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Procès des attentats de janvier 2015 : les liens ambigus entre l'accusé Nezar Mickaël Pastor Alwatik et Amedy Coulibaly

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Nezar Mickaël Pastor Alwatik (à gauche), au procès des attentats de janvier 2015, le 9 octobre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Accusé d'avoir apporté un soutien logistique au tueur de Montrouge et de l'Hyper Cacher, Nezar Mickaël Pastor Alwatik a tenté, lors de son interrogatoire lundi et mardi, de justifier sa proximité avec Amedy Coulibaly, en niant avoir eu connaissance de ses projets.

"Il a été mon ami, un marieur, mon témoin. Mais pas plus." Dans le box des accusés, les épaules un peu voûtées au-dessus du micro, Nezar Mickaël Pastor Alwatik évoque son amitié avec Amedy Coulibaly, avant que celui-ci se mue en terroriste. L'accusé, âgé de 35 ans, les traits fins et juvéniles, a été interrogé par la cour d'assises spéciale de Paris, lundi 12 et mardi 13 octobre, au procès des attentats de janvier 2015. Il est jugé pour "association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste", comme la plupart des autres accusés. Son ADN a été identifié sur deux armes retrouvées dans la planque d'Amedy Coulibaly à Gentilly (Val-de-Marne), ainsi que sur un gant utilisé par le tueur à l'Hyper Cacher.

"Je ne suis pas un terroriste, je n'ai jamais été dans cette idéologie-là. Je n'ai jamais vendu d'armes, c'est vrai que je les ai touchées, mais me voilà devant vous pour me justifier de ces accusations", se défend, en préambule, Nezar Mickaël Pastor Alwatik, d'une voix douce, parfois hésitante. Il raconte avoir découvert les pistolets le 5 janvier 2015, alors qu'il se trouvait avec Amedy Coulibaly sur le parking d'un centre commercial. "Dolly", comme ses anciens compagnons de prison le surnommaient, était parti faire des courses, et Nezar Mickaël Pastor Alwatik s'était mis en tête de ranger dans le coffre de leur véhicule un sac contenant des siphons. "J'ai touché les armes, je les ai manipulées. J'étais à la fois excité et j'avais peur. Je les ai remises ensemble et j'ai refermé." Sans en parler à Amedy Coulibaly. "Quand je vois ce qu’il a fait ensuite, je me dis que j’ai bien fait, je ne sais pas ce qu’il aurait pu faire par la suite."

Quelqu'un "avec un certain charisme"

Interpellé en 2010 pour trafic de stupéfiants, Nezar Mickaël Pastor Alwatik rencontre Amedy Coulibaly à la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis), au même moment qu'Amar Ramdani, l'un de ses voisins de box. Tous travaillent à la buanderie. "On parle, on apprend à se connaître. Au fur et à mesure, je vois quelqu'un de gentil, de correct, de normal, avec un certain charisme", explique Alwatik à propos d'Amedy Coulibaly. "Je vais mal, je me rapproche de la religion, sans pour autant me noyer", précise l'accusé, de confession musulmane. En parlait-il avec Amedy Coulibaly ? "On se donnait des petits challenges : 'Est-ce que tu connais cette sourate ? Est-ce que tu peux l'apprendre par cœur ?'"

Nezar Mickaël Pastor Alwatik est libéré en juin 2013, Amedy Coulibaly neuf mois plus tard. "Je lui avais dit 'quand tu sors, appelle-moi'." "Dolly" s'en souvient et reprend contact. Non pas pour le mêler à ses escroqueries, mais pour faire perdurer les liens d'amitié, selon l'accusé.

C'était quelqu'un de bienveillant avec moi. Amedy Coulibaly n'a jamais été méchant.

Nezar Mickaël Pastor Alwatik, accusé

à l'audience

A sa sortie de prison, Nezar Mickaël Pastor Alwatik espère se marier. Mais quelques mois plus tard, sa compagne de l'époque − son "péché majeur" comme l'appelle Amedy Coulibaly − le quitte. Il se sent "trahi". Animé par un besoin pressant "d'être père", il se met en quête d'une autre épouse. Amedy Coulibaly lui présente une jeune salafiste très pieuse. "Hors de question que tu te maries avec une ninja", une femme voilée, l'avertit alors sa mère, elle-même musulmane, mais non pratiquante. "J'ai fait le forcing, mais j'avais un petit truc dans le cœur qui me disait 'n'y va pas'", se souvient Nezar Mickaël Pastor Alwatik. Il raconte ensuite, avec force détails à l'audience, son mariage religieux où "Amedy Coulibaliy était [s]on témoin".

"Une forme d'ascendance"

Célébré le 9 août 2014, le mariage est rompu trois mois plus tard. "Elle était trop religieuse pour moi", justifie Nezar Mickaël Pastor Alwatik. "Je ne peux pas vivre sans télé, ni jouer à la Play..." Il la répudie et reconnaît aujourd'hui l'avoir "virée comme une prostituée", en mettant "ses affaires dehors". A partir de ce moment-là, sa relation avec Amedy Coulibaly s'intensifie. "J'avais l'impression que 'Dolly' s'en voulait. Plusieurs fois, il est venu me voir. Il avait un rôle important, c'était un marieur, il avait pris un engagement", commente-t-il. Un "rôle important" jusqu'à quel point ? "Comme je vous l'ai dit, 'Dolly', c'était mon ami. Mais il m'a trahi comme on ne m'a jamais trahi. Lui, il est mort. Moi, je suis dans un box", affirme-t-il au premier assesseur.

Les avocats des parties civiles insistent. "Est-ce que vous le considériez comme un grand frère ?", interroge Elie Korchia, conseil d'une ancienne otage de l'Hyper Cacher. "Non. C'était quelqu'un de gentil, de sympa, c'était un ami. Il était plus grand que moi en âge, il avait plus d'expérience. C'est quelqu'un que j'appréciais", répond l'accusé, de trois ans le cadet d'Amedy Coulibaly. 

L'une de ses avocates, Marie Dosé, sent la faille. "Oui ou non, avait-il une forme d'autorité sur vous ? Ce qu'il nous manque, pour comprendre, c'est comment fonctionnait ce duo. Vous ne vouliez pas qu'il ait honte de vous ?", pointe-t-elle avec amabilité mais insistance. Nezar Mickaël Pastor Alwatik répète qu'Amedy Coulibaly était "un ami". "Il y a une forme d'ascendance, mais il ne m'a jamais menacé", lâche-t-il finalement. Mais il l'assure : "Je n'ai pas vu le mal en lui." Pas même quand Amedy Coulibaly lui montre des vidéos de propagande des combats en Syrie. "Sur le coup, je n'ai pas trop calculé, on a joué à la Play et on n'a plus reparlé de ça." "Il ne m'a jamais parlé de jihad, de haine anti-juifs", insiste le trentenaire, qui rappelle que lui-même était surnommé "le juif" quand il était petit et que sa propre sœur, ainsi que ses neveux et nièces, sont de confession juive.

"Impossible qu'il ait pu être au courant"

Sa sœur est justement invitée à témoigner. Bien qu'ils n'aient pas grandi ensemble, la quinquagénaire explique devant la cour d'assises spéciale de Paris à quel point elle est proche de son frère. "Notre père est parti quand il était très jeune. J'ai eu un rôle de grande sœur et un peu de papa aussi dans sa tête." Leur père était catholique. Si Nezar Mickaël Pastor Alwatik s'est tourné vers l'islam, de son côté, sa grande sœur s'est convertie au judaïsme à 19 ans. "On était une famille arc-en-ciel", résume-t-elle avec fierté.

Ces religions différentes n'ont pas constitué un obstacle, au contraire. "Il me posait plein de questions, on a fait shabbat plein de fois à la maison, il mettait une kippa. C'était un échange, il n'y avait rien de bizarre", décrit-elle.

Je vois mal mon frère venir chez moi, faire semblant de s'intéresser à notre religion parce qu'il s'est radicalisé.

La sœur de Nezar Mickaël Pastor Alwatik

à l'audience

Pour elle, son frère est innocent. "Organiser un attentat où sa sœur serait peut-être − car je suis déjà allée à l'Hyper Cacher , c'est impossible. Impossible qu'il ait pu être au courant de tout ça." Elle dresse le portrait d'un "homme gentil", "aimant", "câlin"Emue en parlant des attentats commis par Amedy Coulibaly, elle refuse de prononcer son nom. "Il a touché les armes, ce crétin, je le lui ai assez dit. Il a côtoyé un monstre, il n'y a pas d'autre mot." Elle tourne les talons, envoie un baiser de loin à son frère, puis se rapproche du box des accusés et lui touche la main. Il lève le pouce. Elle quitte la salle.

"Amedy Coulibaly, c'est mon ami, point barre"

Après le côté pile de "Dr Jekyll Mickaël", la cour s'intéresse au côté face de "Mr Hyde, Nezar le salafiste", comme le résume Marie Dosé, l'une de ses défenseures. Et c'est ainsi une autre facette de sa personnalité que dévoile son ex-femme quelques minutes plus tard. "Nous nous sommes mariés religieusement et une semaine après, je me suis rendue compte que ce n'était pas du tout la personne que j'imaginais", expose cette trentenaire, vêtue d'un grand manteau gris à capuche sur un hidjab noir. "On croyait à la même religion, mais on n'avait pas les mêmes convictions", explique-t-elle. Ce sentiment se confirme quand Amedy Coulibaly, sa femme Hayat Boumeddiene, ainsi que Mohamed Belhoucine (lui aussi absent et jugé par défaut) et son épouse viennent à leur domicile. "C'était assez virulent, ça incitait clairement à la haine et à la rébellion", déclare-t-elle.

La jeune femme fait alors part de son désaccord à Hayat Boumeddiene et les soupçonne de faire partie des takfiris. Les membres de cette mouvance, terreau idéologique du groupe terroriste Etat islamique, se réclament d'un islam ultra-orthodoxe où la charia primerait sur les lois des pays laïques. A l'audience, elle raconte que son ancien mari regardait des vidéos de propagande sur son téléphone. Interrogée par le président de la cour d'assises spéciale de Paris sur sa réaction après les attentats, elle dit avoir été "choquée" mais pas "surprise". "Ce genre d'idéologie amène à ça : il y a des penseurs et il y a des exécuteurs, souligne-t-elle. Ça m'a fait éprouver un sentiment de dégoût, de honte. Ces personnes ont sali l'islam."

"Elle est blessée dans son amour-propre", estime, le lendemain matin, Nezar Mickaël Pastor Alwatik. "Honnêtement, je ne vais pas dire qu'elle est folle, mais cette histoire-là l'a traumatisée", complète-t-il. "Elle rajoute des trucs à chaque fois, au fur et à mesure." Invité par le premier assesseur à développer ses propos un peu plus tard, l'accusé explose. "Je suis un peu en colère, mais c'est parce que je parle avec mes tripes, c'est ce que je ressens depuis le premier jour où j'ai été interpellé", s'égosille-t-il dans le micro du box des accusés en s'agitant.

Je suis une victime collatérale de ce que ce bâtard a fait.

Nezar Mickaël Pastor Alwatik

à l'audience

"Jamais de la vie je n'aurais tiré sur des gens comme ça, je n'ai pas aidé à planifier, je ne me lève pas un matin en disant 'Je fais un attentat', martèle-t-il. Je vous l'ai toujours dit : Amedy Coulibaly, c'est mon ami, point barre." La justice a jusqu'au 14 novembre pour se faire son idée sur la véritable teneur de cette amitié.

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