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Enquête franceinfo "C’est la galère" : on a essayé de louer un appartement avec une personne handicapée

Publié Mis à jour
Durée de la vidéo : 4 min
Etre en fauteuil roulant, un handicap de plus dans la recherche d'un logement
Etre en fauteuil roulant, un handicap de plus dans la recherche d'un logement Etre en fauteuil roulant, un handicap de plus dans la recherche d'un logement
Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions

Alors que le gouvernement a choisi de réduire drastiquement la part de logements accessibles dans les nouvelles constructions, franceinfo a essayé (en caméra cachée) de trouver un appartement pour une personne à mobilité réduite.

Pour la grande majorité des gens, trouver un logement à Paris peut déjà ressembler à un parcours du combattant. Mais pour les personnes en situation de handicap, c'est encore pire. Alors que le Sénat doit soumettre à un vote solennel, mardi 16 octobre, la version définitive de la loi Elan, qui prévoit notamment le passage de 100% à 20% de logements accessibles aux personnes handicapées dans les constructions neuves, franceinfo a cherché à tester la difficulté pour une personne en fauteuil roulant de se loger dans le parc privé à Paris.

Avec l'aide de Franck Maille, référent accessibilité au sein de l'association APF France handicap, nous avons voulu vérifier s'il était possible de trouver un appartement en location dans la capitale avec un budget illimité. En plus de l'accessibilité du logement, la seule exigence posée est la taille de l'appartement (un F2 ou un F3 de minimum 40 m2) car le matériel médical de Franck prend beaucoup de place. Il cherche aussi de préférence dans le 13e arrondissement de Paris.

Les logements adaptés ne courent pas les rues

Atteint de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, une affection dégénérative qui touche les nerfs périphériques, Franck vit actuellement dans un 72 m2 à Nanterre (Hauts-de-Seine) qu'il a obtenu grâce à un bailleur social. Mais quand il désire se rendre dans le 13e arrondissement, là où se trouvent les locaux de son association, il met plus d'une heure en voiture. Même s'il n'envisage pas réellement de quitter pour l'instant son appartement, il n'exclut pas de le faire à l'avenir, ce qui l'a poussé à participer à cette expérience avec franceinfo.

Franck commence, dès le lundi matin, par contacter une dizaine d'agences immobilières par téléphone. La très grande majorité des interlocuteurs répondent qu'ils n'ont pas de logement accessible suffisamment grand. Ils promettent tous de rappeler dès qu'un appartement adapté sera sur le marché. Mais une semaine plus tard, Franck n'a reçu aucun appel. Par téléphone, un seul nous donne rendez-vous pour visiter un 80 m2 le mercredi.

"J'ai des appartements, mais sans ascenseur"

Pour forcer le destin, nous nous rendons avec Franck directement dans les agences immobilières. Premier constat : sur la dizaine d'agences visitées, la très grande majorité des locaux ne sont pas accessibles. Il faut aider Franck pour lui permettre de passer l'obstacle de la marche. Seules deux agences sortent une rampe d'accessibilité amovible cachée sous un bureau.

Une fois entré dans l'agence, les nouvelles ne sont pas plus réjouissantes pour Franck. "J'ai des appartements, mais c'est sans ascenseur" "Il n'y a pas beaucoup d'immeubles qui sont accessibles, ce n'est pas évident" ; "Dans ce que j'ai en visibilité, il n'y en a aucun qui permet, aucun" : voici quelques-unes des réponses entendues. Franck parvient quand même à décrocher trois visites. Il ne pourra pas effectuer la première, car un escalier lui barre la route de l'appartement (un détail que l'agence avait oublié de préciser avant de nous donner rendez-vous).

Pour les deux autres visites, Franck apprécie l'espace proposé mais se retrouve devant plusieurs défauts d'accessibilité : les portes sont très lourdes, la serrure de la porte d'entrée s'ouvre difficilement, les toilettes sont trop petites ou encore le bac de douche est surélevé. Bilan de la recherche d'appartement : une vingtaine d'agences contactées et seulement trois propositions de visite et finalement aucun appartement complètement accessible.

Ajouter de la précarité à la précarité

Pour ne pas trop le décourager, les agents immobiliers proposent à Franck des solutions alternatives : "En s'éloignant un peu en banlieue ? Par exemple, à Ivry ou Villejuif" ; "Et sinon vous avez fait une demande pour le parc social ?" ; "Et vous avez pensé à l'achat ?" L'achat peut être une solution pour les personnes en situation de handicap, mais les logements accessibles sont là aussi assez rares à Paris. "Il y a tellement peu de surface disponible, que ça reste très compliqué", explique à franceinfo Nicolas Mérille, conseiller national chargé de l'accessibilité au sein de l'APF. Et la contrainte financière vient s'ajouter à la recherche.

Il y a une forte corrélation entre situation de handicap et pauvreté, avec un taux de chômage de 19% chez les personnes handicapées.

Nicolas Mérille

à franceinfo

Concernant le parc social, l'attente pour obtenir un logement peut être très longue. Franck se souvient avec émotion d'un membre de son association qui avait déposé une demande de logement social et qui, après avoir longuement attendu en raison des travaux nécessaires, est morte avant de pouvoir bénéficier du logement. 

Reste la solution de l'éloignement, mais encore une fois cela signifie que l'on relègue les personnes handicapées en dehors du centre-ville. Et comme les transports en commun parisiens ont beaucoup de retard en matière d'accessibilité, cette solution reste très précaire. Seules neuf stations de métro sur 303 sont pleinement accessibles, ce qui en fait l'une des pires villes parmi les grandes agglomérations sur ce critère, comme l'indique The Guardian.

"Une discrimination indirecte"

En réduisant la part de logements neufs accessibles, la loi Elan va empirer cette difficulté à trouver un logement, s'inquiète Franck: "C'est déjà la galère, cela risque de devenir impossible pour se loger." Un avis partagé par Nicolas Mérille: "Déjà actuellement, les gens ont rarement un logement complètement accessible. On a cherché un adhérent avec un logement accessible récemment pour un reportage, et bien on a eu du mal à le trouver."

Pire, la loi risque de créer "une discrimination indirecte" envers les personnes en situation de handicap, affirme Nicolas Mérille. "Quel intérêt aurait un bailleur social à loger une personne avançant en âge ou en situation de handicap puisqu'il lui faudra faire et payer des travaux ? Réponse : aucun", rappellent ainsi plusieurs associations dans une tribune publiée sur franceinfo. "Et quel intérêt aurait un bailleur privé à louer face à une candidature d'une personne âgée ou en situation de handicap ? Réponse : aucun."

Nicolas Mérille compte sur le Sénat pour supprimer l'article 18 de ce projet de loi, qui modifie les règles pour la construction de logements neufs accessibles : "On attend le match retour." Il salue en revanche la décision de la mairie de Paris de maintenir "son objectif de 100% de logements sociaux neufs accessibles". De son côté, Franck Maille demande aux politiques de passer des promesses aux actes pour rendre la société plus inclusive : "Aujourd'hui, les personnes handicapées sont la cinquième roue du carrosse, on demande juste à ne plus être oubliés."

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