Témoignages "Franchement, qui aime faire le ménage ?" : les femmes appelées à une grève du travail domestique pour le 8-Mars

Article rédigé par Camille Laurent, Joanna Yakin
Radio France
Publié
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Manifestation à l'occasion de la grève féministe à Paris, le 8 mars 2023. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)
À l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, une cinquantaine d’organisations, associations et syndicats appellent à la grève du travail et des tâches domestiques, vendredi. Franceinfo a recueilli les témoignages de trois femmes qui disent "stop".

"Quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête." C’est le mot d’ordre de la grève féministe du vendredi 8 mars. Associations féministes et syndicats réclament des mesures en faveur de l’égalité entre les sexes. Des préavis de grève sont déposés dans plusieurs secteurs professionnels et les femmes sont aussi appelées à cesser le travail dans la sphère domestique.

En France, "80% des femmes consacrent au moins une heure par jour à la cuisine ou au ménage contre seulement 36% des hommes, rappellent les associations. 63% des personnes qui s’occupent tous les jours d'enfants, de personnes âgées ou handicapées de manière informelle sont des femmes." "Tout ce temps qu'une femme va consacrer à son foyer, c'est du temps en moins pour elle et pour sa carrière. Ça a un impact sur son émancipation personnelle et économique", souligne Youlie, du collectif Les Rosies. Avant d’être militante féministe, elle est une femme. Franceinfo a recueilli sa parole et celle de deux autres femmes en grève domestique le 8 mars.

"C'est du temps libéré"

Anne, 67 ans, est à la retraite depuis six ans et vit en couple. Militante féministe depuis de nombreuses années, elle souhaite marquer le coup ce 8 mars en ne s'occupant de rien chez elle et en allant seulement manifester à Paris. "Après la manifestation, on se retrouve avec les copines pour aller boire un coup et puis manger toutes ensemble", se réjouit Anne qui énumère ce qu'elle ne va pas faire : "M'occuper du linge, aller faire le marché, faire à manger…" Elle admet que son conjoint partage les tâches, mais "c'est important pour moi de marquer la solidarité aussi avec toutes les femmes qui cumulent travail et tâches domestiques."

"Franchement, je ne crois pas qu'il y ait vraiment d'épanouissement dans ces tâches-là."

Anne

à franceinfo

"Ces tâches-là, ce n’est pas forcément des tâches qui font plaisir, reprend la retraitée. Donc il n'y a pas de raison qu'elles ne soient pas partagées, parce que ça permet de libérer du temps pour faire autre chose. Pour lire, aller au cinéma et se promener… Parce que franchement, qui aime faire le ménage, la lessive tous les jours ou s'occuper des courses, s'occuper des repas, passer l'aspirateur ? ", interroge Anne.

"Ce n’est pas seulement pour soi et pour sa famille"

Huayra, 46 ans, mère de famille qui travaille à temps plein, connaît trop bien, elle aussi, les tâches domestiques. Son objectif en faisant la grève domestique, c'est de rendre visible ce travail aux yeux de la société. Pour cette militante féministe, il y a un "regard social" porté sur la manière dont le foyer fonctionne. Et, faire grève, "ce n’est pas seulement pour soi, pour sa famille mais aussi au niveau de la société".

"L'enjeu est de pouvoir vraiment progresser collectivement sur le partage des tâches domestiques, qui a des conséquences sur les inégalités dans l'emploi, tout cela est lié, estime Huayra. La question de la sphère familiale, de la sphère privée, ce sont aussi des questions collectives. Je pense qu'on porte la possibilité d'un autre modèle de société dans nos fonctionnements". Et pour Huayra, c'est important de le montrer le 8 mars et les jours suivants.

"L'idée est de rendre visible un phénomène de société qui est ignoré"

Dans le foyer de Youlie, "nous pratiquons le partage des tâches de manière très très rigoureuse", souligne cette militante de 39 ans, porte-parole d’Attac et cofondatrice du collectif Les Rosies. Mais elle va quand même faire la grève domestique symboliquement. Pour elle, le 8-Mars, "c'est le moment où, quand les femmes arrêtent de travailler à la maison, on se rend compte que la machine n'a pas été mise à sécher, le repas n'est pas préparé, l'enfant n'est pas amené au centre de loisirs… Ce sont toutes ces conséquences-là", énumère Youlie. Avant de préciser : "Les femmes, c'est à la fois la gestion du foyer, le sanitaire, les tâches ménagères, mais c'est aussi la prise en charge des enfants, le soin, c'est-à-dire la gestion de la convivialité, de la vie locale et familiale du foyer. En plus, elles ont la charge mentale : elles pensent, elles conçoivent le soin de leur entourage. Quand elles s'arrêtent, ça se voit considérablement", souligne-t-elle.

“La femme rend visible son utilité sociale."

Youlie

à franceinfo

Mais, admet Youlie, "Ça ne suffit pas. L'idée est de rendre visible un phénomène de société qui est ignoré, ça ne va effectivement pas révolutionner les choses, dans le sens où, le lendemain, la vie ordinaire va reprendre son cours. Et comme on est dans une société patriarcale qui a l'habitude de fonctionner avec l'exploitation du travail gratuit des femmes, ça ne va pas changer là tout de suite", reconnaît Youlie. D’où la notion de grève féministe reconduite chaque année, "pour montrer dans l'imaginaire et dans la pensée de la société, qu'il y a un vrai mépris, un problème de considération de cette utilité-là." La grève féministe n'est "pas du tout un concept nouveau, il reste que la grève féministe avec la possibilité de poser un préavis n'est reconnue en France que depuis 2018", rappelle la militante.

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