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Au procès des attentats de janvier 2015, le trafiquant d'armes Claude Hermant se dédouane de toute responsabilité et charge la police

Au cœur du réseau des armes retrouvées en possession d'Amedy Coulibaly se trouve Claude Hermant, à la fois figure de l'extrême droite lilloise et ancien indicateur des douanes et des gendarmes. Convoqué comme simple témoin à l'audience, jeudi, il a livré "sa vérité".

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le tribunal de Paris, où se tient le procès des attentats de janvier 2015. (MATHIEU MENARD / HANS LUCAS)

"Mes sentiments sont clairs : il n'y a pas une nuit sans que j'y pense. C'est un énorme loupé." Le trafiquant d'armes lillois Claude Hermant a exprimé des regrets, jeudi 1er octobre, à propos des attentats de janvier 2015. Convoqué en tant que témoin, il s'est pourtant présenté à la barre comme on s'installe au comptoir, et avec plus d'une heure de retard. "Il est 10h45, vous étiez convoqué à 9h30, ça ne vous gêne pas ? C'est à la cour d'assises de vous attendre ?" le sermonne Régis De Jorna, le président de la cour d'assises spéciale de Paris. Lunettes relevées sur son crâne rasé, barbe blanchie dissimulée en partie derrière un masque en tissu, Claude Hermant penche sa silhouette massive au-dessus du micro. Il s'excuse, penaud.

Mais cette figure des milieux identitaires du Nord retrouve vite son aplomb. "Je suis là pour certaines vérités, que certaines vérités éclatent", déclare-t-il. L'échange avec Régis De Jorna se muscle, le dialogue se densifie. Claude Hermant, encore vendeur d'armes à ce jour, répond du tac au tac.

- "Je réponds à un million et demi de passionnés d'armes...

- Et puis des terroristes aussi ?

- Je ne sais pas, monsieur le président.

- Des fusils d'assaut pour des chasseurs, il y en a assez peu… mais pour des terroristes oui, ça peut arriver dans les mains d'un Amedy Coulibaly."

Car au milieu des zones d'ombre qui subsistent, c'est l'une des certitudes de l'enquête sur les attaques de janvier 2015 : huit armes retrouvées dans l'Hyper Cacher et dans l'appartement "conspiratif" loué par Amedy Coulibaly à Gentilly (Val-de-Marne) ont transité via une société gérée par Claude Hermant et son épouse. "Ces armes viennent de Slovaquie. Un site internet permet la vente d'armes, on les commande et on les fait venir par voie postale malgré le caractère illégal de l'opération", avait décrit, à l'audience, mercredi, une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste (SDAT). L'entreprise slovaque les vendait démilitarisées. Les remettre en service était "accessible à un enfant de 10 ans", selon Claude Hermant. Il nie l'avoir fait, quand tous les enquêteurs qui défilent à la barre sur ce volet assurent le contraire.

"Beaucoup de trous dans la raquette"

Comment cet arsenal est-il passé des mains de Claude Hermant à celles du tueur de Montrouge et de l'Hyper Cacher ? "Il n'y a pas de lien direct, reconnaît l'enquêtrice. Mais un lien successif entre les uns ou les autres." L'étau se resserre autour de certains accusés. Une trace ADN d'Amar Ramdani a été mise en évidence sur un billet de 50 euros découvert dans le logement de Gentilly, tandis que l'ADN de Saïd Makhlouf a été retrouvé sur la lanière du taser d'Amedy Coulibaly. Les deux hommes se sont rendus à six reprises dans la région lilloise entre octobre et décembre 2014.

Mohamed Fares, lui, est soupçonné d'avoir servi d'intermédiaire avec le réseau de Claude Hermant. Il aurait eu en main deux armes retrouvées en possession d'Amedy Coulibaly. Quel est son rôle précis ? A l'écoute du récit fait par l'enquêtrice, son avocate s'agace. "Il y a beaucoup de trous dans la raquette dans ce dossier et dans ce pan du dossier", insiste Safya Akorri. Des pièces manquantes du puzzle, que l'audition de Claude Hermant n'aide pas à trouver.

Un "vieux briscard", indic' de la gendarmerie

"Claude Hermant est un personnage", avait prévenu l'enquêtrice mercredi. "Vous verrez demain, ce sont des vieux briscards, des gros morceaux en matière de droit commun, si la cour peut me permettre", avertit-elle à propos du trafiquant d'armes et de son acolyte, Christophe Dubroeucq, également entendu jeudi à l'audience. Les deux hommes, qui ont fait la route ensemble pour venir témoigner au tribunal judiciaire de Paris, ont été condamnés pour trafic d'armes en bande organisée au cours du même procès. La peine de Claude Hermant a été alourdie en appel, en février 2019, à huit ans de prison et 30 000 euros d'amende.

Tous les deux avaient également un tout autre rôle : ils étaient indicateurs auprès des forces de l'ordre. Claude Hermant a renseigné la section de recherche (SR) de la gendarmerie de Villeneuve-d'Ascq (Nord) en 2013 et 2014. Christophe Dubroeucq a été présenté, mi-2014, à la direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Lille, par l'ancien patron du SDIG, les ex-renseignements généraux du département. Lui comme Claude Hermant ont été radiés du registre des sources, en janvier 2015, "par hasard".

"Lille a merdé, les services ont merdé"

"Je suis une source humaine depuis 1994", se vante pourtant Claude Hermant, à la barre. Il affirme par ailleurs que cette activité n'est pas très rémunératrice. "Vous êtes bénévole ? Ne dites pas que vous faites ça dans un but philantropique", ironise le président de la cour. "J'ai retiré de la rue des dizaines de milliers d'armes, c'est prouvé, c'est dans le dossier…" assure le témoin. "Mais pas les huit qui sont tombées dans les mains de Coulibaly", rétorque Régis De Jorna, qui entame avec Claude Hermant un nouveau dialogue surréaliste.

- "Des infiltrations pour arrêter les criminels, quand ça ne marche pas, je dirais, ça fait 17 morts… Qu'est-ce que vous avez à dire à ça ?

- Dans des dossiers aussi asymétriques que ça, oui, monsieur le président.

- Qu'est-ce que vous appelez 'asymétrique' ?

- Il n'y a aucune règle, les terroristes ne respectent aucune règle."

Claude Hermant hausse le ton. Il rejette la faute sur les services de police qui le surveillaient. Il s'emporte et commet un lapsus : "Il y a trop de souffrance dans cette salle, trop de larmes. Lille a merdé, les services ont merdé… Il devrait peut-être y avoir d'autres coupables dans ce box, mais ce n'est pas moi." Ces mots font sortir de ses gonds Ali Riza Polat, jugé pour complicité d'actes terroristes. "On ne dit pas 'coupable', monsieur !" le reprend l'avocate de l'accusé. "Pourquoi vous n'êtes pas poursuivi alors qu'on est allés chercher des gens qui n'ont probablement rien à voir avec cette histoire ?" poursuit Isabelle Coutant-Peyre. "Je voulais absolument entrer dans ce dossier parisien, mon avocat l'a réclamé à cor et à cri", soutient Claude Hermant.

"Dans ce genre de procès, chacun a sa vérité"

Les avocats des parties civiles préfèrent axer leurs questions sur sa personnalité. Car la réputation de Claude Hermant le précède : il est un des visages de l'ultradroite lilloise. Une image qu'il n'assume pas à l'audience : "Je vomis les extrêmes qu'ils soient politiques ou religieux donc je ne suis pas d'extrême droite." Il assure que cette allégation est "un mensonge de la presse, une mauvaise interprétation". "Je suis de gauche et patriote, mon père était mineur et communiste, je suis un enfant des corons", défend-il.

Invité lui aussi à témoigner à l'audience, l'ancien patron des RG lillois, qui a échangé avec Claude Hermant à plusieurs reprises dans le cadre de ses investigations dans les milieux d'extrême gauche, d'extrême droite et islamistes radicaux, donne une tout autre version. "Pour moi, sans aucune ambiguïté, c'est quelqu'un d'extrême droite, la plus identitaire possible", assure le commissaire, qui qualifie Claude Hermant de " type intelligent, manipulateur" et "séducteur".

Dès lors, quelle crédibilité donner à ses propos ? "Il y a ma vérité, la vérité judiciaire, la vérité du président, la vérité de la défense… Dans ce genre de procès, chacun a sa vérité", estime Claude Hermant. Sur les faits concernant ce volet, les débats n'ont pas permis de progresser : on ne sait toujours pas comment les armes ont transité du trafiquant lillois à Amedy Coulibaly. Il reste encore un mois et demi de procès pour laisser la vérité éclater.

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