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Quand le masque sanitaire est une barrière de plus pour comprendre les autres : "On est déjà isolé mais c’est encore pire avec"

Depuis mercredi, le port du masque n'est plus obligatoire en extérieur. S'il est un barrage contre l’épidémie de Covid-19, pour les personnes souffrant de troubles du langage, le masque représente aussi un obstacle dans la communication, notamment chez les sourds et malentendants.

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Rodolphe Harris assiste à une séance d'orthophonie dans le cabinet de Benjamin Martin-Lacan, dans le 11e arrondissement de Paris. (THOMAS DESTELLE / RADIO FRANCE)

C’est une autorisation, dont Rodolphe Harris va pouvoir profiter pleinement. Depuis le mercredi 2 février, le gouvernement met fin à certaines restrictions liées au Covid-19 et notamment celle du port du masque à l’extérieur. S’il reconnaît s’être habitué comme tout le monde à ce bout de tissu autour de la bouche, la contrainte est forte pour ce comédien de 51 ans qui souffre de surdité. "Les sourds et malentendants, on est déjà isolé par rapport à la société mais c’est encore pire avec le masque", regrette-t-il.

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Depuis 2010, en plus de son travail d’éclairagiste, Rodolphe Harris multiplie les tournages de publicités, séries ou films. Une manière de cesser de penser à sa surdité, arrivée d’un coup à l’âge de 7 ans. "Quand je joue, j’oublie que je suis sourd", confie-t-il. Malgré son appareil auditif, le masque représente un obstacle dans sa compréhension avec les autres. "On travaille tous avec le masque sur les tournages, et des fois je me perds un peu, raconte l’acteur. Le masque freine la communication, je me sens encore plus isolé qu’avant."

Une lecture non-verbale difficile à déchiffrer

Dans son cabinet du 11e arrondissement de Paris, l’orthophoniste Benjamin Martin-Lacan répète des phrases à Rodolphe Harris. Les intonations changent, le but est de comprendre s’il s’agit d’une question ou d’une affirmation. Du "coiffeur est là ?" au "coiffeur est là", le ton est différent et le masque vient parfois couvrir les nuances. "Refaire le puzzle est hyper usant, concède Rodolphe. J’ai appris à m’habituer mais il y a un moment où je suis fatigué." Pour les personnes souffrant d’une déficience auditive, cette fatigue provient en majorité de l’impossibilité de lire sur les lèvres. Une lecture dite labiale que tout le monde utilise, explique Benjamin Martin-Lacan, orthophoniste de Rodolphe : "Même quand on a une bonne audition, dans beaucoup de situations, on va beaucoup utiliser cette lecture labiale."

"S’il y a un environnement sonore important comme au restaurant ou dans la rue, voir les lèvres permet de mieux comprendre. On ne s’en rend pas forcément compte quand on est normo-entendant.”

Benjamin Martin-Lacan

à franceinfo

C’est au final toute une compréhension du langage dit non-verbal que le masque empêche. "On va cacher la moitié du visage, et la bouche peut être un vrai vecteur de compréhension, que ce soit par la lecture sur les lèvres, mais aussi les émotions, explique Élodie Pascual, vice-présidente de la Fédération national des orthophonistes chargée de la communication. Donc, c'est vrai que si vous avez un interlocuteur qui va avoir des lunettes, une mèche et le masque, vous allez avoir plus de difficultés à le comprendre."

Un "effet Matthieu"

Dans son cabinet à Esnandes, près de La Rochelle, Élodie Pascual tente de garder au maximum le masque. "Même si on a vraiment le nez dans la bouche des gens", décrit l’orthophoniste. La solution des masques transparents avec la buée qui apparaît sur la visière peut sembler assez limitée. Pour l'orthophoniste, le danger pour les patients réside aussi dans un enfermement lié au manque de communication. "Quand on ne les comprend pas bien, ils vont avoir tendance à être un petit peu gênés, explique-t-elle. Ils n’osent pas faire répéter les gens quand ils n'ont pas compris. Donc, ils vont avoir une espèce de renoncement à la communication."

Il n’y a pas encore d’étude solide qui montre que le masque à des conséquences sur l’apprentissage du langage ou des effets sur les personnes qui ont déjà eu des problèmes de langage, souligne Élodie Pascual. L’orthophoniste s’inquiète cependant d’un "effet Matthieu". Une formule qui vient du nom de l’apôtre et de sa phrase : "À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l'abondance, mais à celui qui n'a rien, il sera tout pris, même ce qu'il possédait." 

"Ce sont les riches s'enrichissent et les pauvres s’appauvrissent, résume l’orthophoniste. Finalement, ceux qui n'ont pas de difficultés vont pouvoir s'en sortir avec ou sans masque, mais ceux qui ont déjà une faiblesse, le masque ne va pas arranger leurs difficultés."

“Au lieu de faire répéter, je dis 'oui'"

Rodolphe Harris le reconnaît parfois "au lieu de faire répéter les gens, je dis ‘oui’." Son orthophoniste Benjamin Martin-Lacan estime que "son adaptation au masque est limitée. Il ne doit pas hésiter de dire qu’il ne comprend pas et d’aller voir la personne et le lui dire. C’est aux autres de s’adapter et de répéter ou retirer le masque."

Un conseil qu’a pris l’acteur : "Je dis que j’ai un petit bonus que je suis sourd et que j’ai besoin de voir les lèvres." Pour Élodie Pascual, lutter contre cet enfermement est une priorité : "Il faut essayer de trouver des situations de communication pour se forcer un petit peu à continuer de parler." De l’appel téléphonique à un membre de sa famille à l’échange avec le commerçant du coin, pour l’orthophoniste toute discussion à son importance.

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