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Reportage Prix des carburants : six automobilistes racontent comment ils s'adaptent à cette hausse "de dingue"

Article rédigé par Mathilde Goupil - Envoyée spéciale dans le Pas-de-Calais
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La station-service Netto, à Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Dopés par la guerre en Ukraine, les prix de l'essence et du diesel dépassent presque partout la barre symbolique des deux euros par litre. Six automobilistes rencontrés dans une station-service du Pas-de-Calais témoignent de ce que ce record change ou non dans leur consommation de carburant.

Vingt-huit centimes. C'est la hausse qu'a connue le litre de diesel à la station-service du supermarché discount Netto, à Courrières (Pas-de-Calais), dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 mars. Vingt-huit centimes de plus en 24 heures, et la barre symbolique des deux euros dépassée, pour le diesel comme pour le sans-plomb. Cette petite station automatique n'a rien d'une exception : les prix explosent partout en France

Entamée il y a des mois après une baisse lors du premier confinement, l'envolée du prix des carburants a connu un coup d'accélérateur avec l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, fin février. Du "jamais-vu" pour les habitants de cette commune de 10 000 habitants, située dans le bassin minier, à une dizaine de kilomètres à l'est de Lens. Des restrictions financières à leur réflexion sur la place de la voiture dans leur vie, les automobilistes venus à la pompe ce mercredi témoignent auprès de franceinfo des conséquences de ces prix record sur leur quotidien.

Claudine, neuf litres de sans-plomb 98 pour 20 euros

Claudine, accoudée à son véhicule, dans la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Il est 8 heures passées de quelques minutes quand Claudine s'extrait de sa vieille Clio Chipie. Cette ancienne cuisinière est sans emploi depuis que le restaurant où elle travaillait dans le bassin minier a mis la clé sous la porte, en 2018. La frêle brune de 55 ans, atteinte de la maladie de Raynaud, un trouble de la circulation sanguine qui affecte les doigts, n'a pas retrouvé d'emploi depuis. "Etre incapable de saisir quelque chose de froid, ça n'est pas pratique quand vous travaillez dans la restauration. Et puis ensuite, avec le Covid…", lâche-t-elle d'un air entendu.

Si Claudine est venue tôt, c'est parce qu'elle accompagne chaque jour sa fille au travail, à quelques kilomètres de là. La jeune femme de 30 ans, employée à mi-temps dans les cuisines d'un monument touristique pour 700 euros net par mois, n'a pas encore réussi l'examen du permis de conduire. Et ses horaires en décalé, tôt le matin ou tard le soir, l'empêchent parfois de prendre le bus. Les allers-retours quotidiens des deux femmes se chiffrent désormais à une quarantaine d'euros par mois, soit "environ cinq euros de plus" qu'en 2021. Un surcoût pas négligeable pour Claudine et sa fille, qui vivent principalement grâce au maigre salaire de la seconde.

Alors ce matin, pas question de faire le plein : Claudine met tout juste 20 euros de sans-plomb 98 dans sa petite auto. Pour des "raisons économiques", bien sûr, mais aussi parce que dans le coin, le vol de carburant n'est pas rare, glisse l'ex-cuisinière. Depuis que son réservoir a été siphonné il y a deux ans, elle préfère éviter de le remplir. "On avait surpris les voleurs en flagrant délit à 4 heures du mat' !", se remémore-t-elle, fâchée de ne pas avoir été remboursée par les sans-gêne, "pas solvables". Tant pis pour Claudine.

Sylvie, 45 litres de sans-plomb 98 pour 95 euros

Sylvie et sa Dacia, à la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Quelques minutes plus tard, Sylvie gare sa Dacia Sandero devant la pompe à essence. Elle vient d'aller déposer sa fille de 6 ans au centre aéré et s'apprête à regagner son domicile de Courrières afin d'y télétravailler. Un mode d'organisation du travail que cette responsable RH plébiscite de plus en plus ces derniers jours avec l'envolée des prix des carburants. La blonde à lunettes au visage rond, qui travaille dans une grande entreprise de Seclin (Nord), à une quinzaine de kilomètres de là, s'économise désormais l'aller-retour trois fois par semaine, contre une fois seulement jusqu'à présent. 

Sylvie et son mari, chef de projet informaticien, gagnent 5 000 euros net mensuels. Malgré tout, cette famille de quatre "fait attention". Le couple, propriétaire de deux véhicules, consacre chaque mois "300 à 400 euros" au carburant. Depuis l'envolée des prix ces dernières semaines, "fini les sorties en famille du dimanche", trop consommatrices du précieux liquide noir, se désole Sylvie, qui préfère rogner sur ce "moment plaisir" que sur les loisirs de ses deux filles.

En remplissant son réservoir, la mère de famille confie réfléchir pour la première fois à troquer sa voiture thermique, achetée neuve il y a huit ans, contre un modèle électrique. Grâce aux aides à l'achat proposées par le gouvernement, le calcul est intéressant sur le long terme, se dit-elle. Un seul élément la retient encore : les bornes de recharge sont-elles assez nombreuses ? A Courrières tout du moins, deux d'entre elles ont été installées devant la concession Opel, mais leur accès n'est désormais possible qu'aux horaires d'ouverture du magasin. Pas sûr que cela réussisse à la convaincre de sauter le pas.

Fabrice, zéro litre de gazole pour cause de pénurie à la pompe

Fabrice et sa voiture sans permis, à la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Tandis que les clients commencent à se presser sur le parking du Netto, Fabrice s'extirpe du petit habitacle de sa voiture sans permis, rejoint la pompe et s'arrête, l'air surpris. "Gazole rupture de stock", peut-on lire sur les affichettes jaunes, scotchées ça et là. Pas de bol. Avec la montée en flèche des prix, la station-service de Courrières n'est pas la seule du coin à s'être retrouvée assiégée ces derniers jours. Le boulanger de 45 ans ne comptait de toute manière pas partir bien loin : sa Casalini bleue, achetée à crédit 15 500 euros en 2016, ne monte que jusqu'à 70 km/h. Mais il embauche à 11 heures au supermarché Cora, à l'autre bout de la ville, et il n'aime pas "être sur la réserve" de carburant.

Avec 1 600 euros de salaire mensuel, et deux de ses trois filles encore à sa charge, la hausse du prix du diesel, passé pour la première fois devant le sans-plomb 95 début mars, a porté un coup au moral de Fabrice. "Je ne peux pas me priver de ma voiture", assure-t-il, évoquant notamment ses courses, "trop lourdes" pour être portées à la main. Le quadra reconnaît que lorsque son véhicule est en panne – "C'est souvent le cas en ce moment" – il parcourt sans trop rechigner à pied les "deux à trois kilomètres" qui séparent son domicile de son lieu de travail. Une exception qui pourrait devenir une habitude ? Pas aujourd'hui en tout cas. Un coup de spray "démarre moteur" sous le pare-choc pour relancer l'engin capricieux, et Fabrice est déjà reparti vers la prochaine station-service, à la recherche d'un peu d'or noir.

Mariem, huit litres de sans-plomb 95 pour 17 euros

Mariem et sa Fiat panda, à la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"C'est devenu tellement cher... D'habitude je fais le plein, mais là je ne vais mettre que 10 euros", glisse Mariem quand on l'aborde devant sa Fiat Panda. Elle a beau fixer le petit cadran numérique sur la pompe à essence, son doigt reste appuyé une seconde de trop sur la gâchette du pistolet, et la retraitée, embêtée, doit s'acquitter de sept euros de plus que prévu. Heureusement qu'elle a pris du sans-plomb 95 E10, "moins cher" que le 98, bien qu'il brûle plus vite.

Face à la montée du prix de l'essence, Mariem "essaie de limiter au maximum" son utilisation de la voiture. Une fois par semaine, elle file au Lidl, à quatre kilomètres de la commune voisine de Oignies, où elle réside, pour faire son plein de courses. "Avant, je guettais les réductions dans différents supermarchés, mais maintenant je vais au plus proche." Avec sa retraite de 1 300 euros, elle assure n'avoir déjà plus de loisirs en dehors de chez elle et ne plus partir en vacances.

"Je faisais déjà un peu attention avant, mais depuis six mois tout augmente : l'essence, le gaz, la nourriture... J'ai même annulé ma mutuelle !"

Mariem

à franceinfo

Alain, 11 litres de sans-plomb 98 pour 24 euros

Alain et sa voiture, à la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Il a laissé sa Dacia garée à l'extérieur de la station-service. Alain, jogging gris et chevalière à l'annulaire droit, attrape deux petits bidons en plastique dans son coffre et se dirige vers la pompe. Cet ancien peintre en bâtiment, qui ne travaille plus depuis qu'il s'est brisé le poignet en tombant d'une échelle sur un chantier il y a trois ans, n'est pas venu pour remplir son réservoir mais celui de sa femme, aide à domicile. "C'est un truc de dingue !" lance-t-il en découvrant le prix affiché du sans-plomb 98 : 2,131 euros le litre.

Après son accident, Alain a longtemps "déprimé", coincé seul à la maison toute la journée. Pour lutter contre les idées noires, il monte désormais chaque matin dans sa voiture et vient se dépenser une heure dans une salle de sport de Courrières. Mais dès la semaine prochaine, son entraînement commencera en bas de chez lui. Pour rejoindre les tapis de course, à sept kilomètres de son domicile, plus question de prendre la voiture : il enfourchera le vélo, jusqu'alors réservé aux balades dominicales. Si les prix restent aussi élevés cet été, il ne partira plus en vacances à l'autre bout de la France, dans une location qu'on découvre après sept heures de route. Cette fois, ça sera "la Tunisie ou l'Espagne", en avion. Plus loin, plus polluant... "mais moins cher", assure le jeune sexagénaire.

Thomas, 35 litres de sans-plomb 98 pour 74 euros

Thomas et sa voiture, à la station-service Netto de Courrières (Pas-de-Calais), le 9 mars 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Entre deux rendez-vous à domicile, Thomas, 29 ans, remplit le réservoir de sa C3 rouge, achetée d'occasion il y a quatre ans. Chaque jour, ce kiné fait plus de 30 kilomètres pour venir de Marcq-en-Barœul (Nord) à son cabinet de Courrières. Plusieurs fois par semaine, il parcourt encore quelques kilomètres supplémentaires pour effectuer des visites à domicile ou dans les Ehpads des communes environnantes – de Harnes à Lens.

Thomas n'est pas regardant sur la quantité qu'il met dans son réservoir : sa rémunération de 2 500 euros net par mois (sans compter le surplus qu'il s'accorde en fin d'année), et le salaire de son épouse, elle aussi kiné, lui permettent "de ne pas trop se soucier du prix de l'essence". En raison de son activité libérale, il bénéficie par ailleurs d'indemnités kilométriques qui lui permettent de couvrir en grande partie le coût de ses déplacements professionnels. Avec l'envolée des tarifs à la pompe ces dernières semaines, il espère néanmoins que le gouvernement reverra à la hausse le barème de ces indemnités, afin de rentrer dans ses frais.

Le kiné réfléchit par ailleurs à venir plus souvent travailler en train et à vélo. Un mode de transport qu'il a déjà adopté "une fois par semaine", par "souci écologique", mais qui double presque son temps de déplacement. "S'il y avait une gare à Courrières, je viendrais en train tous les jours", soupire-t-il. Faute de croire à l'arrivée du rail, c'est décidé : quand sa vieille Citroën l'aura lâché, il passera à l'électrique.

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