Reportage "Ce qui est sûr, c'est qu'on ne lèvera pas le barrage" : Gabriel Attal n'a guère convaincu les agriculteurs mobilisés sur l'A6

Article rédigé par Fabien Magnenou - envoyé spécial à Villabé (Essonne)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des agriculteurs en colère suivent le discours de politique générale de Gabriel Attal sur une télévision, le 30 janvier 2024, sur l'A6 à hauteur de Villabé (Essonne). (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)
Les manifestants ont suivi de près, mardi après-midi, le discours de politique générale du Premier ministre, sur une télévision installée dans leur camp de base. Mais ils n'ont pas validé le grand oral du chef du gouvernement.

Loin de l'Assemblée nationale, c'est un tout autre hémicycle qui s'est formé sur le bitume de l'A6, mardi 30 janvier. Les agriculteurs mobilisés sur le blocage de l'autoroute, à hauteur de Villabé (Essonne), ont suivi avec attention la déclaration de politique générale de Gabriel Attal. Quand le Premier ministre a prononcé la formule "réarmement agricole", les manifestants se sont aussitôt rués vers la télévision apportée lundi par un responsable local de la FDSEA, lâchant un "aaaaaaah" de soulagement. Avant d'exprimer leur déception, quelques minutes plus tard, à la fin du discours du chef du gouvernement.

"Le réarmement agricole, on ne voit pas bien ce qu'il y a derrière", lâche Steeve Lutton, céréalier dans le Loiret, pour qui les difficultés actuelles du monde agricole français sont liées aux normes qui ne sont pas appliquées de la même manière partout en Europe. "Je suis lucide face à l'empilement de normes", a d'ailleurs assuré le Premier ministre, défendant "une exception agricole française." Mais ses mots n'ont pas convaincu. 

"Au niveau européen" justement, Gabriel Attal a identifié "trois priorités" sur lesquelles l'exécutif entend se battre, dès le sommet européen de jeudi : les jachères, les importations ukrainiennes, notamment de volailles, et le Mercosur, le projet d'accord commercial entre l'Union européenne et des pays d'Amérique latine. "Il fait remonter le problème des jachères au niveau européen, mais ce sont des promesses à ce stade", juge Justin Durand, jeune céréalier. 

"De toute façon, on ne s'attendait à rien"

Les propositions de soutien financier, elles non plus, n'ont pas trouvé grâce aux yeux des agriculteurs mobilisés. "Nous ne voulons pas quémander des aides, nous voulons vivre de notre travail", rétorque Justin Durand. Un sentiment largement partagé sur le point de blocage. Gabriel Attal a promis que le solde des aides de la politique européenne de soutien à l'agriculture (PAC) au titre de 2023 sera crédité "d'ici au 15 mars". Mais "il a simplement rappelé la règle, c'est de la poudre aux yeux pour ceux qui ne connaissent pas le monde agricole", estime Damien Chardon, maraîcher-céréalier de Seine-et-Marne, même si, selon lui, une cinquantaine de dossiers sont toujours en souffrance dans ce département. "Il n'a rien dit sur les normes phytosanitaires, en revanche. Mais de toute façon, on ne s'attendait à rien."

"Pour toi Attal, cette semaine va être fatale", ont écrit des membres des Jeunes Agriculteurs de Dordogne, mobilisés sur l'A6, le 30 janvier 2024. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Autre promesse de Gabriel Attal qui n'a pas séduit les manifestants : celle de réutiliser en faveur de l'agriculture les sommes perçues en sanctionnant les industriels et la grande distribution ne respectant pas les lois Egalim, prévoyant que les agriculteurs ne soient pas payés en dessous de leurs coûts de production. "Quelle somme reviendra réellement à l'agriculture ? Et y aura-t-il réellement des amendes infligées aux industriels ?", s'interroge l'éleveur Jean-Charles Chanquoi, membre des Jeunes Agriculteurs de Dordogne.

Une délégation du Sud-Ouest est arrivée dans la journée en bus, après huit heures de route depuis Bergerac. Depuis, des spécialités locales cuisent et une odeur de magret flotte sur le camp de base, là où tout le monde vient se restaurer. Avant même que Gabriel Attal n'aborde dans son discours la crise agricole, plusieurs agriculteurs du Sud-Ouest avaient déployé une banderole, entre deux arbres : "Pour toi Attal, cette semaine va être fatale". "On ne regrette pas ce message", résume l'éleveur Jean-Charles Chanquoi, au terme de l'exposé du Premier ministre, dénonçant l'absence de "solutions concrètes".

 "Nous ne sommes pas satisfaits"

Poids lourds qui klaxonnent leur soutien, hélicoptère des forces de l'ordre qui survolent la zone... L'intervention de Gabriel Attal a plusieurs fois été interrompue. Qu'importe. "Il n'a clairement rien dit", résume Guillaume Chantereau, céréalier et éleveur de poules pondeuses. On attend des actes, on ne veut pas de blabla." Un peu plus loin, Corinne Bonnet, présidente de la coopérative Terres Bocages Gâtinais (Seine-et-Marne), parcourt le bitume en mimant le violon. Un "concours d'éloquence", dénonce-t-elle pour sa part. 

Des agriculteurs sur le blocage de l'A6, à hauteur de Villabé (Essonne), le 30 janvier 2024. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Pour Thierry Desforges, responsable local de la FDSEA, ce discours de politique générale ne contenait rien de plus que vendredi, lors des premières annonces faites par Gabriel Attal. Et la promesse de prolonger la dérogation sur les 4% au moins de terres arables laissées en jachères ou couvertes de haies, de bosquets, de fossés ou de mares ne l'a guère convaincu. "Nous avons vu ce qui s'est passé avec la dérogation sur les néonicotinoïdes, donc nous n'avons pas confiance", lâche l'agriculteur de l'Essonne.

Gabriel Attal n'est pas parvenu à faire retomber la colère des agriculteurs qui bloquent l'A6. "Nous ne sommes pas satisfaits et ce qui est sûr, c'est qu'on ne lèvera pas le barrage", conclut Thierry Desforges, le visage sombre. Nous allons même intensifier nos actions". La température a chuté de quelques degrés depuis l'arrivée des premiers tracteurs lundi et, après une nuit passée sur l'A6, les manifestants ont parfois de petits yeux. Mais dès mardi soir, le barrage va se déplacer 25 kilomètres plus au nord, en direction de Paris. Histoire de mettre un peu plus la pression sur le gouvernement.

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