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"Je sais bien qu'elles ne sont pas tombées à vélo" : des chirurgiens plasticiens veulent pouvoir prévenir les autorités quand ils soignent des femmes battues

À cause du secret médical, les chirurgiens plasticiens ne peuvent pas appeler le procureur quand ils soignent une femme victime de violences conjugales, même si elle est d'accord.

Article rédigé par Solenne Le Hen - Edité par Bastien Munch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (JULIETTE AVICE / HANS LUCAS)

Les chirurgiens esthétiques ne refont pas que des jolis nez et des implants mammaires, ils s'occupent aussi de chirurgie reconstructrice après un grave traumatisme. Jacques Saboye, président de la Société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, voit donc passer régulièrement au bloc des femmes victimes de violences conjugales. "On voit des fractures de la face, du nez, de la pommette, de l'orbite, des ecchymoses, des brûlures, des plaies, des sections de tendons... On voit de tout", énumère le chirurgien. "Je sais bien qu'elles ne sont pas tombées à vélo. Notre problème, c'est que les lésions sont tellement importantes que normalement, la patiente, elle ne devrait pas rentrer chez elle. Il faudrait que l'on puisse appeler le procureur pour lui dire 'celle-ci, il faut la protéger'".

137 femmes ont déjà péri sous les coups de leur conjoint ou ancien conjoint depuis le début de l'année, selon le décompte du collectif "Féminicides par compagnon ou ex". Pour que cela ne se reproduise plus, une manifestation est organisée dans l'après-midi du samedi 23 novembre, à Paris. Le but est d'interpeller, à deux jours de la clôture du Grenelle des violences conjugales, lundi 25 novembre. Depuis plusieurs semaines, les médecins sont eux face à un dilemme. En présence d'une patiente victime de violences, faut-il lever le secret médical et prévenir les autorités ? Les chirurgiens plasticiens se réunissaient en colloque vendredi 21 novembre, à Montrouge, en banlieue parisienne. Dans leur ensemble, ils souhaitent pouvoir prévenir les autorités, avec l'accord des victimes.

"C'est de la non-assistance à personne en danger"

Mais appeler le procureur, avec l'accord de la patiente, c'est aujourd'hui interdit par la déontologie. Plus précisément à cause du serment d'Hippocrate, que tous ont prêté, et qui dit : "je tairai les secrets qui me sont confiés". "Autres temps, autres moeurs", indique un participant. "Ce qui était vrai du temps d'Hippocrate ne l'est peut-être plus maintenant. On doit absolument et impérativement dénoncer ce genre de faits, ça me semble évident." L'une de ses collègues complète : "Sinon c'est de la non-assistance à personne en danger." 

Quand il y a des enfants battus, le médecin a une obligation de signalement. Pourquoi on ne ferait pas pareil pour les femmes ?

Un chirurgien plasticien

à franceinfo

Dans ce colloque, c'est l'avis le plus répandu chez les chirurgiens plasticiens, qui repensent à toutes les femmes battues qu'ils ont soignées. "C'est vrai que j'en ai eues plusieurs où je me suis dit 'ce n'est pas normal, il y a quelque chose'", se rappelle cette chirurgienne. "Mais à l'époque, on en parlait beaucoup moins et ce problème ne se posait pas tout à fait de la même façon. J'étais embêtée, je les ai plus poussées à faire elles-mêmes la démarche que faire la démarche moi-même. Je crois que maintenant, j'irais plus loin."

Mais le dilemme des chirurgiens n'est pas aussi fort que pour leurs confrères médecins de famille, qui ont des relations suivies, sur des années, avec des patientes et leurs maris. En signalant les violences, les chirurgiens plasticiens auraient donc moins le sentiment de trahir la confiance des patients. Certains disent même qu'il faut aller plus loin, et réfléchir aux violences psychologiques. Avec, par exemple, les femmes qui viennent pour avoir de plus gros seins uniquement parce que leur conjoint le réclame, voire l'impose. "C'est une violence de plus", conclut une participante.

Des chirurgiens plasticiens veulent pouvoir prévenir les autorités quand ils soignent des femmes battues - Le reportage de Solenne Le Hen

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