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Election présidentielle : repousser le départ à la retraite à 65 ans ? On vous décrypte cette proposition d'Emmanuel Macron et Valérie Pécresse

Pour ses partisans, cette réforme permettrait de résorber le déficit du système de retraite, mais aussi de suivre l'augmentation de l'espérance de vie. Des arguments balayés par les opposants à une telle mesure, qui soulignent des inégalités de santé et d'emploi chez les seniors. 

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Emmanuel Macron prononce un discours en l'honneur des athlètes paralympiques français médaillés, à l'Elysée, à Paris, le 29 mars 2022. (FRANCOIS MORI / AFP)

C'était l'une des grandes réformes voulues par Emmanuel Macron, abandonnée à cause de la pandémie de Covid-19. S'il est réélu, le président candidat a promis de repousser l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, au lieu de 62 actuellement. Si les contours de la proposition sont relativement peu définis, ces derniers devraient reprendre le gros de la réforme prévue en 2019. Outre l'augmentation de l'âge de départ, le candidat souhaite supprimer les régimes spéciaux et instaurer un minimum retraite de 1 100 euros. S'il est adopté, le passage à 65 ans se fera "progressivement" jusqu'à 2032, a affirmé Richard Ferrand, le président La République en marche (LREM) de l'Assemblée nationale.

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Le projet, explosif, ne recueille pas l'approbation des Français et des Françaises : un sondage de l'Institut Ipsos pour le club de réflexion Landoy rapporte que 60% d'entre eux souhaiteraient un âge légal de départ "entre 60 et 62 ans". A gauche, la plupart des candidats ne souhaitent pas toucher à l'âge de départ de 62 ans ; certains, comme Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, souhaitent même l'abaisser à 60 ans. Il n'y a que Valérie Pécresse pour s'accorder avec le président sortant. Eric Zemmour propose quant à lui de passer à 64 ans, une proposition défendue initialement en 2019 par Emmanuel Macron.

Sur quelles bases se fonde cette proposition de réforme, quel serait son effet sur le taux d'emploi des seniors ? Franceinfo répond aux questions qui se posent.

1Comment Macron et Pécresse justifient-ils leur proposition ? 

Le premier argument avancé par les soutiens d'Emmanuel Macron est financier. "Il se trouve que le système des retraites est un système qui est déséquilibré et qui perd de l'argent chaque année", affirmait, le 16 mars, Olivier Véran, le ministre de la Santé. Repousser l'âge de départ à la retraite à 65 ans permettrait ainsi d'économiser 7,7 milliards par an d'ici à 2027 et 18 milliards d'euros dès 2032, selon une estimation de l'Institut Montaigne, un think tank libéral, rapportée par Les Echos. Une façon, selon Richard Ferrand, de "travailler plus" pour "produire plus de richesses afin de financer notre modèle social, notre éducation, notre système de santé, nos armées".

A l'argument financier s'ajoute, selon LREM et les Républicains, celui de l'espérance de vie. "On va vivre plus longtemps, il faudra travailler plus longtemps", estimait Valérie Pécresse sur RTL pour défendre sa proposition. Une justification similaire à celle de Nicolas Sarkozy, en 2010, lors du relèvement de l'âge de départ minimum de 60 à 62 ans. 

2Le financement des retraites est-il déficitaire ?

La réponse à cette question dépend de la temporalité dans laquelle on se place. Le système de retraite a connu un déficit de près de 18 milliards d'euros en 2020, selon un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), publié en juin 2021. Comme l'explique un article du Monde, cette baisse des recettes est principalement liée à la pandémie de Covid-19 et "à la contraction de l'activité des entreprises". Le système de retraite devrait ainsi revenir à l'équilibre d'ici à 2030, note le COR dans son rapport.

Une conclusion qui pousse Julie Landour, sociologue à l'université PSL Paris-Dauphine, à qualifier la justification financière d'"idéologique". "Les réformes de 2003 et de 2010 [qui a repoussé l'âge légal de départ à 62 ans] portaient justement sur les questions de financement, explique la chercheuse à franceinfo. La dépense des retraites ne doit pas dépasser les 14% du PIB désormais. On n'en voit pas encore les effets, parce que c'est un processus visible sur le temps long." Ainsi, malgré "le vieillissement progressif de la population française", "les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l'horizon de la projection, c'est-à-dire 2070", souligne le COR.

"On sait que le système est viable, parce que les réformes précédentes ont prévu un amoindrissement du taux de remplacement [c'est-à-dire le pourcentage de votre dernier revenu que vous conserverez à la retraite], qui passera de 50% actuellement à 37%", détaille la chercheuse. En d'autres termes, le montant des retraites individuelles diminuera au fil des années au fur et à mesure de l'augmentation du nombre de retraités.

3Faut-il repousser l'âge de la retraite à mesure que l'espérance de vie s'allonge ?

C'est un des grands arguments de ceux et celles qui défendent la retraite à 65 ans. Selon les données de l'Insee, l'espérance de vie des femmes est passée de 84,3 ans en 2008 à 85,4 ans en 2021. Pour les hommes, l'augmentation a été un peu plus importante en passant de 77,6 ans en 2008 à 79,3 ans en 2021. On observe cependant une forme de stagnation depuis 2014.

Au vu de ces données, il serait donc logique de repousser l'âge de départ, arguent les partisans de la retraite à 65 ans. Mais d'autres, comme Jean-Luc Mélenchon, pointent du doigt les chiffres derrière les moyennes de l'Insee. Un article de Libération, basé sur les données recueillies par l'institut, souligne ainsi "qu'un quart des plus pauvres sont déjà morts à l'âge de la retraite". "Les cadres ont un ensemble de ressources qui leur permet de vivre plus longtemps et en meilleure santé", confirme Julie Landour, qui rappelle que l'espérance de vie "en bonne santé" est de "63 ans chez les hommes et de 64 ans chez les femmes".

Avec la mise en place "d'un régime universel" et la suppression des régimes spéciaux, aucun Français ne pourrait donc partir avant 65 ans ? Pas forcément, si l'on en croit les soutiens d'Emmanuel Macron, qui promettent de prendre en compte la pénibilité du travail. Olivier Véran a ainsi assuré "sans ambiguïté" qu'une "aide-soignante ne travaillera pas jusqu'à cet âge".

Dans le système actuel, un dispositif, le compte personnel de prévention, permet de partir jusqu'à deux ans plus tôt en cas de métier pénible. "Mais une ordonnance datant de 2017 a largement revu les seuils à partir desquels on peut prétendre à un emploi pénible, et certains critères, comme celui des charges lourdes, ont été supprimés, explique Julie Landour. Cela veut dire que 40% des travailleurs concernés auparavant par ces critères n'y ont plus le droit."

4La retraite à 65 ans peut-elle améliorer le taux d'emploi des seniors ?

C'est ce qu'a assuré Emmanuel Macron, interviewé par France Bleu. "Plus les employeurs savent que vous partez à la retraite à 62 ans, moins ils vous embauchent", a-t-il expliqué pour justifier sa mesure. Un passage à 65 ans peut "donner un signal aux entreprises" et "les inciter à embaucher plus de 55-65 ans", juge Monika Queisser, spécialiste des retraites à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

En France, "le taux d'emploi des seniors (55 ans et plus), bien qu'en augmentation constante, reste faible en comparaison avec les autres pays européens, en particulier chez les plus de 60 ans", explique une note du ministère de l'Economie. Fin 2019, le taux d'emploi des 60-64 ans était ainsi de 34% en France, contre 63% en Allemagne et 47% dans la zone euro. L'un des facteurs explicatifs de ces chiffres est le manque de mesures prises pour l'intégration des seniors sur le marché du travail.

"En définitive, la question n'est pas tant l'âge de départ que la manière dont on permet aux gens de vieillir le mieux possible dans le travail", estime Julie Landour. La chercheuse pointe du doigt d'autres pays européens, notamment "la Suède", qui ont mis en place des "dispositifs de départs en retraite progressifs avec des usages du temps partiel". La question "de la formation des seniors" est également importante, relève Monika Queisser en citant l'exemple de l'Allemagne, qui accompagne fréquemment les personnes en fin de carrière vers des postes plus adaptés.

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