Colère des policiers : les syndicats sont-ils complètement largués ?
Depuis quatre nuits, des milliers de policiers battent le pavé pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Des opérations qui, en apparence, décrédibilisent les syndicats. Explications.
Locaux "en ruine", manque d'effectifs sur le terrain, gilets pare-balles hors d'âge, violences dont ils font l'objet... Les raisons de la colère des policiers ne manquent pas. Depuis lundi 17 octobre, le mouvement de protestation des forces de l'ordre agite les nuits de la capitale et, depuis jeudi, celles de province, comme à Lyon, Toulouse ou encore Montpellier.
Des manifestations non autorisées qui se passent volontiers des syndicats... Et qui sont prises au sérieux par le ministre de l'Intérieur : Bernard Cazeneuve s'est engagé vendredi à donner "plus de moyens" aux policiers.
Pour autant, les syndicats policiers sont-ils vraiment hors-jeu dans ce rapport de force ? Comment se positionnent-ils face au mouvement ? Sont-ils vraiment dépassés par une base proche du Front national ? Franceinfo fait le point sur la mobilisation.
1Qui sont les principaux syndicats de police en France ?
Au sein des gradés et gardiens de la paix, le paysage du syndicalisme policier se structure autour de 15 organisations. Parmi elles, trois sont qualifiées comme représentatives. Majoritaire avec 41% des voix récoltées lors des élections professionnelles de 2014, Alliance police nationale (CFE-CGC) se partage le pouvoir avec Unité SGP Police-FO (39%), ainsi que l'Unsa police (11%). C'est avec ces syndicats que François Hollande compte négocier "en début de semaine prochaine" pour tenter d'éteindre le feu chez les policiers.
Et parmi ces organisations, "Alliance police nationale est proche de la droite, Unité SGP Police-FO de la gauche et l'Unsa police est un peu au milieu de tout ça", résume pour franceinfo Christophe Soullez, directeur de l’Office national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Une frontière droite-gauche qui n'est pas forcément synonyme de collaboration ou d'opposition avec le gouvernement. "Les derniers protocoles pour une revalorisation des carrières des policiers ont été signés par Alliance mais pas par la SGP", relève par exemple Christophe Soullez.
Alors qu'un sondage du Cevipof publiée en juin montre que 51% des policiers se déclaraient prêts à voter Front national aux élections régionales de 2015, Christophe Soullez se méfie de la thèse d'une forte sympathie pour l'extrême droite dans la police. D'abord parce que la méthodologie de l'enquête lui paraît discutable (moins de 300 fonctionnaires de police ont été sondés, pour un total de 144 000 policiers, rappelle BuzzFeed). Ensuite parce que l'extrême droite est très peu représentée syndicalement.
Lors des dernières élections professionnelles, le FPIP, non affilié au Front national mais animé par un ancien du FN-police dans les années 1990, est arrivé en quatrième position avec un peu moins de 5% des voix. Le syndicat France police, ouvertement frontiste, a fait moins de 1%.
C'est une constante, l'extrême droite n'a jamais réussi à s'imposer dans les syndicats policiers
2Pourquoi la base des policiers boude les syndicats ?
Alors que 80% des policiers sont syndiqués, une partie des fonctionnaires participant aux manifestations sauvages des derniers jours affichent clairement son ras-le-bol des corps intermédiaires, voire se montrent radicalement anti syndicats. Un discours en partie alimenté par une figure médiatisée du mouvement, Rodolphe Schwartz, à qui l'on prête des liens avec le Front national.
Pour autant, la colère contre les syndicats est palpable chez certains policiers. "La défiance envers les syndicats est montante, de la même manière que vis-à-vis de la hiérarchie", explique à franceinfo Chris, officier de police judiciaire et tenancier du blog Police de caractère. Une défiance qui s'explique notamment par l'opacité de la commission paritaire chargée des avancements de carrière des policiers. "Pour avoir la paix sociale, l'administration a progressivement délégué la gestion aux syndicats représentatifs. Résultat : il n'y a aucun critère objectif et c'est la loi du copinage", dénonce Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police, syndicat minoritaire.
Beaucoup de policiers sont syndiqués, oui. Mais parce que le système les y oblige pour l'avancement ou la mutation. En dehors de ça... Ils n'y croient plus
Également au centre de l'écœurement de certains policiers : le décalage entre la base des policiers et leurs représentants syndicaux. "Regardez tous les numéros un des trois premiers syndicats, pointe Chris. Ils sont tous au grade sommital alors même qu'ils ont quitté le terrain depuis des années, voire des décennies. À côté de cela, l'avancement chez nous est très minimaliste." Un autre policier préférant garder l'anonymat fulmine : "Ils ont des carrières fulgurantes sans jamais mettre les pieds sur le terrain. Ils ne nous représentent pas."
Autant d'éléments qui pousseraient certains policiers à se passer des syndicats pour traiter directement avec la place Beauveau. Mais bien négocier ne s'invente pas, pointe Nicolas Comte, secrétaire général adjoint et porte parole Unité SGP Police-FO. Qui explique : "Quand on négocie avec le gouvernement, on doit faire face à un bataillon d'énarques. Les syndicats servent aussi à réaliser des argumentaires et à entamer un rapport de force."
3Comment les syndicats tentent-ils de canaliser la grogne ?
La plupart des représentants syndicaux expliquent ne pas avoir été pris de court par le mouvement. "On l'a vu venir", assure à franceinfo Nicolas Comte, secrétaire général adjoint et porte parole d'Unité SGP Police-FO, interrogé par franceinfo. "Ca fait des années qu'on prévient le gouvernement que ça va péter", renchérit de son côté Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance police nationale, interrogé par franceinfo.
"En réalité, les syndicats n'ont rien vu arriver. Ils tentent maintenant de récupérer le mouvement de manière dispersée, le tout dans un contexte électoral où le risque de surenchère est démultiplié", analyse de son côté Christophe Soullez.
Pour tenter de canaliser le mouvement, les trois principales centrales s'affrontent avec des logiques différentes. D'un côté, Unité SGP Police-FO joue la carte d'une manifestation silencieuse en France le 26 octobre, où l'ensemble des syndicats et du reste de la population sont invités. De l'autre, Alliance police nationale et Unsa police ont décidé de former une intersyndicale pour dire "non" à la marche du 26 octobre et à "la récupération du mouvement".
manifestations des #PoliciersEnColere devant les palais de justice: le communiqué des syndicats affiliés à la CFE-CGC et à l'Unsa pic.twitter.com/YYkUWP8fI3
— Clément Giuliano (@clemgiu) 21 octobre 2016
"Chacun tente de se positionner et de préparer l'avenir", commente Christophe Soullez. Qui rappelle également : "N'oublions pas qu'Alliance est proche de Nicolas Sarkozy. Pour eux, c'est important que le mouvement ne soit pas récupéré par les syndicats de gauche."
Des petits calculs qui pourraient ne pas s'avérer très payants. En dépit des appels à continuer la mobilisation, Christophe Soullez préfère rester prudent sur l'importance de la "Nuit debout" des policiers. "Ces manifestations ne mobilisent que 2 500 personnes... sur plus de 100 000 policiers."
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