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Violences sexuelles dans le milieu du porno : ce que l'on sait de l'affaire "French Bukkake"

Quatre personnes ont été placées en garde à vue dans ce dossier, où douze personnes ont déjà été mises en examen, dont les producteurs "Pascal OP" et "Mat Hadix".

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une information judiciaire a été ouverte en octobre 2020 sur les pratiques du site French Bukkake pour "proxénétisme, traite des êtres humains et viol". (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

L'affaire secoue l'industrie pornographique depuis deux ans. Trois acteurs et un réalisateur ont été interpellés, mardi 27 septembre, dans l'enquête sur la plateforme de vidéos pornographiques "French Bukkake". Ils ont été placés en garde à vue dans le cadre de l'information judiciaire ouverte en octobre 2020 pour "traite d'êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé", a appris franceinfo de source proche du dossier. L'émission "Complément d'enquête", diffusée jeudi 29 septembre sur France 2, a pu recueillir le témoignage exclusif de parties civiles.

Alors qu'un rapport sénatorial appelle les autorités à mieux encadrer cette industrie "prédatrice", "génératrice de violences systémiques envers les femmes", franceinfo vous résume ce que l'on sait de cette affaire.

Une plateforme qui permettait aux clients de participer aux tournages

Comme l'a rapporté le parquet de Paris à la délégation sénatoriale chargée d'enquêter sur les dérives dans ce milieu, tout a commencé lorsqu'un service de gendarmerie a repéré que le site French Bukkake, du nom d'une pratique sexuelle, "proposait un abonnement payant permettant à certains clients" "de participer à des tournages de films pornographiques, et donc d'avoir des relations sexuelles". De quoi nourrir des soupçons de proxénétisme.

Une enquête préliminaire a rapidement été ouverte et confiée à la section F3 du parquet de Paris. Elle a duré huit mois, pendant lesquels un gendarme s'est notamment cyber-infiltré pour vérifier que le site proposait bien à ses abonnés une participation à ces séances d'éjaculations collectives, avec des places réservées pour des sessions sans préservatifs. Confirmation faite, une information judiciaire a été ouverte en octobre 2020 pour "proxénétisme, traite des êtres humains et viol".

Douze mises en examen et une quarantaine de parties civiles

Depuis le début des investigations, 46 personnes se sont constituées parties civiles, ainsi que des associations. Douze hommes − acteurs, réalisateurs, producteurs − sont poursuivis dans ce dossier exceptionnel par son ampleur. La grande majorité d'entre elles sont incarcérées. Parmi elles, les producteurs surnommés "Pascal OP" et "Mat Hadix", très connus dans le milieu du porno qui joue avec l'image de l'amateurisme. L'instruction devrait encore durer encore plusieurs mois, avant la possible tenue d'un procès aux assises.

Un mode de recrutement ciblant le même profil de femmes

La qualification de "traite des êtres humains" a été retenue car, comme l'a expliqué aux sénateurs la vice-procureure au parquet de Paris, Hélène Collet, "un système de recrutement des participantes pour les tournages avait été mis en place" et "un profil particulier ciblé : des femmes jeunes, en proie à des difficultés sociales, économiques ou familiales". "J'avais besoin de cet argent tout de suite. Je devais payer mes factures et mon loyer sinon je perdais mon appartement", a témoigné l'une d'entre elles devant la délégation.

Pour trouver des "actrices", un rabatteur, se faisant passer pour une escort surnommée "Axelle", parvenait à convaincre ces femmes rencontrées sur internet de se prostituer. Ce rabatteur se transformait ensuite en client et obtenait d'elles une prestation sexuelle visant à lever leurs réticences aux rapports tarifés. Après les avoir laissées sans rémunération, "Axelle" les recontactait pour leur suggérer une nouvelle manière de se renflouer, via des vidéos pornos fortement rémunératrices censées être destinées au marché canadien.

Des scènes de violences verbales, physiques, sexuelles et psychologiques

Comme l'explique le rapport sénatorial, une fois leur recrutement acté, "toutes les victimes décrivent les mêmes scènes de violences, verbales, physiques, sexuelles et psychologiques : des pratiques sexuelles imposées, des rapports forcés avec un nombre de partenaires auquel elles n'avaient pas consenti", telles que des pénétrations anales ou de multiples pénétrations simultanées. "Le visionnage de certains films diffusés sur les plateformes et l'audition de participantes ont révélé que leur consentement pouvait ne pas être respecté", a résumé la magistrate Hélène Collet lors de son audition, d'où la qualification de "viol". Deux parties civiles confirment à "Complément d'enquête" s'être opposées verbalement à des pratiques sexuelles qui leur étaient imposées.

French Bukkake, les témoignages de "Complément d'enquête"
French Bukkake, les témoignages de "Complément d'enquête" French Bukkake, les témoignages de "Complément d'enquête"

Une autre femme a expliqué devant les sénateurs avoir été séquestrée dans une maison en Normandie, avoir subi "plusieurs scènes de viol" et avoir "dû manger la même nourriture que celle donnée aux chiens du producteur".

"Dès le début, on a essayé de me déshumaniser, de me traiter comme un objet. Pourtant, je l'ai fait, j'ai mangé la nourriture du chien. Je n'avais plus aucune estime de moi."

Une partie civile dans l'affaire French Bukkake

devant les sénateurs

Des vidéos diffusées en France sans le consentement des femmes

Selon les parties civiles entendues par les sénateurs, les producteurs leur avaient assuré que les scènes filmées étaient "pour du privé" ou "pas diffusées en France". Les vidéos se sont finalement retrouvées sur des sites internet accessibles depuis la France, chamboulant leur vie. "A partir de là, le lynchage a commencé. (…) Je me suis fait harceler en bas de chez moi, j'ai reçu des lettres de menaces", a raconté l'une d'entre elles.

Une fois en ligne et dupliquées sur les plateformes de diffusion, les vidéos sont quasi impossibles à faire retirer, empêchant les actrices d'exercer leur "droit à l'oubli". Les producteurs ont réclamé aux femmes entre 3 000 et 5 000 euros pour un retrait de la vidéo. Soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée. Une autre s'est même vu proposer par l'un des producteurs de French Bukkake de "devenir son esclave sexuelle à vie" ou "d'exercer dans des bordels à Bruxelles pour une rente à vie".

Dans leurs recommandations, les sénateurs estiment qu'il faut "imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite".

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