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Qui était David Hamilton, photographe de jeunes filles en fleurs accusé de viols par d'anciens modèles ?

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
David Hamilton, le 8 novembre 2011, dans le décor d'un pavillon de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). (BALTEL / SIPA)

Retrouvé mort à son domicile parisien, le photographe britannique était mondialement connu pour ses photos de jeunes filles dénudées et baignées d'un flou artistique.

Il a vécu dans le flou jusqu'à sa mort. Le célèbre photographe britannique David Hamilton a été retrouvé sans vie, un sac plastique sur la tête, à son domicile parisien, dans la soirée du vendredi 25 novembre. Ce sont ses voisins qui ont donné l'alerte, après avoir vu la porte d'entrée de son petit appartement entrouverte. Les causes de sa mort ne sont pas claires, bien que la piste du suicide soit privilégiée, selon les enquêteurs de la police judiciaire.

La fin de sa vie aura été entachée par le scandale. Ces dernières semaines, plusieurs femmes, dont l'animatrice Flavie Flament, l'ont accusé de viols et d'agressions sexuelles. Il avait clamé son innocence et menacé de porter plainte pour diffamation, sans en dire davantage. A 83 ans, David Hamilton emporte ses secrets avec lui. "Tout le monde connaissait son œuvre, mais peu de personnes connaissaient l'homme, confie un proche à franceinfo lundi matin. C'était une personnalité attachante, respectueuse de tout le monde. Il avait une grande sensibilité artistique et humaine. Il traitait les gens de manière égale."

Un artiste qui préfère les jeunes filles aux femmes

De David Hamilton, on sait qu'il est né en 1933, dans un quartier pauvre de Londres (Royaume-Uni), sans avoir connu son père, selon l'hebdomadaire suisse Le Temps. Il suit des études d'architecture et, dans les années 1950, déménage à Paris. Il commence à travailler pour le magazine Elle à l'âge de 20 ans. Le jeune homme occupe d'abord le poste de directeur artistique de l'hebdomadaire féminin, puis travaille pour les grands magasins Printemps.

Il faut attendre 1966 pour que David Hamilton se lance dans ce qui deviendra sa carrière : la photographie. Cinq ans plus tard, il publie son premier livre : Rêves de jeunes filles. L'ouvrage est un succès, sans doute conforté par le texte qui accompagne les clichés, signé de la main du romancier et cinéaste français Alain Robbe-Grillet. "On n'imagine pas le triomphe de ce livre et l'aura de son auteur dans les années 1970", explique au Monde Jean-Jacques Naudet, qui a beaucoup publié David Hamilton dans le mensuel Photo.

Une photo de David Hamilton extraite de son film Bilitis sorti en 1977. (DAVID HAMILTON / AFP)

A l'époque, David Hamilton a 38 ans. Les "jeunes filles" de son livre, elles, en ont entre 13, 14, 15. Le photographe choisit ses modèles entre deux âges, aux confins de l'enfance et à l'aube de l'adolescence. "Elles sont jeunes, mais elles ne sont pas des enfants, assure-t-il. Ce n'est pas mon rayon, les enfants, je n'en ai pas." David Hamilton le reconnaît lui-même : les adultes non plus. En mai 2015, il le confiait encore à Libération.

Les femmes, ce n’est pas mon rayon. Je préfère les jeunes filles, 16 ans maximum.

David Hamilton

à "Libération"

Il se compare à Vladimir Nabokov

Les jeunes filles photographiées sont blondes, longilignes. Elles ont la peau très claire, les seins qui pointent. Car le photographe laisse apparaître une poitrine naissante de temps à autre. Parfois, elles sont totalement nues. Une nudité baignée d'un flou artistique très caractéristique. Des lumières tamisées. Des tons pastel. Des contours effacés. C'était là la marque de fabrique de David Hamilton, celle qui a fait sa renommée dans les années 1970 et 1980.

Ses modèles sont souvent originaires des pays scandinaves. "Les jeunes nordiques sont mes préférées", dit-il. Il les photographie dans des fauteuils en rotin, à la campagne, ou sur la plage. C'est d'ailleurs au bord de la mer qu'il va recruter certains modèles, comme Flavie Flament en 1987. Au Cap d'Agde (Hérault), plus précisément. En 2009, une blogueuse racontait l'histoire d'un "photographe mondialement connu pour ses clichés de nymphettes dans la brume""Le camp de naturistes du Cap était le terrain de chasse du grand monsieur, écrit-elle. Et l'on murmurait, à l'ombre des dunes, qu'il ne dédaignait pas essayer quelque peu ses jolis petits modèles…"

Le halo de pâleur présent dans chaque photo est d'inspiration impressionniste. On pense aux Danseuses d'Edgar Degas. David Hamilton se réclame de Balthus, peintre figuratif. De son propre aveu, il dit aussi avoir traité la "quête de l'innocence et la beauté des jeunes filles" comme... Vladimir Nabokov. Qui, en 1955, avait défrayé la chronique avec le roman Lolita. L'histoire d'un homme qui a une relation amoureuse avec une fille de 12 ans.

L'époque de la libération sexuelle

Pourtant, son succès est populaire. "Il a fait entrer la photographie dans pas mal de foyers", estime un proche, contacté par franceinfo. Calendriers, cartes postales et puzzles tirés de son œuvre sont vendus à des milliers d'exemplaires dans les supermarchés. Les adolescentes accrochent ses posters dans leurs chambres décorées de papier peint fleuri. C'est une autre époque, celle de la libération sexuelle.

David Hamilton a aussi réalisé des films, entre 1977 et 1984, dont Bilitis. Cinq. Tous sur les premiers émois des adolescentes. Il continue de publier des livres dans les années 1990. Puis, petit à petit, sa célébrité s'estompe, comme les couleurs dans ses photos. Ses clichés sont passés de mode. "Les époques ont changé, les regards ont changé", commente le proche du photographe. La société regarde d'un autre œil ces jeunes filles dénudées.

L'affiche du film Bilitis réalisé par David Hamilton en 1977. (DAVID HAMILTON / AFP)

"La jeune fille, c'est devenu un sujet tabou"

Le tournant vient dans les années 2000. Quand les journalistes osent, enfin, lui poser la question. Le spécialiste de la photographie au Monde se décide en 2007, après deux heures d'entretien : "Avez-vous eu des relations sexuelles avec vos modèles de 13 ou 14 ans ?" "Ses yeux ont changé, le visage s'est fermé, et il nous a mis dehors de son appartement parisien, raconte le journaliste. Il n’a pas répondu non." La réponse est en effet ambiguë.

On dit que ma relation aux modèles est dégueulasse. On ne peut pas plaire à tout le monde.

David Hamilton

dans une interview au "Monde", en 2007

A un journaliste du Parisien qui lui dit, en 2013, qu'au collège "une bonne partie des élèves de [sa] classe avait un de ses calendriers dans sa chambre", il rétorque : "Moi j'ai eu les filles et vous vous avez eu le calendrier." Dans cette interview, il lâche aussi : "La jeune fille, c'est devenu un sujet tabou. Pas dans la peinture, qui m'inspire depuis toujours, mais dans la photo. A cause de Dutroux, des affaires comme celle-là, d'autres aussi. Maintenant, tout passe pour porno. Un mot qui n'a jamais rien eu à voir avec moi. L'érotisme, oui."

"Le regard [a] substitué la pédophilie là où l’on ne percevait auparavant que de la fraîcheur", soulignait la même année à Libération une éditrice de La Martinière, qui a publié une monographie du photographe en 2007. "L'art ne laisse jamais indifférent", estime le proche de David Hamilton interrogé par franceinfo. Il préfère se souvenir d'un "photographe qui a brisé les codes". Flavie Flament et les femmes qui l'accusent de viol se souviendront plutôt d'un homme qui a brisé leur vie.

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