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Réforme des retraites : l'examen des milliers d'amendements de l'opposition coûte-t-il 1,5 million d'euros par jour, comme l'affirme un député LREM ?

Forcée d'examiner 40 000 amendements, la majorité critique une "obstruction parlementaire" qui coûterait cher au contribuable. En théorie, ce calcul est juste.

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise, s'exprime sur le projet de loi de réforme des retraites à l'Assemblée nationale, le 19 février 2020. (ALAIN JOCARD / AFP)

Une pluie d'amendements et de sous-amendements tombe sur l'Assemblée nationale. Depuis lundi 17 février, les députés examinent le projet de loi de réforme des retraites. Pour exprimer leur désaccord, l'opposition a déposé plus de 40 000 amendements, dont 56% par La France insoumise et 32% par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Une technique d'"obstruction parlementaire", estime la majorité présidentielle.

Sur Twitter, le premier questeur de l'Assemblée nationale, Florian Bachelier, affirme qu'une journée d'examen de ces amendements et sous-amendements coûte 1,5 million d'euros à l'Etat. Son collègue de La République en marche, Jean-René Cazeneuve, cité dans son message, a affirmé en séance qu'il faudrait "20 ans de débats nuit et jour" pour venir à bout du travail parlementaire.

Un coût quotidien théoriquement juste

Contacté par franceinfo, Florian Bachelier, député de l'Ille-et-Vilaine, explique s'être fondé sur le budget annuel de l'Assemblée – "550 millions d'euros", selon lui – pour parvenir à son estimation. Les dépenses budgétaires totales décidées pour l'année 2020 s'élèvent, après vérification, à près de 568 millions d'euros, dont un déficit prévu de 48 millions d'euros. Par jour, le coût d'une journée de travail parlementaire s'élèverait donc à environ 1,5 million d'euros. 

Mais Brice Lacourieux, collaborateur parlementaire et blogueur pour Le Monde, tempère ce calcul qui ne constitue qu'une moyenne sans prendre en compte la nature de chaque charge de fonctionnement.

Chaque jour ne se vaut pas, une journée de week-end vaut par exemple plus cher.

Brice Lacourieux

à franceinfo

Le député communiste Pierre Dharréville n'y voit cependant qu'une critique facile du travail parlementaire : "Ce ne sont pas des arguments sérieux [et] j'aimerais bien que La République en marche ait la même précision sur le chiffrage de sa réforme mais c'est loin d'être le cas."

Des années pour examiner tous les amendements

Quant aux vingt années d'examen "jour et nuit" du projet de loi avancées par Jean-René Cazeneuve, le calcul est plus complexe. Interrogé par franceinfo, l'élu du Gers explique avoir multiplié les 40 000 amendements déposés jusqu'ici par 40, soit le nombre théorique de sous-amendements déposé par amendement "selon le rythme [du 20 février]" – cette estimation n'a pu être vérifiée. En considérant qu'il faut 2 minutes d'examen par sous-amendement, "le strict minimum", selon le député de la majorité, et en se basant sur des journées de travail de huit heures, il faudrait donc théoriquement plus de 18 années pour étudier l'ensemble du texte.

C'est sans compter les suspensions de séance et les rappels au règlement.

Jean-René Cazeneuve

à franceinfo

Brice Lacourieux pointe également du doigt la stagnation du nombre d'amendements à traiter. Rappelant l'estimation de "150 jours" donnée jeudi 20 février par le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, il constate que "le nombre d'amendements qu'il reste à traiter bouge très peu" du fait de l'ajout continuel de sous-amendements au projet de loi par l'opposition. "Donc potentiellement cela peut durer un temps infini", note-t-il.

Vers une utilisation de l'article 49.3 ?

L'élu communiste Pierre Dharréville se défend : "Nous faisons notre travail de parlementaires. (...) Nous avons beaucoup de questions à poser, beaucoup de choses à dire sur ce mauvais projet [de loi]." Et le député d'accuser le gouvernement, "depuis le début", de ne pas vouloir "discuter". Il mentionne notamment l'interruption du travail de la commission spéciale et la réduction du temps de parole des parlementaires.

Une majorité de doublons constitue pourtant l'essentiel de ces amendements : 76% d'entre eux sont même des textes répétés 15 fois ou plus, alors même que l'élu affirme à franceinfo employer cette technique "le moins possible". Ceci étant, il ne cache pas leur utilité : "Pour faire valoir un certain nombre de nos idées et de nos propositions, il nous faut bien du temps de parole (...) pour produire des arguments, poser des questions, faire des interventions de fond qui sinon ne pourront pas avoir lieu, c'est aussi la fonction d'un amendement", justifie Pierre Dharréville.

Pour Jean-René Cazeneuve, "les amendements [de l'opposition] sont bidons". Et les députés de gauche "ne commentent pas l'amendement, ils parlent du financement, des femmes à la retraite, des sapeurs-pompiers, mais pas de l'amendement". "Notre souhait c'est d'aller au bout du débat, d'y passer le temps nécessaire mais il faut que ce soit un débat constructif, réclame l'élu de la majorité. Mais face aux heures d'examen restantes du projet de loi, l'usage du 49.3 par le gouvernement "paraît inévitable", suppose Brice Lacourieux : comme l'expose le site de l'Assemblée nationale, le travail reste pour l'instant focalisé sur... le premier article.

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