Inégalités femmes-hommes au travail : trois raisons qui expliquent le retard de la France sur certains de ses voisins

Article rédigé par Jules Hauss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Quartier de la Défense à Paris. (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)
Différences salariales, manque d'accès pour les femmes aux postes de direction : la France est en retard par rapport à certains de ses voisins européens sur l'égalité femmes-hommes au travail. Catherine Bonneville-Morawski, fondatrice du cabinet de conseil en mixité Eragina, décrypte la situation.

Pionnière sur la défense du droit à l’IVG, la France est beaucoup moins en avance lorsqu’il s’agit d'égalité femmes-hommes au travail. L’Insee a rappelé mercredi 5 décembre les différences salariales persistantes en entreprise : les femmes gagnent 14,9% de moins que les hommes à temps de travail égal). Une différence qui s'explique, entre autres, par le manque d'accès des femmes aux plus hauts postes des entreprises, domaine où les pays scandinaves excellent.

Pourquoi un tel succès et quels freins retrouve-t-on en France ? Éléments d'explications avec Catherine Bonneville-Morawski, fondatrice du cabinet de conseil en mixité Eragina, du réseau interprofessionnelles Comelles, et autrice du livre La mixité en entreprise : tout savoir pour agir. 100 questions-réponses (édition Ellipses, 2022).

Des traditions qui freinent le changement

"C'est notre histoire, la façon dont nous avons construit notre société et les stéréotypes qu'on transmet encore à nos enfants, à nos petits-enfants", décrypte Catherine Bonneville-Morawski. Dans la liste des pays bien placés en matière d’accès aux postes de direction pour les femmes, on retrouve par exemple la Lettonie et la Pologne, "des pays qui se sont beaucoup développés récemment, qui avaient besoin de main-d’œuvre, de gens formés, qui apportent de la valeur à l’entreprise". Les femmes ont bénéficié de cet environnement, "elles sont montées autant que les hommes car il y avait moins de barrières", précise la spécialiste.

Plus globalement, c’est dans les pays du Nord (Suède, Norvège, Finlande) que les femmes sont les plus présentes dans les comités de direction. "Ce sont trois pays protestants, là où le catholicisme a pu freiner la France, notamment sur l'acquisition du droit de vote. Surtout : les pouvoirs publics encouragent depuis bien plus longtemps que nous les femmes dans leur activité professionnelle."

Un système fiscal familial qui accentue les inégalités

La Suède et la Finlande sont les deux seuls pays d'Europe avec une fiscalité totalement individualisée : chaque individu est imposé séparément. "Ça met sur un pied d'égalité les deux sexes. Ils pensent moins 'couple' ou 'famille', mais 'individu'. Chacun est responsable de ses revenus et donc de sa carrière. Une femme paie des impôts par rapport à ce qu'elle gagne, non par rapport à ce qu’elle gagne avec son conjoint. La famille existe, bien sûr, là-bas aussi, mais financièrement chacun a son indépendance, ce qui permet de se projeter davantage", analyse Catherine Bonneville-Morawski.

En France, les avantages fiscaux liés à la famille peuvent accentuer les inégalités selon elle, surtout dans un contexte d'inégalité salariale. "Dans un couple où la femme gagne moins que l'homme et dont la fiscalité est partagée, c'est plus souvent elle qui va, par exemple, traiter les urgences domestiques, aller chercher les enfants à l'école… Ça devient aussi un frein pour les mobilités professionnelles, les cotisations pour la retraite."

Un modèle de congé parental à revoir

Autre dispositif sur lequel la Suède s'illustre pour tenter de corriger les inégalités de carrière entre hommes et femmes : le congé parental. Dans le système suédois, un couple peut se répartir jusqu'à 480 jours, rémunérés à 80% du salaire, en plus des deux semaines de congé maternité et paternité. "C'est énorme. Ça fait huit mois chacun. Ça permet au père de tisser des liens avec l’enfant et d’améliorer le travail domestique. Parce qu’aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui en font le plus à la maison", estime Catherine Bonneville-Morawski.

Depuis 2021, la France a élargi le congé paternité à 28 jours mais le congé parental (un an renouvelable deux fois), très peu rémunéré (428,71 euros par mois), n'est utilisé que par 0,8% des pères, contre 14% des mères, selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Un meilleur système pourrait permettre de changer l'état d'esprit des dirigeants, selon elle. "Aujourd’hui, même s’ils ne le disent plus tout haut, beaucoup se demandent s’ils n’auront pas un congé maternité dans les deux années quand ils voient une femme autour de 28 ans, mariée. Pour les hommes, ils ne se posent pas la question. Or, si les hommes aussi sont absents plusieurs mois pour leurs enfants, ça met tout le monde à égalité." Le gouvernement français a récemment fait part de sa volonté de réformer le modèle du congé parental, pour le transformer en "congé de naissance".

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