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La méthode Macron pour imposer sa loi à l'Assemblée

Le ministre de l'Economie a démontré son habileté politique en multipliant concessions et discussions avec son camp comme avec l'opposition.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, le 12 septembre 2014 à Bercy. (FRED DUFOUR / AFP)

"Très pédagogue", "à l'écoute", "respectueux", les superlatifs se bousculent depuis quelques jours au sujet des compétences d'Emmanuel Macron, qui présente depuis le 26 janvier à l'Assemblée sa loi pour la croissance et l'activité. A 37 ans, le jeune ministre de l'Economie a déjà étonné de nombreux députés par son habileté politique lors de l'examen du texte en commission, du 12 au 19 janvier, et continue de surprendre dans l'hémicycle.

Parfois comparé à Alain Juppé ou Laurent Fabius, Emmanuel Macron serait-il le "meilleur d'entre nous", selon la célèbre formule de Jacques Chirac ? En tout cas, dans Les Echos, François Hollande ne tarit pas d'éloges sur son ministre : "jeunesse", "fraîcheur", "compétence", "culot", "Emmanuel Macron est un fidèle, un loyal, et un homme sincère". Francetv info s'est penché sur la recette du succès de la méthode Macron.

Une concertation en amont

La méthode Macron, c'est d'abord une dose de concertation et un soupçon d'anticipation. Le travail autour de la loi n'a pas débuté à l'Assemblée en janvier, mais bien dans les couloirs de Bercy depuis plusieurs mois. "Quand il arrive à Bercy en août, il décide de reprendre le projet Montebourg en lui donnant une cohérence et sa vision", assure à francetv info le cabinet du ministre de l'Economie. A partir de là, il entame un cycle de concertation, notamment avec les représentants des professions réglementées touchées par la loi.

Après la présentation de sa loi en Conseil des ministres, il rencontre les députés socialistes, écologistes et centristes pour leur présenter le projet. L'UDI a été particulièrement touchée par cette attention. "Le jour de la prise d'otages à l'Hyper Cacher, on s'est retrouvés dans son bureau avec trois autres députés UDI pour éplucher le texte", raconte à francetv info le député Jean-Christophe Fromantin. "J'ai été surpris de me retrouver dans une atmosphère de rendez-vous plus 'business' que politique (...). Pour une fois que le fond prime sur la cuisine politicienne !"

Une ambiance apaisée favorisée par l'"unité nationale"

Dès le début des réunions de la commission spéciale, Emmanuel Macron a voulu donner le ton. "Il s'est tout de suite montré à l’écoute, sympathique, respectueux de ses interlocuteurs, et n'est pas arrivé avec des idées préconçues", note le député PS Stéphane Travert, qui a un temps accompagné le groupe des frondeurs. La majorité des parlementaires interrogés loue la capacité d'écoute et de dialogue du ministre.

Tout ne repose pas sur le talent d'Emmanuel Macron. Le ministre a sans doute bénéficié de circonstances exceptionnelles. L'unité nationale consécutive aux attentats de début janvier a permis d'instaurer un climat de travail plus serein. "Après des événements comme ça, on n'a plus envie de se taper dessus pour un rien", lâche Jean-Christophe Fromantin. Le député UDI ajoute un autre argument : "Il s'agit d'un texte technique avec des dispositions pratiques et non idéologiques, les députés ne peuvent donc pas rester dans la posture, sauf à se ringardiser."

Un sens certain de la pédagogie

"Emmanuel Macron a démontré une excellente connaissance du projet de loi, en donnant l'impression de ne jamais être mis en difficulté en 82 heures de commission, note le député PS Jean-Patrick Gille. Sa maîtrise technique, sans être pour autant technocrate, a bluffé tout le monde." Pour son entourage, son expérience dans le privé, notamment comme banquier d'affaires, est un indéniable atout. Plusieurs parlementaires soulignent aussi sa compétence pour expliquer les points techniques de la loi, un sens de la pédagogie qui lui permet de convaincre ses interlocuteurs.

Un investissement jour et nuit

Présent d'un bout à l'autre du travail en commission - et parfois jusque tard dans la nuit -, l'endurance physique du ministre a également étonné plusieurs députés. Pour le socialiste Julien Dray, qui déjeune souvent avec le ministre de l'Economie, une seule explication : "C'est un très gros bosseur, un bourreau de travail, et il s'est constitué une équipe à son image, des jeunes dévoués corps et âme." Un membre de son équipe confirme qu'entre les réunions du week-end et les mails reçus "parfois bien après minuit", Emmanuel Macron ne chôme pas. "Il a besoin de peu d'heures de sommeil", explique son entourage.

Un vrai dialogue avec les parlementaires

"Il a adopté une méthode originale en nommant beaucoup de rapporteurs et en acceptant des évolutions à son texte", remarque Olivier Falorni, député du groupe radical. Ce qui a séduit de nombreux parlementaires, c'est la "co-construction" du projet de loi, "avec d’un côté un gouvernement qui propose une loi et de l'autre le Parlement qui l’enrichit", détaille Stéphane Travert. En acceptant plusieurs amendements, Emmanuel Macron a permis aux parlementaires de s'impliquer dans ce projet de loi. Il a notamment reculé au sujet de la vente des médicaments en grande surface et sur certaines dispositions sur le travail du dimanche.
 
A la clôture des travaux de la commission, Emmanuel Macron s'est réjouit d'avoir "collectivement construit une forme de consensus". Le ministre s'est assuré le soutien d'une majorité du groupe socialiste - y compris quelques frondeurs - mais aussi celui du groupe UDI et de quelques députés UMP. Hervé Mariton, Olivier Carré ou Frédéric Lefebvre ont déjà annoncé qu'ils voteraient pour, d'autres hésitent encore. Mais le député écologiste Denis Baupin, opposé en l'état à la loi Macron, tient à relativiser ce portrait du ministre. Là où certains voient de la souplesse, lui voit de la stratégie : "C'est un garçon très intelligent et très malin, qui a toujours un mot gentil pour dire que vos préoccupations sont pertinentes, juste avant de refuser vos propositions."

 

Et maintenant ? Le vrai test politique reste à venir pour le ministre, avec le vote de la loi. "C'est à ce moment-là que l'on va voir s'il pèse ou s'il est dépassé", prévient Jean-Christophe Fromantin. "D'ailleurs, je le trouve un peu moins à l'aise dans l'hémicycle, il rentre dans une phase plus politique", s'inquiète Jean-Patrick Gille. Illustration avec le député socialiste Laurent Baumel, très critique sur un texte "d’inspiration sociale-libérale", qui estime que "la véritable habileté tactique pour le ministre serait de parvenir à faire voter les frondeurs". Réponse le 10 février, jour prévu pour le scrutin.

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