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Vrai ou faux Le Giec recommande-t-il les "méga-bassines", comme celle de Sainte-Soline ?

Le groupe international d'experts sur le climat n'est pas mandaté pour émettre des recommandations. Il se contente d'évaluer les solutions possibles pour lutter contre le réchauffement climatique, rappellent ses membres. Pour les "méga-bassines", son constat semble mitigé.
Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une "bassine" à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 22 septembre 2021. (DELPHINE LEFEBVRE / HANS LUCAS / AFP)

Les "méga-bassines" ont-elles été préconisées par le Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, pour pallier les effets délétères du réchauffement climatique ? Alors que plusieurs milliers de personnes étaient rassemblées à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, samedi 25 et dimanche 26 mars, pour protester contre la construction d'une de ces réserves d'eau artificielles, le débat a également fait rage sur les réseaux sociaux.

"Evidemment, on n'entendra pas les obscurantistes de la Nupes-EELV nous dire que le Giec, dans sa note de synthèse à l'égard des décideurs, recommande la création de 'méga-bassines'", a asséné sur Twitter, le 25 mars, Guillaume Kiefer, ancien candidat Les Républicains aux législatives 2022 dans le Morbihan. Et il n'est pas le seul à l'affirmer sur le réseau social à l'oiseau bleu.

"C'est FAUX, FAUX et FAUX. Le Giec ne recommande RIEN", s'emporte le blogueur Bon pote sur la même plateforme, ajoutant : "Ras le bol de voir toujours les mêmes comptes Twitter faire de la désinformation." Quelle est donc exactement la position du Giec vis-à-vis des "méga-bassines" ? Pour la déterminer, franceinfo s'est entretenu avec trois auteurs du sixième rapport du groupe d'experts sur le climat.

Le Giec ne formule aucune recommandation

Pour appuyer son propos, Guillaume Kiefer partage sur son compte Twitter une capture d'écran, effectivement tirée d'une section du rapport de synthèse du sixième rapport du Giec (PDF, page 8). Dans ce passage, "la gestion et le stockage d'eau dans les fermes, (...) l'irrigation" sont présentés avec un "degré élevé de confiance" comme "des exemples efficaces d'option d'adaptation" pour réduire les risques climatiques. Ce que l'ex-candidat LR interprète comme une recommandation des "méga-bassines" par le Giec.

"Le Giec n'est pas prescriptif et ne recommande rien", rétorque d'emblée Christophe Cassou, climatologue et coauteur du rapport. "Sa mission est seulement de fournir l'état des connaissances la plus à jour et de fournir une aide objective à la décision sur toutes les solutions possibles [contre le changement climatique]. Il incombe ensuite aux décideurs de choisir", rappelle le climatologue. "Quand les politiques affirment que le Giec recommande quelque chose, c'est pour ne pas assumer une décision qui est la leur et trouver un blanc-seing pour la solution qu'ils choisissent", déplore le scientifique.

Les experts du Giec interrogés par franceinfo sont catégoriques : l'extrait du rapport cité par Guillaume Kiefer ne se réfère pas spécifiquement aux "méga-bassines", mais au stockage de l'eau en général. "Le terme 'bassine' n'est même pas mentionné dans l'extrait", fait remarquer Yamina Saheb, corédactrice du rapport.

Des "effets adverses" contrebalancent les bénéfices

La solution des réservoirs d'eau est en revanche abordée dans d'autres sections du rapport et l'évaluation qui en est faite est mitigée. "Les réservoirs sont coûteux, ont des impacts environnementaux négatifs et ne seront pas suffisants partout au-delà de certains niveaux de réchauffement climatique", souligne le rapport du Giec dans son chapitre consacré à la gestion de l'eau (PDF, page 1 833).

L'irrigation peut cependant "réduire le risque de sécheresse et être bénéfique pour les moyens de subsistance, reconnaît Christophe Cassou. Les bassines ont ainsi marché dans certaines zones." Mais ces effets positifs sont contrebalancés par "plusieurs potentiels effets adverses", fait remarquer l'expert du climat. Des "effets" contre lesquels une "gestion appropriée" est nécessaire, relève le rapport dans une autre section (PDF, page 556).

Les réserves d'eau artificielles sont ainsi critiquées par le Giec pour leur possible effet délétère sur les nappes phréatiques. Le fonctionnement même des "méga-bassines" "consiste à pomper l'eau des aquifères – les eaux souterraines – pour la stocker en surface", rappelle Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et un des coordinateurs du rapport de synthèse du Giec. Or, le rapport du Giec (PDF, page 563) prévient que la "surexploitation des eaux souterraines pour l'irrigation" peut entraîner un "épuisement des réserves", met en évidence Yamina Saheb. Les bassines peuvent également mener "à des tensions, si l'eau profonde n'est mise à disposition que des quelques agriculteurs raccordés aux réservoirs", ajoute Gerhard Krinner. Autre inconvénient pointé par le chercheur, la quantité d'eau perdue par "évaporation" des bassines en raison du stockage à l'air libre de l'eau captée.

Les 'méga-bassines', un exemple de "maladaptation" ?

Pour Gerhard Krinner, les "méga-bassines" pourraient être plutôt un exemple de "maladaptation", un phénomène également décrit dans le rapport du Giec (PDF, page 20) : "Au lieu de penser à une réduction de la consommation, les infrastructures comme les 'bassines' pourraient enfermer les usagers dans une voie non soutenable." "Au bout d'un moment, cette mesure d'adaptation pourra perdre son efficacité", prévoit le spécialiste du climat.

"C'est ce qui est arrivé en Espagne, où la politique des réservoirs est à bout de souffle, illustre Christophe Cassou. Cette politique pouvait être adaptée il y a 30 ans, mais aujourd'hui le pays connaît une crise chronique pour remplir ses réservoirs." Pour toutes ces raisons, "le rapport de synthèse du Giec ne parle absolument pas des 'méga-bassines' comme un exemple à suivre", conclut Gerhard Krinner.

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