Colère des agriculteurs : trois questions sur le Comité d'action viticole qui a fait exploser la Dreal à Carcassonne

Le bâtiment de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de l'Aude a été soufflé par une explosion dans la nuit du 18 au 19 janvier. Deux tags du "CAV", le Comité d'action viticole, ont été retrouvés sur place.
Article rédigé par Valentine Joubin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des tags du Comité d'action viticole ont été retrouvés sur les lieux de l'explosion d'un bâtiment de la DREAL de l'Aude, à Carcassonne, dans la nuit du 18 au 19 janvier 2024. (BOYER CLAUDE / MAXPPP)

En Occitanie, le mouvement de contestation du monde agricole a pris une tournure particulièrement violente. Dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 janvier, une explosion a soufflé le bâtiment de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de l'Aude, à Carcassonne.

Une enquête a été ouverte pour "dégradation par moyen dangereux d’un bien appartenant à autrui en bande organisée", a fait savoir le parquet. Les initiales du CAV, le Comité d'action viticole, ont été retrouvées sur les lieux. Quel est ce groupe, né il y a plus d'un siècle, et qui a recemment repris la lutte ?

Comment est-il né ?

Le Comité d'action viticole (CAV), aussi appelé Comité régional d'action viticole (CRAV), est un groupe de producteurs de vin créé en 1907 lors de la révolte des vignerons du Languedoc et du Roussillon pour défendre les intérêts viticoles français et occitans. Mais c'est surtout dans les années 60-70 qu'il se fait connaître en revendiquant des actions violentes (dégradations, incendies volontaires, séquestrations, attentats à la bombe). La plus grave a lieu en 1976 : une fusillade éclate entre des CRS et plusieurs centaines de viticulteurs lors d'une manifestation à Montredon (Aude). Un commandant de CRS et un producteur de vin sont tués.

En sommeil de 1976 jusqu'à la fin des années 90, le CAV fait de nouveau parler de lui à la faveur des crises que connaît le monde viticole. Comme dans les années 2008-2009 "où il y a eu un arrachage massif des vignes parce qu'il y avait une surproduction", raconte Yann Vétois, coordinateur de la Confédération paysanne de l'Aude. Le groupe multiplie alors attaques à la bombe et incendies, sans faire de victime."Généralement, à chaque fois qu'il y a un problème viticole, ils réapparaissent".

Quelles sont leurs revendications ?

Depuis sa création, le CAV se révolte contre "le commerce du vin", explique Yann Vétois. Dans les années 70, "il y avait de nouveau une crise viticole, des problèmes avec le négoce viticole et donc des prix extrêmement bas qui ne payaient pas les vignerons", poursuit-il. Pendant une quinzaine d'années, ces comités "voulaient porter à la fois un mode d'action violente, mais aussi une réflexion sur ce que devait être la viticulture et la vie en pays occitan." Le CAV était ainsi proche des mouvements occitanistes.

Ces dernières années, les actions du groupe ont visé à dénoncer l'importation de vin étranger et en particulier de vin espagnol. Ainsi, en juin 2017, une dizaine de personnes cagoulées et armées de masses avaient déversé 200 000 litres de vin chez un négociant de Teyran (Hérault). Plus récemment, le 5 octobre 2023, le CAV a tenté de mettre le feu à une usine d'embouteillage à Sallèles (Aude). À chaque fois, les trois lettres du comité sont taguées sur les lieux.

L'attaque contre les locaux de la Dreal à Carcassonne dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 janvier intervient alors que le secteur viticole traverse une nouvelle crise."Personnellement, je n'ai jamais connu une crise aussi grave parce qu'elle nous prend des deux côtés, affirme Frédéric Rouanet, le président du syndicat des vignerons de l'Aude. D'un côté les ventes de vignes (qui chutent) et de l'autre côté les charges qui ont explosé."

Quelle est son audience ?

S'il laisse la marque de ses actions derrière lui, le Comité d'action viticole n'a en revanche pas de visage. Pas de porte-parole du CAV, ni de leader officiel. Difficile aussi de mesurer son audience. Si le groupe bénéficiait d'un soutien populaire dans les années 70, qu'en est-il aujourd'hui ?

De ce vaste mouvement paysan ne reste aujourd'hui, selon Yann Vétois, que "des groupuscules". "Ce sont des gens qui ont la nostalgie du rapport de force qu'ils avaient réussi à créer avec l'État à cette époque-là", avance le coordinateur de la Confédération paysanne.

Le président du syndicat des vignerons porte lui aussi un regard critique sur les modes d'action du CAV : "Je ne peux pas cautionner ce genre de choses, déclare Frédéric Rouanet. Nous, on est un syndicat avec 4 000 adhérents et notre mode d'action, c'est de faire des manifestations de masse, comme on l'a fait à Narbonne le 25 novembre, ou d'aller sur le terrain de la négociation". Mais il précise tout de même :"J'étais certain que ça allait déraper si les mouvements que j'avais créés en parallèle avec le syndicat n'étaient pas pris en considération".

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