Vrai ou faux Carburants : on a vérifié quatre affirmations politiques sur la hausse des prix à la pompe
Surcoût pour le conducteur, poids des taxes, efficacité de la remise de 15 centimes annoncée par le gouvernement... Franceinfo a passé au crible les réactions des responsables politiques à la flambée des prix de l'essence.
Un coup de pouce pour tous les conducteurs. Face à l'envolée des prix des carburants, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé, samedi 12 mars, une "remise à la pompe de 15 centimes par litre", à partir du 1er avril. Une mesure temporaire, qui s'appliquera pour une durée de quatre mois, et dont le coût est estimé à 2 milliards d'euros par le gouvernement.
A droite comme à gauche, le dispositif a suscité de vives réactions politiques. Efficacité de la mesure, part des taxes, évolution des tarifs des carburants... Franceinfo a décrypté et vérifié quatre récentes déclarations sur les prix à la pompe.
Le prix du plein "a pris 30 à 40 euros supplémentaires", affirme Alexis Corbière : exagéré
"Le moindre plein en quelques semaines a pris 30 à 40 euros supplémentaires", a déploré lundi le député La France insoumise Alexis Corbière au micro de Sud Radio. Sous l'effet de la forte reprise économique mondiale, puis de la guerre en Ukraine, les prix des carburants ont bondi depuis le début de l'année. Entre le 31 décembre 2021 et le 11 mars dernier, le litre de gazole, le carburant le plus utilisé en France, est passé de 1,54 à 2,14 euros, selon les dernières données du ministère de la Transition écologique, soit une hausse de 39%. Le litre de sans plomb 95 E10, l'essence la plus répandue, a augmenté de 26% sur la même période, passant de 1,61 à 2,03 euros.
L'évolution du prix du plein dépend évidemment du carburant consommé et du type de voiture. Pour une voiture avec un réservoir de 40 litres, un plein de gazole coûte 24 euros de plus qu'en début d'année, et 16,8 euros supplémentaires pour un plein de SP95 E10. Avec un véhicule doté d'un réservoir de 60 litres, l'addition a augmenté de 36 euros pour un plein de gazole, et de 25,2 euros pour un plein de SP95 E10. Si l'ordre de grandeur avancé par Alexis Corbière apparaît donc exagéré, il est indéniable que la facture de carburant s'est nettement alourdie au cours des dernières semaines.
Sur un litre de carburant, environ "1 euro" va "dans les caisses de l'Etat", selon Guillaume Peltier : plutôt vrai
Sur un litre de carburant, "il y a un 1 euro-1,25 euro en moyenne qui va dans les caisses de l'Etat", a déclaré lundi sur Public Sénat Guillaume Peltier. Une remise de "15 centimes, c'est le minimum", a réagi le porte-parole d'Eric Zemmour.
La fiscalité représente environ la moitié du tarif final des carburants. Cette part comprend la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20% qui s'applique à la fois sur le produit hors taxes et sur la TICPE. Le reste du prix à la pompe se compose du coût du pétrole brut, du raffinage, et des coûts de transport et de distribution. Actuellement, sur un litre de gazole à 2,14 euros, on compte 97 centimes d'euros de taxes, selon les données du ministère de la Transition écologique. Quant au litre de SP95 E10, qui s'échange à 2,03 euros, il comprend 1,01 euro de taxes. Des chiffres proches de la fourchette basse d'un euro évoquée par Guillaume Peltier.
Toutefois, si la TVA et la TICPE représentent effectivement la majeure partie du tarif, "ce sont surtout les prix hors taxes qui augmentent fortement", commente Carine Sebi, professeure et coordinatrice de la chaire Energy for Society de la Grenoble Ecole de management. Le litre de gazole hors taxes a bondi de 75% depuis le 31 décembre 2021, contre 52% pour le SP95 E10. Or, contrairement à la TVA, calculée en pourcentage, le montant de la TICPE, principale taxe sur les carburants, est une somme fixe. La part des taxes dans le prix des carburants baisse donc mécaniquement lorsque les cours du pétrole augmentent, souligne le site spécialisé Connaissance des énergies.
Enfin, toutes ces taxes ne finissent pas exactement "dans les caisses de l'Etat", contrairement à ce qu'affirme le porte-parole d'Eric Zemmour. Une partie de la TICPE est notamment réaffectée aux régions et aux départements. En 2022, sur 33 milliards d'euros de TICPE attendus, 11,1 milliards devraient être distribués aux collectivités, et 3,4 milliards à d'autres organismes (Ile-de-France Mobilités et l'Agence de financement des infrastructures de transport de France), selon le projet de loi de finances.
La remise de 15 centimes est "la mesure la plus efficace dans les délais les plus rapides", soutient le gouvernement : discutable
"La remise de 15 centimes par litre sur le carburant est la mesure la plus efficace dans les délais les plus rapides pour protéger des millions de Français face à cette situation intenable", a défendu lundi sur Twitter le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Un argumentaire également repris sur RTL en début de semaine par la ministre de la Transition énergétique, Barbara Pompili. Contrairement à la baisse de la TVA, cette mesure, prévue pour durer quatre mois (jusqu'au 1er juillet), ne nécessite pas de modification de la loi et peut donc être mise en place plus rapidement, a de son côté justifié samedi le Premier ministre, Jean Castex, dans les colonnes du Parisien (article abonnés).
Mais cette remise de 15 centimes est-elle la solution optimale pour soulager le portefeuille des automobilistes ? "Idéalement, il aurait fallu des mesures plus ciblées" à destination des "gros rouleurs" ou des plus précaires, pointe Patrice Geoffron, professeur d'économie à Paris-Dauphine et directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP). Le coup de pouce du gouvernement, qui s'applique à tous, risque d'engendrer "'un effet d'aubaine' pour les ménages aisés qui bénéficient de la mesure alors qu'ils auraient pu supporter provisoirement cette hausse des prix".
La situation a "conduit à agir dans l'urgence" et il n'est "pas certain que les mécanismes existent dans l'immédiat pour faire un ciblage précis", nuance cependant le spécialiste. Le gouvernement assure de son côté réfléchir à la mise en place d'une solution alternative, d'ici l'été, "qui touchera ceux qui sont les plus dépendants" à la voiture. Par ailleurs, cette solution temporaire ne permettra pas de faire face durablement à la grande volatilité des prix des carburants.
"On essaye d'éteindre un feu, mais des mesures de prévention auraient été plus efficaces."
Patrice Geoffron, économisteà franceinfo
Les experts interrogés par franceinfo estiment que la France paye les frais de son "retard" dans la transition énergétique. "Il faut des politiques plus structurantes ; qu'on investisse pour décarboner les transports et se défaire de cette dépendance au pétrole", plaide Carine Sebi. "Adopter des modes de consommation plus sobres et accompagner ceux qui ne le peuvent pas" est également essentiel pour réduire l'impact des hausses des prix sur le pouvoir d'achat de Français.
Réduire la TVA de 20% à 5,5% engendrerait "entre 30 et 45 centimes de baisse" du prix du litre, assure Louis Aliot : faux
"Si on baissait la TVA, comme le propose Marine [Le Pen], de 20% à 5,5%, on aurait à peu près entre 30 et 45 centimes de baisse au litre", a déclaré lundi Louis Aliot sur CNews. Cette diminution de la TVA permettrait effectivement de réduire le prix à la pompe, mais dans une proportion moins importante que ce qu'avance le maire RN de Perpignan (Pyrénées-Orientales).
Sur un litre de gazole à 2,14 euros, on compte au total 36 centimes de TVA à 20%, comme l'explique l'Union française des industries pétrolières (Ufip). En abaissant la TVA à 5,5%, le montant total de la taxe tomberait à un peu moins de 10 centimes par litre. A elle seule, la réduction de la TVA à 5,5% permettrait donc d'économiser environ 26 centimes par litre de gazole acheté, mais pas entre "30 et 45 centimes", comme l'assure Louis Aliot.
D'autres candidats à l'Elysée, dont la socialiste Anne Hidalgo, plaident également pour une TVA à 5,5% sur les carburants. Mais cette mesure présente plusieurs limites. Sur le plan environnemental, Patrice Geoffron se dit "sceptique" sur le fait qu'une baisse de la TVA "sur le pétrole, qui est une énergie carbonné" puisse être une "bonne solution". "C'est d'autant plus dommageable que ce n'est pas non plus une mesure ciblée", ajoute l'économiste.
En plus de la baisse de la TVA, Marine Le Pen souhaite revenir sur les augmentations de la TICPE, "décidées par Emmanuel Macron", en tant que ministre de l'Economie (2014-2016). Depuis 2014, hors majorations régionales, la TICPE est certes passée de 42,8 à 59,4 centimes d'euros par litre pour le gazole (+16,6 centimes), et de 60,7 à 66,3 centimes d'euros par litre pour le sans-plomb 95 E10 (+5,6 centimes), selon le site Connaissance des énergies. Mais son montant est toutefois gelé depuis 2018, en réponse au mouvement des "gilets jaunes". Par ailleurs, réduire la TICPE ne serait pas sans conséquence sur les finances publiques. En 2022, les recettes de cette taxe directement affectées au budget de l'Etat sont estimées à 18,4 milliards d'euros, selon le projet de loi de finances.
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