiée à l’office anti-corruption de la police judiciaire. Elle comporte plusieurs volets. D'abord, les conditions d'installation de la société Ecomouv sur une ancienne base aérienne à Metz. Une sénatrice a transmis à la justice un certain nombre de factures qui lui semblaient litigieuses. Le deuxième volet ce sont les clauses du contrat qui liaient Ecomouv à l’État et lui ont permis de toucher un milliard d’indemnités après la suspension du contrat. Cette somme interroge les enquêteurs.

Selon nos informations, les investigations diligentées par le parquet de Nanterre sont sur le point de se terminer. Pour le moment, personne n’est poursuivi dans ce dossier.

Choix technologiques aberrants et retards répétés

Les choix technologiques faits à l’époque par l’administration expliquent aussi ce fiasco. Le député François-Michel Lambert ne comprend toujours pas pourquoi des portiques ont été installés au-dessus des routes. Ils ne devaient pas servir à collecter la taxe mais à vérifier que les camions qui empruntaient les routes étaient bien enregistrés auprès de la société Ecomouv. Pour François-Michel Lambert, ce système était déjà obsolète au moment où il a été mis en place : "C’était très coûteux et ça ne répondait à quasiment aucun besoin !" Ces portiques sont toujours en place au bord des routes car il serait trop coûteux de les désinstaller.

Si l’écotaxe a été un échec, c’est aussi, sans doute, parce que sa mise en place a été sans cesse reportée. Le consortium Ecomouv a été choisi en 2011. Le gouvernement ne communique plus trop sur la mise en place de la taxe poids lourds. Pour ne pas effrayer les électeurs à l’approche de l’élection présidentielle ? Sans doute, reconnaît aujourd’hui l’ancien secrétaire d’Etat aux Transports, le député Les Républicains, Dominique Bussereau : "L’administration a sans doute pris son temps parce qu’on lui a demandé de prendre son temps..." Une fois à l’Elysée, François Hollande doit faire face à la révolte des Bonnets rouges sur fond de ras-le-bol fiscal. La taxe poids lourds sera suspendue, puis abandonnée.

Gabegies en série

En 2013, Ségolène Royal affirme que cette annulation du contrat avec Ecomouv permet de faire des économies. Mais selon le rapport de la Cour des comptes, "les intérêts de l’Etat n’ont pas été protégés". Elle a ciblé une série de dysfonctionnements. Ainsi l’État a payé pendant plusieurs mois l’exploitation à vide du dispositif écotaxe, ce qui a coûté 181 millions d’euros. Par ailleurs, des installations et des équipements ont été bradés après la rupture du contrat avec Ecomouv. Selon les magistrats de la rue Cambon, l’État a fait une mauvaise opération. 

Le mobilier du centre éco-mouv à Metz a été vendu à 17% de sa valeur. Les serveurs informatiques du système d'exploitation de l'écotaxe ont été vendu à 2% de leur valeur

Cour des Comptes

dans un rapport

Des transporteurs avaient aussi investi pour équiper leurs camions et ils n’ont jamais été indemnisés, selon Florence Berthelot, la déléguée générale de la Fédération nationale du transport routier (FNTR).

Les automobilistes pénalisés

Pour compenser l’abandon de l’écotaxe, Ségolène Royal avait choisi d’augmenter de deux centimes le prix du litre de gazole. Un choix qui n’est pas juste selon la Cour des comptes : "L'écotaxe devait peser sur les poids lourds étrangers circulant en France à hauteur de 31%", explique le rapport. "La compensation de son abandon par un relèvement de la taxe par le diesel ramène cette contribution à 2% et fait donc supporter cet abandon par les poids lourds français et les automobilistes à hauteur de 98%?"

L’écotaxe devait aussi servir à renflouer les caisses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) qui supervise et finance les grands projets routiers ou ferroviaires dans notre pays. Mais la nouvelle taxe sur le diesel, qui rapporte un peu plus d’un milliard par an, ne va pas en totalité dans ses caisses, contrairement à ce qui était prévu avec l’impôt sur les poids lourds.

Les conséquences sur le développement du transport ferroviaire sont très concrètes, comme le décrit l’ancien ministre Dominique Bussereau : "On va mettre en service la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux. C’est un coût de 8 milliards d’euros. Figurez-vous que l’AFITF ne peut pas payer la part de l’Etat ! Et donc SNCF Réseaux emprunte pour payer la part de l’État. L’AFITF est obligée de faire emprunter des opérateurs publics pour payer sa part."

Pénalisant pour les grands projets de transports ? 

Plus généralement, Dominique Bussereau se dit très inquiet pour l’avenir des grands projets en matière de transport. Quant à l'avenir de certaines routes nationales et départementales qui ont besoin d'être rénovées, Philippe Duron, membre du Parti socialiste, n'est pas très optimiste : "Il y a une dégradation des chaussées et des ouvrages d’art. L’État ne met plus assez d’argent. Il faudrait au moins 500 millions d’euros par an pour rénover nos routes. Or, l’État n’en met que 350." La faute, estiment ces deux députés, à l’abandon de l’écotaxe sur les poids lourds. Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes chiffre le manque à gagner à environ dix milliards d'euros en 2026, date à laquelle le contrat avec Ecomouv devait prendre fin. 

De nombreux écologistes, favorables à une taxe sur les poids lourds, voient un espoir dans l’entrée au gouvernement de Nicolas Hulot. Remettra-t-il le sujet sur la table ? Le journaliste spécialiste des transports, Marc Fressoz, ne le croit pas. Le sujet est encore éminemment sensible. "Dans les années qui viennent, c'est quasiment impossible de remettre la taxe poids lourds sur la table car les cicatrices ne sont pas refermées et le  traumatisme est encore très grand", souligne Marc Fressoz.

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