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Regard sur l'info. Face aux attentats

Comme chaque semaine, Thomas Snégaroff reçoit l’auteur d’un livre, d’un film, d’une série ; d’un travail qui éclaire l’actualité. Et cette semaine : face aux attentats, quelle posture adopter ? La parole politique, face à l’horreur. Ce que les réactions disent de notre société.  

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des proches de Samuel Paty lors d'une "marche blanche", le 20 octobre 2020, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Gérôme Truc, sociologue, chargé de recherche au CNRS, vient de publier un livre malheureusement d’actualité : Face aux attentats aux Presses Universitaires de France. Un livre collectif, codirigé avec Florence Faucher.

Thomas Snégaroff : Vous travaillez, dans votre livre, sur l’après-attentats 2015/2016. On a le souvenir d’une unité nationale qui ne transparaît pas vraiment en ce moment...

Gérôme Truc : Le pouvoir politique a deux fonctions, dans ces moments. Une fonction symbolique et une fonction régalienne. L’attentat met à défis l’Etat. On parvient à tuer des gens, à les massacrer sur votre territoire, à tuer des journalistes etc. Et le fait que cela se répète, comme on peut l’entendre dans certaines prises de parole de figures de l’opposition, met à mal le pouvoir politique dans sa capacité à assurer la défense de ses citoyens.

Quand vous parlez de fonction "symbolique", à quoi pensez-vous ?

La fonction "symbolique", c’est ce qu’on entend quand Emmanuel Macron dit que Samuel Paty incarne le visage de la République. C’est cette fonction consistant à avoir les mots pour incarner un besoin de rassemblement dans ces circonstances. Il faut pouvoir incarner le fait que des millions de gens se sentent touchés. Et là, on tue une personne. Une seule personne : un enseignant. Tué pour un cours, tué à la sortie de son collège.

Cela touche des millions de gens. C’est pour cela que le président de la République, le soir-même, va à Conflans-Sainte-Honorine. Il se rend devant le collège pour poser les mots qu’il faut. À ce moment-là, il y a un besoin d’avoir une parole présidentielle purement symbolique. Il faut qu’il dise : "Nous sommes unis, nous sommes ensemble et ils ne passeront pas." 

Vous évoquez la répétition des actes terroristes. Entraîne-t-elle une forme de lassitude, d’habitude ou, au contraire, une forme de radicalisation des réponses ?

Ce qu’il faut bien voir, c’est que les rapports aux attentats sont bien différenciés socialement. Donc, certaines personnes pourront ressentir une certaine lassitude et puis face à un autre attentat : non. Inversement, d’autres pourront, dès le départ, trouver qu’on parlait trop du 13 novembre ou que Charlie Hebdo, ce n’était pas si grave que ça. Les mêmes pourraient être plus touchés par un attentat récent. 

J’entendais, après les attentats de 2016, des journalistes me demander : "S’habitue-t-on à cela ?". D’un point de vue de Parisiens touchés par 2015 ou de journalistes touchés par Charlie Hebdo, cela peut se comprendre. Inversement, quelqu’un qui connaîtrait des gens à Bruxelles ou qui a de la famille à Nice peut être très touché par ces événements. On a une répétition des attaques, c’est vrai. Pourtant, il y a des rassemblements, nous ne sommes pas indifférents à la mort de Samuel Paty.

Parce que Samuel Paty est un enseignant et que nous avons tous été élèves...

Exactement comme en janvier 2015. Cela nous fait prendre conscience du fait que nous sommes profondément attachés à quoi ? À l'école, comme pilier de la République. Et de la même manière qu’en janvier 2015, on s’est découverts attachés à la liberté de presse. On aurait demandé, aux gens, une semaine avant : "Quelle est votre attache à la liberté de la presse ?", on aurait eu des résultats pas très significatifs. Pourtant, des millions de gens descendent dans la rue parce que, pour la première fois, on tue des journalistes en France. C’est du jamais-vu.

Là, pour la première fois, on tue un enseignant pour un cours qu’il a donné. C’est du jamais-vu. Et donc, on se dit qu’il est important de protéger la liberté pédagogique, l’école. Notre pays est fondé là-dessus, l’école émancipe. Donc, cela nous touche.

Donc, parmi les réactions qu’un sociologue analyse : la peur, la sidération, l’habitude. Aussi ce que cela révèle d’un attachement qu’on avait peut-être oublié ?  

Tout à fait. C’est pour cela que ce sujet intéresse les sociologues. Mon idée consistant à travailler sur les attentats se concentre sur cette perspective-là : ce que cela révèle de nos sociétés qu’on dit profondément individualistes. En quoi consiste le lien social ? À quoi tient la cohésion de nos sociétés ? Ces moments de réactions aux attentats sont révélateurs.

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