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Une réforme du droit de propriété va-t-elle obliger les propriétaires à "payer un loyer à l'Etat" ?

Les députés ont adopté une proposition de loi qui entend généraliser un droit de propriété dans lequel un particulier peut être propriétaire des murs, mais pas du terrain. Le projet est entre les mains des sénateurs.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
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Les députés ont adopté, en première lecture, une proposition de loi réformant le droit de propriété, en novembre 2019. (KLAUS OHLENSCHLÄGER / PICTURE ALLIANCE / AFP)

"Est-il vrai que les propriétaires de leur logement devront payer un loyer à l'Etat", nous avez-vous demandé dans le live de franceinfo. "Ce n'est pas une 'fake news', c'est une loi sur le bâti qui vient d'être votée", avez-vous même assuré. Alors, vrai ou "fake" ?

Les députés ont en effet adopté, en première lecture, une proposition de loi portant sur l'immobilier, le 28 novembre 2019. L'une des dispositions majeures de ce texte permet d'étendre un droit de propriété qui dissocie le bâti du foncier. Un particulier pourra ainsi devenir propriétaire des murs de son logement, sans acheter le terrain sur lequel celui-ci est construit. Le texte est désormais entre les mains des sénateurs, qui doivent à leur tour se prononcer. La loi n'est donc pas encore adoptée ni promulguée.

S'il entre en vigueur, ce droit de propriété ne remplacera pas ceux qui existent déjà : la propriété foncière classique et de celle par démembrement (la nue-propriété et l'usufruit). Il sera toujours possible d'acheter le bâti et le foncier en semble. Il ne s'appliquera pas non plus aux personnes déjà propriétaires de leur habitation. Ce nouveau droit n'a vocation à être utilisé que dans un cas bien précis : celui d'un bien immobilier mis en vente par un organisme géré en partie par une structure publique, dans une zone où le marché est en tension.

Ce droit de propriété existe déjà dans le social

Ce droit de propriété existe en réalité déjà, à travers le bail réel solidaire. Mais il est limité aux dispositifs d'accession sociale à la propriété, c'est-à-dire sous conditions de ressources, et donc destiné uniquement aux ménages modestes. Ces baux sont proposés par des organismes de foncier solidaire (OFS), des structures à but non lucratif, créées par la loi Alur en 2014, généralement opérées par les municipalités.

Le principe est le suivant : l'OFS reste propriétaire du terrain et ne met en vente que les logements construits dessus. Le prix des terrains est donc sorti du marché immobilier. Ce faisant, les habitations sont proposées à des prix très inférieurs à ceux du marché, de l'ordre de -30% voire -40%, car les promoteurs immobiliers répercutent d'ordinaire dans leurs tarifs le montant auquel ils ont acheté le terrain.

Il pourrait être élargi à toutes les zones tendues

En vertu du bail réel solidaire, les acquéreurs deviennent propriétaires pour une durée de 99 ans maximum et peuvent transmettre leur bien à leurs héritiers ou le revendre selon les mêmes termes pourvu que les nouveaux propriétaires respectent les conditions. Tous les mois, les propriétaires paient à l'OFS une redevance de quelques euros par mètre carré, correspondant à la location du terrain. Et l'organisme peut ainsi rembourser le crédit à long terme qu'il a souscrit pour faire l'acquisition de la parcelle.

Ces baux offrent aux communes les moyens de contourner la flambée des prix de l'immobilier, mais aussi de lutter contre la spéculation sur la valeur des terrains à bâtir et de maintenir de la mixité sociale sur leur territoire. Ces dernières années, les OFS et leurs programmes immobiliers plus abordables se sont multipliés à Lille, Rennes, Paris et en banlieue parisienne.

La proposition de loi votée à l'Assemblée entend donc élargir ce droit à l'ensemble du marché de l'immobilier. Le texte imagine le dispositif suivant : des offices fonciers libres (OFL) seront créés, sur le modèle des OFS, et proposeront à la vente des logements, bureaux ou commerces, via des baux rééls prorogeables de longue durée, dans les zones où le marché de l'immobilier est en tension, c'est-à-dire où l'offre de logements est jugée insuffisante par rapport à la demande.

"Réduire le coût du foncier" et "augmenter l'offre de logements accessibles"

A l'initiative des députés communistes, il est prévu que ces OFL soient détenus à majorité par les collectivités publiques. Il s'agit de renforcer les pouvoirs des localités face aux propriétaires privés. La proposition de loi laisse surtout le gouvernement procéder par ordonnance, pour créer ces OFL et ces baux. Les députés LREM ont plaidé en commission en faveur de cette habilitation.

La proposition de loi est portée par le député MoDem Jean-Luc Lagleize, qui entend ainsi "réduire le coût du foncier" et "augmenter l'offre de logements accessibles". Elle reprend les préconisations qui figuraient dans le rapport (fichier PDF) que l'élu centriste de Haute-Garonne a remis au Premier ministre en novembre 2019. Edouard Philippe l'avait au préalable chargé d'étudier comment endiguer la hausse des prix du foncier, c'est-à-dire des terrains sur lesquels sont construits les logements.

Nous ne devons plus laisser la seule loi de l'offre et de la demande, conjuguée à la cupidité humaine traditionnelle, créer une bulle d'enrichissement de quelques-uns.

Jean-Luc Lagleize, député MoDem de Haute-Garonne

dans un rapport au Premier ministre

Alors, peut-on encore parler de propriété, quand le propriétaire d'un logement est locataire d'un terrain public et détient un droit d'usage ? Cette évolution modifie la notion même de droit de propriété, un "droit naturel et imprescriptible" figurant dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Un droit "inviolable et sacré", dont "nul ne peut être privé", selon la Constitution, "si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité"

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