"Je regrette d'être passée par le prêt-relais" : ces propriétaires dans "la galère totale" pour vendre leur logement à l'approche de l'échéance de leur crédit

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le prêt-relais, d'une durée de 12 à 24 mois, permet de faire la jonction entre l'achat d'un nouveau bien et la vente de l'ancien. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Dans un contexte de ralentissement du marché de l'immobilier, des vendeurs qui devront rembourser leur prêt-relais dans les prochains mois racontent à franceinfo leurs difficultés pour trouver un acheteur, malgré leurs baisses de prix successives.

Claire* était loin d'imaginer que la vente de sa maison à Lyon serait une telle source d'angoisse. Au printemps 2022, lorsqu'elle décide de déménager en Isère pour se rapprocher de sa famille, cette ancienne employée dans l'industrie pharmaceutique souscrit à un crédit immobilier de 118 000 euros sur dix ans ainsi qu'à un prêt-relais de 340 000 euros. Une avance de trésorerie qui lui permet de financer son nouveau logement et de s'y installer, sans attendre d'avoir un acheteur pour l'ancien.

A l'époque, alors que le marché de l'immobilier est encore dynamique, Claire, 45 ans, ne voit "aucune raison" que sa maison, dotée d'un jardin de 100 m2 et située dans "un secteur demandé" de Lyon, "ne se vende pas". Son bien est d'abord mis en vente à 620 000 euros, un prix situé dans la fourchette des estimations réalisées. Un an et demi après la souscription de son prêt-relais, la maison de  cette mère de deux enfants est désormais affichée à 449 000 euros, bien en dessous de la plus basse estimation. Mais rien n'y fait. A moins de six mois de l'échéance de son crédit, elle n'a toujours pas trouvé preneur. "J e ne passe plus une nuit tranquille. Je me réveille chaque jour en me rappelant que la maison n'est toujours pas vendue et que je suis dans la galère totale, s'inquiète-t-elle. Je regrette d'être passée par le prêt-relais."

Ce type de crédit fonctionne comme un "découvert géant" octroyé par la banque pour une durée de 12 à 24 mois, "afin de vous permettre de vous positionner rapidement sur le bien que vous souhaitez acheter", résume Cécile Roquelaure, directrice des études pour le courtier Empruntis. Cette option est particulièrement prisée par les ménages qui ont un "coup de cœur" pour un logement, expose l'experte, ou en cas de changement de vie personnelle ou professionnelle qui nécessite un déménagement rapide. La somme prêtée varie entre 60% et 80% de l'estimation du bien à vendre, selon la société de courtage immobilier. Tant que le logement n'est pas vendu, l'emprunteur verse uniquement des intérêts.

"Le banquier s'est dit que ça se vendrait forcément"

Mais dans le contexte de resserrement du marché, vendre n'est plus une mince affaire. La hausse des taux d'intérêt, qui oscillent dorénavant autour de 4%, et le durcissement des conditions d'accès aux crédits immobiliers freinent les acquéreurs. Le nombre de transactions immobilières a baissé de près de 20% entre septembre 2022 et septembre 2023, selon le Conseil supérieur du notariat. "Le retournement du marché a été violent", reconnaît Cécile Roquelaure.

Claire estime faire les frais de ce changement de conjoncture. "Le point vraiment bloquant, ce sont les banques", juge-t-elle. La quarantenaire a récemment reçu une offre au prix, mais les acheteurs ont dû se retirer faute de financement. D'autres lui ont proposé des offres inférieures de 50 000 euros à son prix et assorties d'une condition suspensive – une clause leur permettant d'annuler la transaction en cas de difficultés à vendre leur logement. Je ne peux pas me permettre d'accepter cette condition, ça va encore me faire perdre du temps", s'alarme Claire, qui doit avoir vendu sa maison d'ici le mois de mai.

"Les acheteurs sont rois : ils se permettent de négocier sur tout parce qu'ils savent qu'ils sont désormais en position de force."

Claire, propriétaire d'une maison à vendre à Lyon

à franceinfo


Muriel ne pensait pas non plus rencontrer autant de peine pour céder son appartement de 90 m2 aux portes de Paris. Comme beaucoup de Franciliens, elle a quitté la capitale avec son conjoint après les confinements. "On en avait marre d'être en appartement et la crise du Covid nous a montré que le télétravail fonctionnait bien", raconte cette intermittente du spectacle. Grâce à un prêt-relais contracté en mai 2022, le couple s'offre une maison en Ardèche. Une solution recommandée par leur banquier et les agents immobiliers qui se montrent "très confiants" sur leur capacité à vendre rapidement, dans un contexte où les achats étaient encore dopés par des taux de crédits autour de 1%. "Le banquier s'est dit qu'un appartement en région parisienne se vendrait forcément", se remémore-t-elle. 

"Un bon prêt-relais, c'est un bien correctement estimé"

Malgré "cinq ou six baisses de prix", et un bien affiché plus de 100 000 euros en dessous de sa valeur initiale, le couple n'a pourtant eu que "très peu de visites". " Les agences nous disent qu'elles ne vendent que des petites surfaces en ce moment. Dès qu'on est sur plus de 60 m2, c'est compliqué parce que les acheteurs n'ont pas le budget nécessaire ou ils ont des refus de prêt, explique Muriel. Si les agents immobiliers ne s'étaient pas montrés aussi confiants, je ne me serais pas orientée vers un prêt-relais."

En dépit du contexte actuel, Cécile Roquelaure estime toutefois que souscrire à un prêt-relais peut être intéressant, à condition "d'être bien accompagné", et de "bien estimer son bien". " Il faut absolument étudier le marché en regardant ce qui s'est vendu dernièrement dans le secteur, pour voir si votre bien est dans les standards et s'il est au bon prix", conseille l'experte.  "Un bon prêt-relais, c'est un bien correctement estimé", insiste-t-elle.

"Un prêt-relais n'est pas là pour vous garantir 12 ou 24 mois pour vendre. Si la vente n'est pas réalisée dans les six premiers mois, c'est qu'il y a un problème de prix."

Cécile Roquelaure, directrice des études pour le courtier Empruntis

à franceinfo

Un bien surestimé dont la vente s'éternise, c'est ce qui est arrivé à Elsa*. Cette trentenaire, qui a déménagé en outre-mer pour profiter d'une opportunité professionnelle, cherche un acheteur depuis l'été 2022 pour sa maison en Alsace. Une "ancienne" demeure du XVIIe siècle "entièrement rénovée" par cette architecte d'intérieur et son mari. "O n a changé les volumes, refait l'isolation, mis de beaux matériaux, pour en faire une maison design et charmante", vante Elsa.

Prix de vente trop élevé et baisse trop tardive

"Les agences n'arrivaient pas à s'accorder sur un prix : on avait des estimations entre 480 000 euros et 650 000 euros", se souvient-elle. Le couple se fixe finalement sur un prix de vente à 595 000 euros. Un tarif "au-dessus du marché de la commune", concède Elsa, mais qui selon elle reflète le caractère atypique de leur bien et les nombreux travaux de rénovation. "Avec le recul, notre première erreur a été de mettre en vente trop cher, parce qu'on s'est laissé flatter par les estimations hautes, analyse-t-elle. La deuxième erreur, c'est qu'on n'a pas baissé le prix assez vite, alors que l'agent immobilier nous y encourageait."

Depuis l'automne, leur bien est à céder pour 439 000 euros. Soit plus de 155 000 euros de moins que le prix de vente initial. A dix mois de l'échéance de son prêt-relais, faute d'acquéreurs, Elsa réfléchit à concéder une nouvelle baisse de prix dans les prochaines semaines. "On a aussi dû se poser la question de tout abandonner et de revenir habiter en Alsace", lâche-t-elle. Une option qu'ils ont pour l'instant écartée. "Psychologiquement, c'est dur. On a reconstruit notre vie professionnelle et personnelle ailleurs, notre fille a changé d'école, on s'est vraiment implantés", se désole-t-elle. 

Muriel, qui devra rembourser son prêt-relais de 240 000 euros en mai, commence aussi à lister ses options. "Début 2024, on va prendre une décision", assure-t-elle. Pour l'heure, elle envisage de transformer son prêt-relais en prêt immobilier classique et à mettre en location son appartement pour rembourser les mensualités. "Ce qui est dommage, c'est qu'il y a deux ans, on aurait emprunté à 1%. Alors que maintenant, on va emprunter à plus de 4%", lance-t-elle, amère. "C'est une solution, mais encore faut-il être finançable", tempère d'ailleurs l'experte Cécile Roquelaure.

Des banques plus frileuses

En cas de difficultés pour vendre, la spécialiste recommande de prendre rapidement rendez-vous avec la banque. "Si vous avez signé un prêt-relais sur un an, vous pouvez négocier son rallongement" jusqu'à deux ans. Une solution qui n'est cependant "pas indolore" car "tout prêt-relais qui continue à courir vous coûte des intérêts". "Quand vous êtes arrivé au bout de la démarche de rallongement, il est dans l'intérêt de la banque et le vôtre de trouver des solutions, même s'il n'y a pas beaucoup d'options possibles", reconnaît Cécile Roquelaure.

"Si je n'ai pas vendu en mai, la banque m'a dit qu'on entrerait en contentieux."

Claire, propriétaire d'une maison à vendre à Lyon

à franceinfo

Pour éviter ces situations, les banques sont d'ailleurs de plus en plus vigilantes dans l'octroi d'un prêt-relais, selon la directrice des études d'Empruntis. Elles regardent davantage si le projet est "bien ficelé" et "resserrent le montant du financement pour prendre une marge de sécurité" supplémentaire. "Certains établissements n'octroient des prêts-relais que si les emprunteurs ont déjà un compromis de vente" avec un acheteur.

Les emprunteurs contactés racontent de leur côté qu'ils se sentent "démunis" et "très seuls" face à leur incapacité à vendre. "J'ai fait les choses correctement et, pourtant, je me sens coupable de ne pas pouvoir rembourser mon prêt", déplore Claire, qui appelle le gouvernement à prendre des mesures pour aider "les petits propriétaires dans (sa)  situation". Le ministère de l'Economie et la Banque de France ont annoncé le 4 décembre des assouplissements des règles encadrant le crédit immobilier De simples "ajustements techniques", qui ne touchent pas "aux fondamentaux" des conditions d'emprunt actuelles, admet le gouverneur de la Banque de France.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

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