"Amicalité", hostilité et gros marchés : on vous explique la tentative d'OPA de Veolia sur Suez
Après avoir tenté pendant plusieurs mois de trouver un accord amiable pour racheter son concurrent, le numéro un mondial de l'eau et des déchets a annoncé, dimanche, le lancement d'un "raid" boursier qui va à l'encontre des engagements pris. Ce que dénonce Bercy. Explications.
"Le capitalisme français, ça ne peut pas être la guerre de tous contre tous." Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a appelé à la "raison" et à la "sagesse", lundi 8 février, après l'annonce la veille d'une OPA hostile de Veolia sur son concurrent Suez. Derrière ce bras de fer entre les deux géants hexagonaux de l'eau et des déchets, qui dure depuis de longs mois, "c'est la vie quotidienne des Français dans des dizaines de milliers de communes" qui est en jeu, a insisté le patron de Bercy, agacé, sur Europe 1.
Dès lundi matin, la justice a suspendu cette opération. Dans la journée, la direction de Suez et les syndicats de l'entreprise ont brandi leurs boucliers face au numéro un mondial du secteur. Difficile d'y voir clair dans cette affaire ? Pour vous aider à analyser ce choc des titans (27 milliards de chiffre d'affaires pour Veolia, 18 milliards pour Suez), franceinfo vous explique les trois lettres au cœur du nouveau round : OPA.
C'est quoi, une OPA ?
Une offre publique d'achat est une opération destinée à racheter une entreprise cotée en Bourse. Les sommes en jeu étant importantes, la procédure est très encadrée, avec des règles plus compliquées que si vous cherchez simplement à racheter votre boucherie de quartier. Cette procédure est même obligatoire dès lors qu'il s'agit de prendre le contrôle d'au moins 30% du capital de l'entreprise ciblée. Dans le cas présent, Veolia lorgne en l'occurrence sur les 70,1% de Suez qu'elle ne détient pas encore.
En pratique, l'initiateur de l'OPA propose aux actionnaires de l'entreprise convoitée de racheter "cash" les actions qu'ils détiennent. Pour les convaincre, il leur propose un prix bien supérieur au cours de l'action : en 2020, cette "prime" a été en moyenne de 29% sur un total de 24 OPA, selon Le Journal des OPA. Ici, Veolia voit grand : "Le prix proposé de 18 euros par action (...) fait ressortir une prime de 75% par rapport au cours de clôture de l'action Suez" le 30 juillet 2020, date du début du feuilleton (quand Engie a annoncé vouloir céder sa participation dans Suez) et de l'envolée de l'action, souligne le groupe dans son communiqué. Vendredi, à la clôture, l'action Suez était évaluée à 17,3 euros.
Une fois l'OPA validée par les autorités financières, les actionnaires ont en général une trentaine de jours pour accepter (ou non) de céder leurs parts, ce qui détermine le succès (ou non) de l'opération, comme le détaille Le Revenu. Le seuil de réussite d'une OPA est fixé à au moins 50% du capital. "Si l'acquéreur potentiel n'atteint pas ce seuil à la suite de son offre, celle-ci est caduque et les titres sont restitués aux actionnaires", détaille le site de l'hebdomadaire spécialisé.
Pourquoi parle-t-on d'OPA amicale ou hostile ?
Une OPA est dite amicale quand les deux sociétés concernées se sont mises d'accord sur le principe et sur les modalités de l'offre, notamment le prix de rachat des actions. Sur les 350 OPA recensées en France depuis 2010, 344 ont été amicales, et Veolia espérait lancer la 345e, avant de se voir opposer un refus de la part de Suez, qui redoute "un démantèlement" social et industriel.
Une OPA est dite hostile lorsque le "prédateur" et la "proie" n'ont trouvé aucun terrain d'entente préalable. C'est le cas dans ce dossier, comme l'a déploré Veolia dimanche.
"Veolia constate que ses tentatives répétées d’amicalité (...) se sont toutes heurtées à l’opposition de Suez."
Veoliapar communiqué de presse
Une OPA hostile est souvent comparée à un "raid" boursier (une opération agressive et inattendue). La direction de la société visée peut tenter d'y résister "par exemple en misant sur l'actionnariat salarié, en liant des participations croisées avec d'autres sociétés, etc.", détaille le site de Capital. Suez, dont l'objectif est de détrôner Veolia et non de se faire avaler par son concurrent, est ainsi en discussions avec deux fonds d'investissement français et américain, Ardian et GIP. Elle est soutenue par les syndicats, qui redoutent des milliers de suppressions de postes (Suez compte plus de 89 000 salariés dans le monde) malgré la promesse de Veolia de préserver tous les emplois.
Quel que soit le type d'OPA, ces opérations sont "des modes de développement agressifs", estime Anne-Sophie Thélisson, enseignante-chercheuse en sciences de gestion à l'Esdes Lyon Business School. "Si on veut être d'égal à égal, sans prise de contrôle, on est sur des alliances ou au moins des fusions comme PSA et Fiat-Chrysler, et non sur ces acquisitions qui sont de vraies absorptions", analyse cette spécialiste des fusions-acquisitions.
Qui peut arbitrer cette bataille ?
Jugeant le dépôt de l'OPA de son rival "irrégulier et illégal", Suez a saisi en urgence le tribunal de commerce de Nanterre, dimanche soir. Ce dernier a ordonné lundi matin au numéro un mondial de l'eau et des déchets de suspendre son initiative, le temps que la justice examine le dossier dix jours plus tard. Suez dénonce une "violation flagrante" d'un engagement d'amicalité pris par Veolia en octobre et un non-respect de "l'éthique des affaires". Le groupe rappelle que "six procédures judiciaires sont en cours" dans ce dossier.
Outre la justice, l'Autorité des marchés financiers (AMF), le "gendarme de la Bourse", a été saisi lundi par Bruno Le Maire. "Cette offre n'est pas amicale et cela contrevient aux engagements qui ont été pris à plusieurs reprises par Veolia, a-t-il martelé. Elle pose aussi des questions de transparence. Pourquoi est-ce que, subitement, cette offre a été déposée ? (...) Elle peut poser des problèmes de concurrence." Le ministre de l'Economie évoque notamment le risque d'apparition d'"un acteur unique" en situation de monopole dans son secteur.
Pour respecter les règles de la concurrence, Veolia prévoit de revendre la branche Eau appartenant à Suez et de la céder à un fonds d'investissement. Le groupe reste toutefois prudent face à un troisième arbitre potentiel : il a fait savoir que le succès de son OPA serait conditionné "à l'obtention de l'autorisation au titre du contrôle des concentrations par la Commission européenne".
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