"Si ça ne leur plaît pas, ils vont en ville !" : les agriculteurs font face aux néoruraux pour défendre le "patrimoine sensoriel des campagnes"
Au début, c’est l’histoire banale d’un agriculteur de l'Oise qui reprend la ferme familiale. Pour ses 80 vaches laitières, Vincent doit absolument construire une nouvelle étable aux normes. "Dans un premier temps, on a cherché au plus loin des habitations", raconte-t-il. "Malheureusement, nous n'étions pas propriétaires, et les propriétaires ne souhaitaient pas vendre, donc on a été obligés de construire sur le terrain où on était propriétaires. On a eu le permis de construire, toutes les autorisations nécessaires, et en 2010, les travaux ont débuté."
Et le début des travaux sonne le début des ennuis, car la ferme est au milieu de ce village agricole, désormais peuplé de néoruraux. Six d’entre eux saisissent la justice pour des nuisances que l'éleveur reconnaît. "Il y a toujours une vache qui va meugler, parce que c'est un jour où elle est en chaleur et c'est comme ça. Ça reste la nature !", développe-t-il.
"Les bâtiments, on ne les cure pas tous les jours, mais plutôt une fois par mois ou une fois tous les deux mois. Et il suffit que ce jour-là, le vent parte vers les maisons, il va y avoir des odeurs, ce qui est normal."
Vincent, éleveur laitier de l'Oiseà franceinfo
Les plaignants vont obtenir plus de 100 000 euros d’indemnités, et l'éleveur doit contracter de nouveaux emprunts pour les payer, avec la perspective de devoir cesser son exploitation si les prochains jugements sont toujours défavorables. Pourtant, d'autres voisins prennent sa défense : "Il y a un peu d'odeur, pas beaucoup de bruit, mais moi il ne me dérange pas", témoigne une voisine. "Je les ai toujours connus, je ne vais pas commencer à embêter des gens qui sont là depuis des générations ! Les gens qui viennent à la campagne doivent accepter les avantages et les inconvénients : si ça ne leur plaît pas, ils vont en ville."
"Protéger le patrimoine sensoriel des campagnes"
La situation de Vincent rappelle l'histoire du coq Maurice, dont les chants trop matinaux dérangeaient les voisins de sa propriétaire sur l'île d'Oléron. L'animal était devenu un symbole de la défense de la ruralité, et avait entraîné la création d'une loi en 2021 pour "protéger le patrimoine sensoriel des campagnes". Mais depuis, les plaintes de néoruraux se multiplient contre des nuisances sonores ou olfactives des activités agricoles : près de 500 procédures sont en cours entre des néoruraux et des agriculteurs.
Alors, pour protéger ces derniers, la députée-agricultrice du Morbihan Nicole Le Peih a déposé une proposition de loi, examinée lundi 4 décembre à l'Assemblée nationale, pour prendre en compte l'antériorité des exploitations agricoles et donc limiter les plaintes de néoruraux pour "trouble du voisinage". Mais ça risque de ne pas être suffisant pour Maîtree Thimothé Dufour, avocat de plusieurs agriculteurs en prise avec des plaintes de néoruraux. "La plupart des litiges aujourd'hui en milieu rural naissent suite à un agrandissement, une mise aux normes ou une augmentation de cheptel", détaille-t-il, "et la proposition de loi aujourd'hui ne prend pas en compte l'évolution ou plutôt la continuité de l'exploitation."
La loi dite du coq Maurice, votée en 2021 était censée protéger le "patrimoine sensoriel", donc les odeurs et bruits de la campagne, mais elle est restée sans effet, faute d’inventaire de ce fameux patrimoine.
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