Comment Tariq Ramadan se défend après les accusations de viols de plusieurs femmes
L'islamologue suisse, visé par six plaintes, a commencé à esquisser sa ligne de défense sur le plateau de BFMTV et dans un livre qui paraît aujourd'hui.
Le livre de Tariq Ramadan pourra sortir comme prévu mercredi 11 septembre. La justice a autorisé la publication de l'ouvrage contre la volonté d'une des femmes qui accusent l'intellectuel musulman de viol. Cette dernière dénonce la mention de son vrai nom dans l'ouvrage. Dans Devoir de vérité (éd. Presses du Châtelet), l'islamologue suisse de 57 ans martèle les axes de sa défense sans pour autant raconter ce qu'il s'est réellement passé avec les femmes qui l'accusent de viols, indique Le Figaro, qui a eu accès au livre.
Figure longtemps influente de l'islam européen, Tariq Ramadan est mis en examen depuis février 2018 pour les viols de deux femmes en France. Il a passé près de dix mois en détention provisoire avant d'être remis en liberté en novembre. Deux autres femmes accusent l'universitaire de viols en France, dont l'un en réunion, dans des plaintes déposées en mars 2018 et en juillet 2019. Et deux autres plaintes ont été déposées à l'étranger, en Suisse et aux Etats-Unis. Au total, l'islamologue est visé par six plaintes pour des faits de viol, d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel.
Face à ces lourdes accusations, Tariq Ramadan est resté silencieux de nombreux mois avant de lancer une contre-offensive médiatique en deux temps, sur le plateau de BFMTV puis dans un livre, afin de développer les axes de sa défense.
Il évoque des relations consenties
Concernant les deux premières plaintes pour viol pour lesquelles il est mis en examen, Tariq Ramadan a nié, dans un premier temps, tout rapport sexuel avec les deux femmes, Henda Ayari et Christelle*, avant d'être contredit par l'enquête. Il a alors changé son fusil d'épaule pour évoquer des "relations consenties". Il a même dévoilé des SMS censés prouver que la thèse des viols ne tient pas.
Lors de son interview accordée vendredi 6 septembre à BFMTV, il a reconnu avoir "été en contradiction avec certains de [ses] principes" et avoir menti au sujet de ses relations intimes avec certaines plaignantes "pour protéger [sa] famille" : "J'ai des excuses à présenter à ma famille, à Dieu et à tous ceux qui, dans la communauté musulmane, ont pu être déçus."
Il avance l'alibi d'une conférence aux Etats-Unis
Alors qu'une autre femme affirme avoir été violée le 23 mai 2014 par l'islamologue et un de ses amis au Sofitel de Lyon, Tariq Ramadan a assuré qu'il donnait ce jour-là "une conférence à Baltimore [Etats-Unis] devant 10 000 personnes". "Sauf à avoir le don d'ubiquité (...), je n'y étais pas. Je ne suis jamais descendu à l'hôtel Sofitel de Lyon, jamais", a-t-il assuré sur BFMTV. En réalité, comme le démontre l'AFP, son intervention s'est déroulée le 24 mai, selon le site internet des organisateurs. L'entourage de l'universitaire a alors précisé que ce 23 mai, il a quitté l'Europe depuis Londres à 16h35 et est arrivé à 19h55 à Baltimore. Tariq Ramadan affirme également qu'il ne connaît pas la femme qui l'accuse.
Je n'ai jamais contacté cette dame, je ne sais pas qui elle est.
Tariq Ramadansur BFMTV
Ce n'est pas la première fois que Tariq Ramadan manque de précision dans ses explications. Au début de l'affaire, fin 2017, il avait évoqué un alibi pour contester les accusations de Christelle*. L'islamologue avait fourni une réservation d'avion pour tenter de démontrer qu'il était arrivé à Lyon quelques heures après les faits, mais l'enquête a établi qu'il avait changé son billet pour arriver plus tôt.
Il se dit victime "d'un traquenard"
Lors de son interview sur BFMTV, qu'il a lui-même sollicitée, Tariq Ramadan a exprimé sa volonté de "se battre" : "Je me suis tu (...) puisque le tribunal populaire et le tribunal médiatique m'ont déterminé comme coupable." Il s'est rapidement posé en "victime d'un traquenard", affirmant que plusieurs plaignantes ou anciennes maîtresses ayant témoigné à charge se connaissaient.
Il a aussi battu en brèche toute idée "d'emprise" sur les plaignantes, emprise que décrivent pourtant toutes ses accusatrices. "La définition de l'emprise est devenue extensive. Dans le cas Ramadan, une femme consentante peut être violée avec son consentement", a-t-il dénoncé.
Il dénonce le "racisme antimusulman" en France et se compare au capitaine Dreyfus
Disant avoir été "diabolisé" sur le plan intellectuel "pendant trente ans" avant d'être désormais dépeint comme "un homme violent", Tariq Ramadan relate dans l'ouvrage Devoir de vérité la manière dont il a vécu l'affaire qui lui a valu de passer près de dix mois en détention provisoire. Dans un texte teinté de méditations spirituelles, il dresse un parallèle entre son cas et l'affaire Dreyfus. Ce scandale de la IIIe République a mêlé erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme à l'encontre du capitaine Alfred Dreyfus, accusé à tort de haute trahison en 1894 avant d'être finalement réhabilité en 1906.
"Il existe, hélas, de nombreuses similarités entre les deux affaires", écrit-il dans son livre. A l'appui de sa démonstration, il cite notamment "le racisme antimusulman qui s'est installé" en France, selon lui "quotidiennement nourri par des politiques et des journalistes", et qu'il compare à la parole antisémite qui "s'était dangereusement libérée" à la fin du XIXe siècle.
"Tariq Ramadan se compare à Dreyfus et se demande si LUI accordera son pardon aux plaignantes. L'inversion accusatoire la plus indigne !" a réagi sur Twitter Jonas Haddad, avocat d'Henda Ayari, la première plaignante. De son côté, le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) a estimé que ce rapprochement historique était "une insulte à la mémoire d'Alfred Dreyfus et une offense à tous ceux qui ont œuvré à sa réhabilitation".
*Le prénom a été changé.
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