ENTRETIEN. Robert Birenbaum : "À la Libération, ceux qui m'avaient traité de sale Juif m'ont applaudi"

Robert Birenbaum, 97 ans, est parfois présenté comme le dernier résistant, lui qui s'est engagé dès ses 16 ans. Il se souvient, alors que Missak et Mélinée Manouchian font leur entrée au Panthéon.
Article rédigé par franceinfo
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Robert Birenbaum sur la photo reprise pour la couverture du livre "16 ans, résistant". (STOCK)

Missak et Mélinée Manouchian sont entrés au Panthéon, jeudi 21 février, 80 ans après la mort de Missak et du groupe de résistants qui porte son nom, fusillés au Mont-Valérien. Aujourd'hui, rares sont les témoins de l'occupation nazie à Paris, de la milice de Vichy, de la résistance qui s'organise alors quartier par quartier dans les grandes villes occupées. Robert Birenbaum est de ceux-là. Il publie 16 ans, résistant (Stock), un livre dans lequel il revient sur son engagement avec les FTP, ces Francs-Tireurs et Partisans dont faisait partie Manouchian. Il témoigne sur franceinfo.

franceinfo : Seize ans, résistant. C'est le titre du livre que vous publiez chez Stock. C'est aussi le résumé d'une partie de votre vie. C'est un livre dans lequel vous revenez sur cet engagement qui est né au lendemain de la rafle du Vel d'Hiv à laquelle vous échappez. Vous devenez ensuite un agent notamment lié au recrutement des FTP, ces Francs-Tireurs et partisans dont faisait partie Missak Manouchian. Des FTP que vous deviez intégrer lorsque vous apprenez l'arrestation du groupe Manouchian. On est alors le 17 novembre 1943. Est-ce que vous vous souvenez aujourd'hui de ce jour-là ?

Robert Birenbaum : Comme si c'était hier. J'étais en haut du métro, au Père-Lachaise, en face du cimetière où j'avais rendez-vous avec quelqu'un du groupe. Et à ce moment-là, une jeune femme a monté les escaliers à toute vitesse et elle est passée à côté de moi en me disant : "Guy, pas de repêchage" ["Guy" est le nom de résistant qu'il s'est choisi]. A cette période, il y avait des alertes, on avait des rendez-vous auxquels on ne pouvait pas se rendre, alors on avait toujours un "repêchage". Et ce jour-là, quand elle m'a dit "pas de repêchage", j'ai compris tout de suite qu'il y avait une catastrophe.

C'est qui à ce moment-là, Manouchian, pour un jeune de moins de 20 ans comme vous à cette époque ? C'était quoi, à vos yeux, le groupe Manouchian, celui de l'Affiche rouge ?

Vous savez, avant de voir l'affiche, je ne savais pas qu'il y avait un groupe Manouchian. Je l'ai connu après, bien sûr. On a formé la compagnie Rajman, du nom d'un des fusillés, justement. [Marcel Rajman, fusillé le 21 février 1944 en même temps que Manoukian. La compagnie juive, au sein du bataillon Liberté du 1er régiment de Paris, a pris son nom]. Notre commandant de bataillon, c'était Boris Holban, le "patron" de Manouchian.

Ça renvoie à une époque de clandestinité, de traque permanente, de trouille aussi. On vit avec la trouille tous les jours à Paris ?

On était peut-être un peu inconscients. Je ne peux pas dire que j'avais la trouille, j'étais tellement bien entouré. J'avais des copains qui étaient super. Extraordinaires.

La renommée de Manouchian et de ce groupe est venue paradoxalement de l'Affiche rouge, cette affiche de propagande organisée par la collaboration française.

Avant de voir l'affiche, on ne connaissait pas les noms de tous ces garçons ! Cette affiche, bien sûr que je m'en souviens. Oh là là ! Je la voyais tout le temps, dans le métro, puis partout... Elle est ancrée en moi.

Comment est-ce que les gens réagissaient quand ils voyaient cette affiche, cette "armée du crime" qui était présentée par la propagande nazie ?

Vous savez, la France était partagée à l'époque. On était vraiment spéciaux, on était des jeunes communistes... Tout le monde n'était pas communiste à cette époque-là, faut pas charrier ! Loin de là ! De Gaulle, de loin, avait dit : on va vous envoyer des armes, mais vous les laissez planquées, ne faites pas d'action contre les Allemands. Ce n'était pas le mot d'ordre de De Gaulle à l'époque. Et nous, on n'a pas obéi. Les armes, on allait les chercher, on n'en avait pas. Notre travail, c'était, partout, d'essayer de trouver des armes pour nos copains. Moi, j'étais un des seuls à avoir un pistolet. Un 6.35 que je tenais sur moi, toujours, et que j'ai prêté plusieurs fois pour des actions.

Une jeunesse communiste, et une jeunesse souvent étrangère qui s'est battue, qui a versé son sang pour la France sans en avoir toujours la nationalité, sans avoir ses papiers, qui était chassée par des Français. C'est ce symbole-là, aussi, celui de l'entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian ?

Bien sûr. Moi, j'étais Français. Je suis né à Paris le 21 juillet 1926 avec des parents qui avaient fui la Pologne, ma mère était enceinte quand elle est arrivée et elle a accouché à Paris. Donc je suis Français de naissance. Parisien !

Est-ce qu'on regardait si les copains étaient français ou étrangers à ce moment-là ?

Non, bien sûr que non.

Manouchian et 21 de ses camarades du groupe ont été fusillés il y a 80 ans au Mont-Valérien. Le 20 février 2024, veille de la cérémonie au Panthéon, c'est au centre de cette clairière que trônait le cercueil de Manouchian, avec ce drapeau bleu blanc rouge, avec cette lumière qui l'illuminait dans la nuit de l'hiver. Ce symbole, qu'est-ce que cela représente pour vous ?

Pour moi, c'est extraordinaire. Je me souviens d'une de nos premières visites, tout de suite après la Libération, quand on a su marcher au pas : c'est moi qui ai conduit la compagnie Rajman au Mont-Valérien. C'était en 1944. On est venu honorer nos morts. Alors pour moi, retourner au Mont-Valérien, c'est quelque chose de phénoménal. Cette journée du 18 juin où j'ai été décoré par le président de la République, jamais je n'aurais imaginé une chose pareille.

C'était le 8 juin 2023. Vous recevez alors la Légion d'honneur. Et juste à côté de vous, il y a la petite-nièce de Missak Manouchian.

Ça, c'est extraordinaire. La première chose que j'ai dite au président, quand il m'a remis la médaille, c'est : vous savez, la médaille, je la prends, mais ce n'est pas pour moi. Je la prends pour mes copains, pour ceux qui ont été fusillés ici. C'est à eux qu'elle appartient, la médaille. Et ce jour-là, je ne savais pas qu'à côté de moi, il y avait la nièce de Manouchian qui m'écoutait. Et elle a été très émue par mes paroles, elle était en larmes. Et quand j'ai terminé avec le président, elle est venue me prendre dans ses bras, elle m'a embrassé. Pour moi, c'est le plus beau jour de ma vie.

Et ces deux cercueils entrent, mercredi 21 février, au Panthéon.

C'est une émotion... Ce n'est pas possible. Je suis heureux pour ma famille, je suis heureux pour moi, bien sûr, mais je suis surtout content pour mes copains. C'est à eux que je pense. Je suis soit disant le dernier. J'étais un des premiers, je suis soi-disant le dernier. Je vais d'ailleurs faire la connaissance d'un autre résistant, on va se rencontrer, il a le même âge que moi et il a été, lui, un Franc-Tireur.

Si vous aviez pu souffler quelques mots à l'oreille de Missak et Mélinée Manouchian au moment de leur entrée au Panthéon, vous leur diriez quoi ?

Je leur dirais bravo. C'est un homme d'une intelligence remarquable. Quand je pense que c'est un poète, un type qui a aimé la France, qui l'a dit, qui s'est battu pour elle, comme nous tous... C'est très émouvant. C'est une récompense que je n'avais jamais imaginée. Je n'ai pas fait ça pour avoir des médailles, je l'ai fait parce que j'étais Français et que j'aimais la France. Comme eux. Et puis voilà. Vous savez, pendant la guerre, tout à fait au début, dans mon quartier, qui est maintenant Stalingrad, on m'a souvent traité de sale Juif. Ma grande fierté, ça a été le jour de la Libération de Paris, quand on m'avait vu sur une barricade et que je suis rentré avec ma mitraillette sur l'épaule, ceux qui m'avaient traité de sale Juif m'ont applaudi dans la rue. C'est des moments inoubliables.

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