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Infographies Baisse de production nucléaire, prix du gaz, risques de pénuries... Sept graphiques pour comprendre la crise énergétique en France

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
La centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne. (FRANCOIS LAURENS / HANS LUCAS / AFP)

Avec le conflit en Ukraine et le vieillissement du parc nucléaire français, la conjoncture est exceptionnellement mauvaise et inquiétante en prévision de l'hiver prochain.

"C'est une tempête parfaiteSi on prenait individuellement chacune des causes, ce ne serait pas très grave. Mais là, tout cela arrive en même temps et crée une situation très compliquée." Cette "tempête" dont parle Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors, c'est celle du secteur énergétique en France. Depuis plusieurs mois, tous les voyants sont au rouge. Les centrales nucléaires sont à moitié à l'arrêt, les prix du gaz atteignent des records et les dirigeants comme les spécialistes du secteur alertent sur l'urgence de consommer moins. Pour comprendre l'ampleur de cette crise, franceinfo fait le point, énergie par énergie, infographies à l'appui.

La production nucléaire au ralenti

2022 risque d'être une année noire pour le nucléaire. "C'est un facteur très structurant de la crise actuelle", insiste Nicolas Goldberg, expert énergie pour Colombus Consulting. Au 5 juillet, d'après les données transmises à franceinfo par EDF, seule la moitié des réacteurs français étaient disponibles à la production. Soit 28 des 56 équipements, répartis dans 18 centrales. Sur les 28 réacteurs à l'arrêt, il y a d'abord les visites décennales qui en paralysent sept. Ces interruptions planifiées interviennent du fait de la prolongation du parc nucléaire, dont la moyenne d'âge a souvent dépassé la trentaine d'années.

Treize autres réacteurs sont à l'arrêt pour des raisons de maintenance. En fin d'année dernière, l'électricien français a découvert des problèmes de corrosion et des risques de fissure dans la tuyauterie du circuit primaire de certains réacteurs. Trois autres sont en arrêt pour rechargement de combustible, et les cinq derniers le sont pour d'autres raisons techniques.

Le planning inédit de ces indisponibilités permet de visualiser la production prévue pour l'année 2022. A partir des données publiées par EDF, nous avons représenté la production estimée pour chaque centrale. La barre grise représente la puissance maximale des réacteurs de chaque centrale ; l'aire bleue permet de visualiser la production attendue (mais susceptible d'évoluer).

A ces ralentissements anticipés, s'ajoutent les indisponibilités fortuites à la suite d'incidents tout au long de l'année. Notamment du fait d'épisodes caniculaires, que la France risque de connaître cet été. Ils obligent certaines centrales à arrêter ou ralentir leur activité pour ne pas trop réchauffer les cours d'eau qu'elles utilisent pour refroidir leurs circuits, ou si leurs débits sont trop faibles à cause de la sécheresse. Mais pour l'instant, le phénomène est contenu : depuis 2000, la perte de production pour cette raison n'a représenté que 0,3% de la production totale. Et en 2003, pire année en la matière à cause de la canicule, le parc nucléaire était plus jeune et seuls six réacteurs avaient été arrêtés. La réduction pour ces raisons environnementales n'a été que de 1,5%.

A en croire les prévisions de l'électricien français pour 2022, jamais le nucléaire français n'aura produit aussi peu depuis trente ans. Les dernières estimations, abaissées plusieurs fois depuis janvier, se situent actuellement entre 280 et 300 térawatt-heure (TWh) pour l'année. Et 2023 risque d'être dans la même veine : en février, EDF estimait la production entre 300 et 330 TWh. 

Conséquence de cette baisse de production nucléaire : jamais la France n'a acheté autant d'électricité à l'étranger. "Normalement, la France importe pendant l'hiver, et exporte pendant l'été. Là, le pays est importateur net au mois de juin. C'est ultra exceptionnel", s'exclame Thomas Pellerin-Carlin. En plus de l'âge des réacteurs français et des problèmes de corrosion observés sur certains équipements, le gestionnaire du réseau de transport électrique français (RTE) explique à franceinfo que "cette situation est due à une période de transition qui voit la fermeture de certains moyens de production émetteurs de CO2 (centrales au fioul et à charbon) alors que d'autres nouveaux moyens de production ont du retard (EPR de Flamanville, énergies renouvelables terrestres ou maritimes)". 

Le marché du gaz bouleversé par la guerre en Ukraine

Autre facteur qui aggrave cette crise énergétique : l'envolée du prix du gaz. Celle-ci avait déjà commencé à la mi-2021, dans un contexte de reprise économique liée à l'amélioration de la situation sanitaire. Mais ces records ont encore été dépassées après l'invasion des troupes russes en Ukraine. Le Dutch TTF, indicateur de référence, a plus que doublé pour atteindre 200 euros quelques jours après le début de la guerre. Depuis, le prix du gaz varie entre 80 et 150 euros le KWh, un niveau historique.

Ces prix sont d'autant moins prêts de redescendre que Moscou a coupé les robinets. Dans un contexte de sanctions européennes et d'ultimatum russe pour payer les livraisons de Gazprom en roubles, plusieurs pays européens, comme la Pologne, la Finlande ou les Pays-Bas, se sont vu couper les vannes fin avril. Le 17 juin, le principal gestionnaire français, GRTgaz, a annoncé à son tour ne plus recevoir de gaz russe par gazoduc. 

Résultat : "On se détourne du gaz de Poutine, acheminé par gazoduc, qui n'est pas cher, pour se tourner vers du gaz naturel liquéfié (GNL), plus cher. On va devoir vivre avec un prix du gaz très élevé", alerte Thomas Pellerin-Carlin. Si la France ne s'approvisionnait en gaz russe qu'à hauteur de 17%, ses voisins européens en sont beaucoup plus dépendants. A l'échelle de l'Union européenne, cette part atteignait plus de 40% avant la crise ukrainienne. 

Le système gazier, qui plus est, est très connecté au système électrique. Un tiers du gaz en France est utilisé pour produire de l'électricité, et cette part devrait augmenter cette année pour compenser le ralentissement du nucléaire. De quoi déclencher une hausse du prix de l'électron et s'inquiéter pour les stocks à venir. "Tout le gaz qu'on est en train de brûler pour produire de l'électricité, c'est autant de gaz dont on va manquer à l'hiver. Notre gaspillage d'électricité risque de créer une pénurie", s'inquiète le directeur du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors.

Face aux craintes pour l'hiver prochain, Paris est engagé dans une course aux stocks. Au 11 juillet, les réserves françaises de gaz étaient remplies à 67,5%, un niveau correct par rapport aux années précédentes. Le gouvernement a demandé aux gestionnaires de viser un remplissage de 100% avant le 1er novembre, contre les 85% auxquels ils sont tenus chaque année à cette date.

Des variations fortes mais régulées pour le pétrole

La guerre en Ukraine a également fait monter le prix du baril de pétrole. Celui de Brent de la mer du Nord, qui sert de référence en Europe, oscille entre 100 et 120 dollars ces dernières semaines. Une hausse qui se traduit dans la longue chaîne de produits dérivés du pétrole : des carburants au plastique, en passant par des produits chimiques ou des textiles. A la pompe, les prix du litre de gazole et de sans plomb ont dépassé une première fois la barre des 2 euros mi-mars. Mais cette limite symbolique a été franchie une deuxième fois début juin. 

Face à la flambée des cours à l'international, la France a appelé fin juin, en marge du G7 en Allemagne, les pays producteurs à augmenter leur volume de "manière exceptionnelle", le temps de passer le cap de la crise, et a plaidé pour diversifier les approvisionnements, notamment vers l'Iran et le Venezuela, afin de freiner l'envolée des prix.

En parallèle, le gouvernement a mis en place au printemps un rabais de 18 centimes par litre acheté à la pompe, jusqu'à fin septembre. Pour Thomas Pellerin-Carlin, cette réaction gouvernementale ressemble à une "politique de l'autruche". "Cela revient à subventionner la consommation de pétrole, et ça bénéficie aux plus riches puisque ce sont eux qui possèdent les véhicules qui consomment le plus. C'est une politique qui coûte cher et qui aggrave le problème car elle empêche le signal du prix de faire son effet", c'est-à-dire de provoquer une baisse de la consommation, juge le spécialiste. Pour le gouvernement, l'objectif est d'aider l'ensemble des Français, en particulier ceux qui utilisent le plus leur véhicule.

Mais les différents observateurs écartent tout risque de pénurie à court terme. Sur les marchés internationaux, "on assiste à des prix normalement élevés", tempère Thomas Pellerin-Carlin. Reste que les prix du gaz et du Brent font flamber le coût des importations françaises. D'après les données transmises par les douanes, les arrivées d'hydrocarbures naturels (pétrole et gaz confondus) en France pesaient pour près de 7,5 milliards d'euros en mai 2022, contre un peu plus de 1,5 milliard début 2021.

Des pistes pour limiter les risques de pénuries

Quelles solutions adopter ? Au rayon des énergies renouvelables, "plusieurs projets d'éolien et de solaire, qui équivalent à plusieurs GWh, sont bloqués en préfecture, pour des raisons administratives", explique Thomas Pellerin-Carlin. Les stocks hydrauliques, eux, sont en cours de remplissage. A ce titre, les données de RTE indiquent que 2022 n'est pour l'instant pas la pire, mais la vitesse de remplissage a ralenti ces dernières semaines, et la sécheresse que la France traverse n'incite pas à l'optimisme. A titre d'exemple, la production hydro-électrique de la Durance et du Verdon, qui comprend le lac de Serre-Ponçon, a baissé de 60% de janvier à juin 2022.

Le gouvernement, lui, a multiplié les mesures pour alléger le poids de cette flambée des prix dans le portefeuille des Français. Le bouclier tarifaire, qui permet de plafonner la hausse des factures d'électricité à 4% et de geler les prix du gaz à leur niveau d'octobre 2021, a été prolongé jusqu'à la fin de l'année. L'aide des 18 centimes par litre à la pompe va progressivement disparaître pour être remplacée par une indemnité pour les travailleurs les plus modestes.

Pour Nicolas Goldberg, la situation est "catastrophique" et comparable au choc pétrolier de 1973"Les prix régulés de l'électricité vont exploser l'an prochain, et on ne pourra pas tenir le bouclier tarifaire éternellement. Je ne sais pas comment on va faire". Comme d'autres acteurs, le spécialiste appelle à passer, d'urgence, la vitesse supérieure sur la baisse de consommation d'énergie. "Je pense que les économies d'énergie n'occupent pas assez de place dans les débats et les faits", plaide-t-il.

Dans sa déclaration de politique générale, mercredi 6 juillet, la Première ministre, Elisabeth Borne, a rappelé l'urgence de "consommer moins". Dans l'attente de mesures concrètes et fortes, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a demandé aux entreprises de limiter leur usage de la climatisation et du chauffage. Dans le même temps, le gouvernement envisage de relancer la centrale à charbon de Saint-Avold

Ces dispositions seront-t-elles suffisantes pour éviter les coupures cet hiver ? Mi-juin, le gestionnaire de gaz français, GRTgaz, a prévenu qu'en cas d'hiver intense, il sera peut-être nécessaire d'activer des mesures de délestage, susceptibles d'imposer une réduction de la consommation de gaz par les industriels.

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