Cet article date de plus d'un an.

Vrai ou faux Les arrêts-maladies "de complaisance" ont-ils explosé, comme l'affirme le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le nombre d'arrêts de travail a augmenté de 30% entre 2019 et 2022, selon le CTIP. (RICHARD VILLALON / BELPRESS / MAXPPP)
Si les arrêts de travail ont bien augmenté de 30% en trois ans, cette hausse s'explique par plusieurs facteurs tels que la pandémie de Covid-19, ou encore les troubles psychologiques.

La France est-elle touchée par une épidémie d'arrêts-maladies ? Invité de BFMTV, vendredi 16 juin, Geoffroy Roux de Bézieux, a dénoncé une "explosion des arrêts de travail courte durée : plus 30%".

"Il faut dire les choses : ce sont des arrêts de travail qui explosent, notamment le lundi et le vendredi", a continué le président du Medef, critiquant "des arrêts de travail de complaisance". Dit-il vrai ou fake ? Franceinfo s'est penché sur la question.

Un Français sur deux a été arrêté au moins une fois en 2022

Au regard des chiffres officiels, la hausse des arrêts-maladies est une réalité. Selon le ministère de l'Economie, il y en a eu 8,8 millions en 2022, contre 6,4 millions dix ans plus tôt, soit une hausse de 37,5%. Cette tendance se confirme sur les trois dernières années. D'après le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), qui fédère les assurances complémentaires pour la santé, le nombre d'arrêts de travail a augmenté de 30% entre 2019 et 2022. En outre, les prestations versées à ce titre "ont augmenté de 12%", précise le CTIP dans un communiqué* publié le 15 juin.

L'assureur AXA, qui analyse l'absentéisme national depuis quatre ans, dresse un constat similaire. D'après ses chiffres, la fréquence des arrêts de travail a bondi de 54% entre 2019 et 2022. L'absentéisme a même atteint un niveau record en 2022, selon son baromètre publié en mai* : l'an dernier, 44% des salariés s'arrêtaient au moins une fois dans l'année, contre 30% en 2019. Sur cette même période, la part d'arrêts d'une durée de quatre à sept jours a bondi, passant de 24,9% à 36,7%. 

La hausse est réelle, mais les motifs sont-ils justifiés ? Selon Yves Hérault, directeur AXA Santé & Collectives, cette envolée peut s'expliquer par "les vagues épidémiques dues notamment à Omicron", variant du Covid-19 particulièrement contagieux. Mais "ces vagues n'expliquent pas tout", tempère-t-il dans le rapport. Il évoque une hausse plus marquée chez les plus jeunes et les cadres "qui, jusque-là, s'arrêtaient habituellement moins". En effet, le taux d'absentéisme a progressé de plus de 50% chez les moins de 30 ans entre 2019 et 2022, selon le document.  

Pour Katell Clère, directrice technique notoriété et innovation chez AXA, "la principale cause d'arrêts de travail de longue durée reste les troubles psychologiques, sujet en constante augmentation depuis plus de trois ans." Citée dans le baromètre, elle estime que "les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention des troubles psychologiques."  

D'après un autre baromètre*, réalisé par l'institut de sondage Ifop pour la mutuelle-santé Malakoff-Humanis, 50% de salariés ont été arrêtés au moins une fois dans l'année en 2022. Parmi les motifs, toutes durées confondues, la "maladie ordinaire" arrive en tête (28%), en forte progression. Le Covid-19 se place en deuxième position (17%), devant les troubles psychologiques (15%) et les troubles musculo-squelettiques (13%).  

Une dégradation mentale et physique post-Covid-19

Interrogée par l'AFP, Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du CTIP, s'est alarmée d'une hausse des arrêts de travail "structurelle" plutôt que "conjoncturelle". En effet, si cette augmentation a pu s'expliquer lors de la pandémie, il est plus difficile de la comprendre aujourd'hui. La déléguée générale émet plusieurs hypothèses pour expliquer ces arrêts : des "problèmes psy" comme le "burn-out", ou la "dépression post-Covid". Elle constate également une augmentation nette des arrêts de travail des moins de 45 ans "dans certains secteurs". Outre les jeunes, ce sont les femmes et les cadres qui sont de plus en plus concernés, précise le CTIP.

Géraldine Mandefield, dirigeante de la filiale d'AXA Verbateam, spécialisée dans la prévention et la santé, évoque dans le baromètre de l'assureur "une dégradation de la santé mentale et physique" liée à la pandémie. La crise du Covid-19 "a accéléré la sédentarité des salariés qui perdure notamment avec la banalisation du télétravail plusieurs fois par semaine"

En revanche, aucun des baromètres consultés par franceinfo ne précise si les arrêts sont pris le lundi ou le vendredi, comme l'avance Geoffroy Roux de Bézieux. Il est donc réducteur de la part du représentant des chefs d'entreprise français de suggérer que cette hausse est liée à des "arrêts de complaisance".

Un programme de contrôle des arrêts de travail à la rentrée 

Pour autant, face à cette hausse, le gouvernement s'inquiète pour les finances publiques. Le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, a déploré "l'explosion des arrêts-maladies" lors d'une audition au Sénat, le 14 juin. En effet, selon sa Caisse nationale*, le montant des indemnités journalières remboursées par l'Assurance-maladie a augmenté de 15,2% en 2022, pour atteindre 15,7 milliards d'euros. Si cette tendance se poursuit, "on sera à 23 milliards d'euros par an en 2027", anticipe le ministre.

    En septembre 2022, il avait déjà annoncé vouloir s'attaquer aux arrêts de travail délivrés en téléconsultation par un praticien autre que le médecin traitant. Un encadrement retoqué trois mois plus tard par le Conseil constitutionnel. Dans son plan présenté en mai pour lutter contre la fraude sociale, Gabriel Attal prévoit "un programme national de contrôle des arrêts de travail" par l'Assurance-maladie dès la rentrée. Parmi les certificats ciblés, "les faux arrêts du lundi (...) ou du vendredi" mis en cause par le patron du Medef, ainsi que ceux "qui ne s'accompagnent d'aucune prescription de soins ou de médicaments", a-t-il déclaré devant le Sénat, sans toutefois quantifier la part de ces arrêts de complaisance.

    Par ailleurs, grâce à son plan présenté lundi pour redresser les finances publiques, Bercy espère économiser 10 milliards d'euros d'ici à 2027, dont "plusieurs centaines de millions d'euros" rien qu'en s'attaquant aux abus sur les arrêts de travail. La traque a déjà débuté : les premiers courriers d'avertissement ont été envoyés par l'Assurance-maladie aux médecins prescrivant plus que la moyenne.

    Dans un entretien au Parisien, Gabriel Attal évoquait "30 millions d'euros de fraudes aux arrêts de travail" sous le précédent quinquennat. Un chiffre relativement faible au regard des 4,15 milliards d'euros de fraude à l'Assurance-maladie observés chaque année, selon les estimations de la Cour des comptes.

    * Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des documents PDF.

    Commentaires

    Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.