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Retour devant l'Assemblée nationale du projet de loi de bioéthique : l'insémination artisanale, cette PMA "maison" absente du nouveau texte de loi

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adenor
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Le projet de loi sur la bioéthique ne prévoit pas d'encadrer les inséminations artisanales qui restent illégales.  (JOHN FEDELE / TETRA IMAGES RF / GETTY IMAGES)

Ces procréations illégales, réalisées en dehors de tout cadre médical à l'aide d'une pipette, réglaient jusqu'à présent la question du coût d'une procréation médicalement assistée à l'étranger. Mais elles permettent surtout d'entrer en contact direct avec le donneur, ce qui n'est pas prévu dans la révision des lois de bioéthique.

"Je n'ai aucun problème de fertilité. Quand on a voulu un enfant, je ne voyais pas ce qu'un médecin venait faire là-dedans." Elise a 33 ans. Son épouse Audrey et elle sont toutes les deux mamans d'une fillette de 2 ans. Pour la concevoir, les deux femmes n'ont pas attendu la fin des débats à l'Assemblée sur le projet de loi de bioéthique, qui redémarrent lundi 27 juillet. Ce texte, s'il est adopté par les députés, autorisera la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes en France, avec donneur anonyme. Un dispositif jugé insuffisant par ce couple, pour qui l'identité de celui qui offre ses gamètes mâles est très importante. Elles ont donc préféré chercher elles-mêmes un donneur, simple géniteur qui accepterait de rencontrer leur fille un jour, si celle-ci en émettait le souhait.

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Comme Elise et Audrey, de nombreuses femmes ont recours à ces inséminations dites "artisanales" : un homme fait don de son sperme, qui est ensuite inséminé par les futures mamans, à l'aide d'une pipette que l'on peut trouver en pharmacie. La pratique ne bénéficie d'aucun cadre légal en France et ne présente aucune protection pour le parent dit "social" de l'enfant avant son adoption. Le droit réserve en effet la gestion des dons de sperme et d'ovocytes aux Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), créés en 1973. En dehors des centres d'assistance médicale à la procréation (AMP), toutes les inséminations sont interdites.

Connaître et faire connaître le géniteur

Comment expliquer ce recours aux PMA "artisanales" alors qu'en Europe, nos voisins (Espagne, Belgique) proposent un parcours de PMA, à seulement quelques heures de voiture ? Selon les femmes qui y ont eu recours, ces procréations "amicalement" assistées présentent un double intérêt : elles solutionnent la question du coût d'une PMA à l'étranger (autour de 1 000 euros en Belgique et jusqu'à 3 500 euros en Espagne pour la seule insémination, sans compter les frais du voyage). Mais elles permettent surtout d'entrer en contact direct avec le donneur. "Ce qui me dérangeait dans la PMA à l'étranger, c'était l'anonymat du don, confirme Elise. Notre fille ne va pas attendre ses 18 ans pour se questionner sur ses origines."

On a essayé de se mettre à la place de l'enfant, on s'est dit que ce serait plus facile pour lui d'avoir accès au donneur. S'il veut le rencontrer, il le pourra, il peut voir des photos, comprendre comment il a été conçu. Tout ça était très important pour nous. La solution du donneur complètement anonyme, on ne l'a même pas envisagée.

Justine*, qui a opté pour un donneur connu en France

à franceinfo

En 2017, Elise a donc cherché par ses propres moyens, en France, celui qui allait l'aider à procéder à une insémination. Dans sa quête, elle reconnaît avoir eu "beaucoup de chance". Elle a commencé par s'inscrire, avec son épouse, sur deux forums spécialisés dans le don naturel. "On a essuyé beaucoup de propositions sexuelles, des mecs qui proposaient leurs 'faveurs' aux femmes...", se rappelle-t-elle. 

Les deux jeunes femmes donnent finalement rendez-vous à un homme à Paris. Première priorité pour elles : s'assurer que les intentions de ce donneur potentiel correspondent à leur projet parental. "On a rapidement compris qu'on n'était pas le premier couple qu'il aidait. Il avait l'air fiable. Il s'est inquiété de savoir si on voulait vraiment un enfant, s'il ne risquait pas de se retrouver avec une pension alimentaire. Il n'était pas du tout dans une démarche de parentalité, ça nous a rassurées." 

Quelques mois plus tard, elles retrouvent cet homme dans un hôtel. Il leur remet un flacon contenant son sperme. Une première insémination a lieu, puis une seconde quelques semaines plus tard. Elise tombe alors enceinte. "On a eu beaucoup de chance. C'est le seul homme qu'on a rencontré et ça a marché, sur le plan humain et sur le plan biologique. Il n'a pas été intrusif pendant la grossesse. Il a juste demandé à recevoir une photo de la petite à sa naissance."

Pallier l'insécurité sanitaire

Si cette pratique présente l'avantage de la simplicité, elle demeure néanmoins risquée d'un point de vue sanitaire. Tous les garde-fous posés pour une PMA encadrée font ici office d'options subsidiaires puisqu'ils ne dépendent que de la responsabilité des femmes et hommes concernés. Quand une insémination est suivie médicalement, le sperme est soumis à des examens"La PMA classique permet de faire des prélèvements bactériologiques ainsi qu'une sérologie, pour vérifier les infections, notamment sexuelles, comme le VIH ou la syphilis. Enfin, la procédure médicalisée permet d'évaluer la qualité du sperme et de prévenir les risques de maladies génétiques", explique à franceinfo le gynécologue spécialiste de l'AMP, Mikaël Agopiantz.

Hors protocole, les femmes demandent généralement au donneur un bilan sanguin, mais rien n'indique que les résultats ne sont pas falsifiés. Cette insécurité sanitaire, Justine*, 31 ans, a eu la chance de pouvoir la réduire au minimum. Après avoir rencontré un géniteur avec sa compagne, elle s'est rapprochée d'une gynécologue "qui accepte de faire les inséminations dans son cabinet", confie-t-elle à franceinfo.

Car c'est un fait : il existe quelques médecins français qui, en toute illégalité, aident ces couples dans leur démarche. Leurs noms et les adresses de leurs cabinets se transmettent sous le manteau, via des forums spécialisés. Lorsqu'une femme désireuse d'être inséminée tape à leur porte, elle "ment administrativement" et se présente chez la gynécologue avec le donneur, comme un couple hétérosexuel qui aurait des difficultés à concevoir.

En plus de l'insémination pratiquée par la médecin, elle pourra bénéficier de tout un protocole mis en place par la professionnelle de santé. "C'est un vrai soulagement : tous les tests MST sont faits, on a un spermogramme du donneur pour vérifier sa fertilité et ensuite un protocole est mis en place selon les résultats", s'enthousiasme Justine.

Un risque juridique majeur

Reste la question de "l'insécurité juridique" de ces pratiques artisanales. Aujourd'hui, la seule solution pour la mère "sociale" de l'enfant – celle qui ne le porte pas – consiste à adopter le nouveau-né. Une adoption qui ne peut survenir qu'après six mois de vie commune avec l'enfant, et avec l'accord de la mère génitrice. "Le risque juridique est majeur", confirme Philippe Reigné, professeur de droit au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à franceinfo. "Le géniteur peut, à tout moment, décider de reconnaître l'enfant, même préalablement à la naissance. C'est une situation cauchemardesque pour les couples, qui se retrouvent à devoir supporter des liens non désirés avec une personne qui disposera de l'autorité parentale." 

Pour cette raison, Philippe Reigné milite pour une reconnaissance légale de ces inséminations hors AMP : "Il s'agirait de porter le sceau de la loi sur une pratique qui existe depuis des décennies. D'autant que le recours à la PMA classique est un mécanisme beaucoup plus récent, très médicalisé, réservé, à l'origine, à une pathologie : l'infertilité." 

Cette insécurité juridique est bien connue de l'avocate Aude Denarnaud, qui s'est spécialisée dans ce type de contentieux. "J'ai énormément d'affaires, explique-t-elle à franceinfo. Le mariage [pour tous] a été une avancée mais l'adoption a été retenue comme seule forme de filiation pour les couples homosexuels." L'absence de filiation automatique pour la mère qui ne porte pas l'enfant – la mère d'intention – crée un déséquilibre au sein des couples. "Ce n'est qu'une fois l'adoption prononcée que ma femme a été vraiment rassurée", témoigne notamment Elise.

Disparitions et fausses identités

Maggy, 36 ans, mère biologique d'une petite fille de 4 ans, a vécu cette situation d'imbroglio juridique avec son ex-compagne. Un homme de leur entourage avait accepté de les aider en vue d'une insémination. "On a essayé de faire un pacte de coparentalité [dans ce modèle familial, plusieurs personnes s'entendent pour élever un enfant ensemble], mais on n'était jamais d'accord, se rappelle Maggy. Des tensions sont apparues. Il y avait un mal profond : on pensait pouvoir être dans une parentalité idéale avec un père et deux mamans, mais la réalité juridique nous a rattrapés. Il faut bien qu'il y ait deux parents légaux. Moi et son père. J'ai essayé de trouver des solutions pour qu'elle [son ex-compagne] se sente parent, mais il n'y avait pas d'issue". Les deux femmes se sont séparées peu de temps après la naissance de l'enfant. Aujourd'hui, Maggy éduque sa fille en garde alternée avec le père.

"Plusieurs fois par an, on a des situations qui se passent mal", confirme Alexandre Urwicz, président de l'Association des familles homoparentales, à franceinfo : "Ça peut être des hommes qu'on devait reconnaître comme pères et qui ont été évincés de la vie des enfants. On a eu des cas de femmes qui ont disparu après la naissance, on s'est rendu compte qu'elles avaient donné de fausses identités. Ou des géniteurs qui veulent devenir pères en cours de route... Il faut absolument un cadre légal pour prévenir cela."

L'inverse du principe du "Ni vu, ni connu"

Comme Maggy, d'autres femmes risquent à l'avenir de se heurter à un mur juridique, puisque le sujet des dons informels a été écarté de la révision des lois de bioéthique. Selon la sociologue de la famille Irène Théry, ce blocage provient d'abord de la nature du système d'aide à la procréation en France. "Il a été bâti sur le principe du 'Ni vu ni connu'. Le don de gamètes, comme le don de sang, doit être anonyme et impersonnel", explique-t-elle à franceinfo. L'idée de "donneur relationnel" n'entre pas dans ce modèle français.

L'avocate Aude Denarnaud regrette elle aussi que la révision de la loi "ne règle rien" sur cette question. "Ces couples sont les oubliés de la bioéthique", estime-t-elle. A court terme, un premier pas législatif a été effectué sur la levée de l'anonymat : pour donner son sperme, un homme devra obligatoirement accepter que son identité puisse un jour être révélée à l'enfant né du don, si ce dernier le souhaite à sa majorité. Pour autant, le don lui-même restera anonyme. On ne pourra pas choisir son donneur et un donneur ne pourra pas choisir à qui il donne. 

Pour le député LREM et rapporteur du projet de loi Jean-Louis Touraine, le maintien de ce principe cardinal n'a rien d'étonnant. "La PMA pour toutes est déjà un petit renversement de table. On ne peut pas la renverser totalementQuand on veut passer par un don en France, il faut accepter le principe de l'anonymat. Sans cela, la conception du don dans notre pays serait totalement bouleversée." Un statu quo préservé jusqu'à la prochaine révision des règles en la matière ? Au plus tard, celle-ci interviendra dans sept ans.

* Le prénom a été changé à la demande de l'intéressée.

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