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Ce que va changer l'entrée en vigueur de la réforme de la justice des mineurs (et les craintes qu'elle suscite)

Le Code de la justice pénale des mineurs entre en vigueur jeudi. Cette refonte de l'ordonnance du 2 février 1945 ne fait pas l'unanimité. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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L'entrée du tribunal pour enfants de Mulhouse (Haut-Rhin), le 11 février 2021.  (MAXPPP)

Exit l'ordonnance du 2 février 1945 sur "l'enfance délinquante", place au Code de la justice pénale des mineurs (CJPM). La réforme de la justice des mineurs, adoptée par le Parlement en février, entre en vigueur jeudi 30 septembre. Évoquée depuis dix ans, la délicate réécriture de l'ordonnance, devenue illisible à force de modifications – 39 depuis la Libération– avait été engagée par l'ex-garde des Sceaux Nicole Belloubet. Son successeur, Eric Dupond-Moretti, a vanté une réforme "historique" et "révolutionnaire", qui "renforce la primauté de l'éducatif" et "une justice des mineurs claire et efficace".

Procès en deux temps, délais raccourcis, mesure éducative judiciaire unique et présomption de non-discernement pour les moins de 13 ans... Voici ce que va modifier le CJPM, loin de faire l'unanimité au sein des professionnels de la justice. Des rassemblements sont organisés dès jeudi devant les tribunaux, à l'appel d'un collectif regroupant les syndicats de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le Syndicat de la magistrature ou le Syndicat des avocats de France.

Une procédure pénale en deux temps

C'est la mesure phare de cette réforme. Le texte introduit une procédure en deux temps. Tout d'abord, dans un délai qui se veut rapide, une première audience statue sur la culpabilité du mineur et, le cas échéant, sur les réparations accordées à la victime. Ensuite, une seconde audience prononce la sanction.

Entre-temps, le mineur est soumis à une période de "mise à l'épreuve éducative", une période d'observation qui peut comporter des mesures éducatives et des mesures de sûreté. La sanction prononcée tiendra ainsi compte de l'évolution du comportement du mineur pendant cette période, de son adhésion aux mesures et de sa prise de conscience sur les faits qui lui sont reprochés.

Ce principe de la "césure" entre les deux audiences comporte des exceptions. Le texte rend possible la tenue d'une audience unique, statuant à la fois sur la culpabilité et la sanction, pour des faits de faible gravité ou quand le mineur fait déjà l'objet d'un suivi éducatif. Pour les mineurs dits "réitérants" (qui récidivent), le tribunal peut également être saisi par le parquet aux fins d'audience unique lors d'un déferrement (présentation à un magistrat). "Une sorte de comparution immédiate pour mineurs", s'inquiètent les syndicats de magistrats, qui voient s'éloigner la primauté de l'éducatif sur le répressif, pourtant inscrite dans le Code.

Des délais de jugement raccourcis 

L'un des objectifs du CJPM est de raccourcir des délais de jugement trop longs (18 mois en moyenne), qui ont pour conséquence que 45% des affaires sont jugées après que le mineur a fêté ses 18 ans. La phase d'instruction devant le juge des enfants étant supprimée, le mineur sera convoqué dans un délai de dix jours à trois mois pour la première audience devant trancher la question de sa culpabilité. Puis, six à neuf mois plus tard, devra intervenir l'audience sur la sanction. Celle-ci, prononcée par le tribunal pour enfants ou par un juge unique en chambre du conseil, est éducative en première intention, mais une peine peut être prononcée par exception.

"C'est un big bang procédural, qui implique de modifier nos pratiques professionnelles, notre façon d'intervenir auprès des mineurs."

Pascale Bruston, présidente du tribunal pour enfants de Paris

à l'AFP

L'entrée en vigueur de la réforme, initialement prévue au 31 mars après un premier report lié à la crise sanitaire, a été repoussée de six mois pour permettre aux tribunaux pour enfants de juger une grande partie leurs affaires en stock avec l'ancienne procédure. Problème, beaucoup de grandes juridictions comme Paris, Bobigny, Lille, Lyon ou Marseille n'y sont pas parvenues. "C'est vraiment le plus mauvais moment pour faire entrer en vigueur une telle réforme", avait alerté sur franceinfo Sophie Legrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature et juge des enfants à Tours (Indre-et-Loire). La justice pénale et la justice civile des enfants, la protection de l'enfance, fonctionnent mal aujourd'hui. Et ça a été aggravé par les deux confinements, avec des suivis éducatifs qui se sont interrompus ou qui se sont déroulés uniquement par téléphone. On a des familles qui vont mal et il faut aujourd'hui rattraper tout cela."

La Chancellerie a créé 72 postes de magistrats, 100 de greffiers, et recruté des éducateurs à la PJJ. Des moyens "insuffisants pour répondre à la misère actuelle des tribunaux pour enfants", tacle Cécile Mamelin, de l'Union syndicale des magistrats (majoritaire). Des professionnels s'interrogent sur la capacité des juridictions à juger dans les temps impartis sans dévier de l'esprit d'une réforme qui pose comme principe le temps donné au travail éducatif. "La crainte, c'est que l'on ait tellement de mal à tenir les délais que l'on se retrouve à 'faire de la gestion', multiplier les audiences uniques, moins individualiser le suivi afin de gagner du temps d'audience", redoute Pascale Bruston.

Une mesure éducative judiciaire unique

Pour remplacer les multiples dispositifs créés au fil des réformes successives de l'ordonnance de 1945, le texte met en place une mesure éducative judiciaire unique. Afin d'individualiser le travail éducatif, celle-ci est modulable en plusieurs volets : insertion (scolarisation du mineur), réparation de l'infraction commise (envers la victime avec son accord ou envers la société), santé (prise en charge médicale), placement (en foyer, en famille d'accueil, en internat scolaire).

La mesure éducative judiciaire peut être ordonnée pour cinq ans et elle peut se prolonger au besoin jusqu'aux 21 ans du jeune. Peut également être prononcé à l'égard d'un mineur un "avertissement judiciaire", né de la fusion de précédentes mesures qui, elles, disparaissent (l'admonestation, la remise à parents et l'avertissement solennel).

Le recours à la détention provisoire réduit

C'est l'un des autres objectifs de la réforme. Le nombre de mineurs incarcérés dans l'attente de leur jugement, et donc présumés innocents, a dépassé les plus de 80% ces dernières années. Le texte restreint donc le recours à la détention provisoire aux cas graves et aux mineurs "réitérants", dans le cadre d'une information judiciaire ou lors d'un déferrement en vue d'une audience unique.

La détention provisoire peut également être prononcée après la révocation d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique. 

Une présomption d'irresponsabilité pénale avant 13 ans

L'âge de la majorité pénale reste fixé à 18 ans. Mais le texte introduit une précision symbolique. Le premier article du CJPM dit que "les mineurs de moins de 13 ans sont présumés ne pas être capables de discernement". En fixant ce seuil d'âge, la France se met en conformité avec les textes internationaux qui l'exigent. En Europe, l'âge de la responsabilité pénale varie : il est de 10 ans en Angleterre et au pays de Galles, de 14 ans en Espagne, en Allemagne et en Italie, de 18 ans en Belgique.

Selon Laurent Gebler, le président de l’Association des magistrats de la jeunesse et de la famille, interrogé par Libération, ce seuil "ne changera pas la face de la justice des mineurs, car ce n’est pas une présomption irréfragable". Elle peut en effet être contestée : un juge pourra décider qu'un jeune de 11 ou 12 ans est doté de discernement, ce qui suppose qu'il "a compris et voulu son acte" et "est apte à comprendre le sens de la procédure pénale". Il écopera alors d'une mesure éducative.

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