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Au procès de Francis Heaulme, la cour se cramponne à la mémoire défaillante des témoins

Au sixième jour de l'audience, des témoins peinant à se souvenir des faits, trente ans après, ont défilé à la barre. L'accusé, lui, affirme ne rien se rappeler non plus.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Francis Heaulme dans le box des accusés aux assises de Metz, lors de son procès, en avril 2017.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

C'est une fin de dimanche ensoleillé, entre chien et loup. L'heure à laquelle les balades familiales s'achèvent, et où les enfants, fatigués d'avoir trop joué, rentrent au bercail. Il y a école demain. Cyril et Alexandre, huit ans, se font attendre. Leurs vélos gisent toujours en bas du talus de la voie de chemin de fer, où ils ont l'habitude de grimper. Habitants et visiteurs dominicaux déambulent paisiblement dans le quartier. Mais pour certains, l'inquiétude monte. Les contours de cette scène, maintes et maintes fois racontée, s'estompent à mesure que le temps passe, à l'image d'une photo qui pâlit. La cour d'assises de Metz a tenté d'en fixer les couleurs, mercredi 3 avril, en auditionnant plus d'une dizaine de témoins, au sixième jour du procès de Francis Heaulme, jugé pour le double meurtre d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining, le 28 septembre 1986, à Montigny-les-Metz (Moselle).

A la barre, un quadragénaire se souvient tant bien que mal des mûres qu'il était en train de cueillir, du haut de ses 10 ans, avec son grand-père, de l'autre côté du talus. Le grand-père n'apparaissait pas dans les PV d'audition, il a ressurgi à l'audience. La mémoire est capricieuse. Cette sexagénaire, elle, se remémore le soleil descendant au bout de la rue Venizelos, signe avant-coureur de la nuit et du changement d'heure. Elle voit aussi "une voiture blanche" et "deux vélos", qu'elle décrit posés l'un sur l'autre alors qu'ils sont éloignés de deux mètres sur la photo projetée à l'écran (il est avéré qu'ils ont été déplacés par les parents). Ce grand octogénaire, retraité de la SNCF, a lui aussi aperçu les deux vélos, ainsi qu'une "espèce de couteau par terre", qui est apparu dans la procédure mais qui a été détruit. "A part ça, je n'ai pas vu grand chose. C'est tout ce que j'ai à dire", grommelle-t-il.

"Vous n'êtes pas très précis"

Un autre témoin raconte avoir vu "deux dames" vers 18h30, qui lui ont demandé s'il avait vu les enfants. Dans sa déposition, c'était 18h15. "Vous n'êtes pas très précis", cingle le président, qui confronte les témoins à leurs déclarations de l'époque, procès-verbaux à l'appui. "Vous avez dit avoir entendu le bruit d'un projectile heurtant une masse métallique et vous être demandé 'à quoi jouent donc les enfants ?'", rappelle-t-il à une autre, perplexe.

Si j'ai dit ça à l'époque, c'est que c'était la vérité.

Une témoin

devant la cour d'assises de Metz

Gabriel Steffanus le concède : il soumet ces témoins à un "exercice impossible", trente ans après les faits. Faute d'éléments matériels, tous détruits ou égarés, et faute d'aveux – Francis Heaulme répète à l'envi "Montigny, c'est pas moi !" –, le magistrat s'évertue à reconstituer les instants qui ont précédé le massacre des deux enfants, sur la seule base de cette parole fluctuante. Un exercice auquel se sont pliés, avec plus ou moins de précision, tous les enquêteurs et magistrats qui ont eu le dossier entre les mains depuis 1986. Le médecin légiste n'ayant pu dater précisément l'heure de la mort des enfants, l'enquête s'est longtemps appuyée sur un seul témoignage, recueilli sept mois après le crime, pour situer l'homicide peu avant 19 heures. De quoi incriminer Patrick Dils, rentré à la maison avec ses parents autour de 18h45 ce jour-là. Après des aveux et deux condamnations, l'adolescent devenu adulte a finalement été acquitté en 2002, à la suite de la découverte de la présence du tueur en série Francis Heaulme à proximité des lieux.

Le souvenir de Patrick Dils

Il n'empêche. La mémoire est aussi parfois tenace et, à l'audience, Isabelle Deschang maintient pour la énième fois avoir entendu "des pleurs d'enfants" vers 18h50. Cette femme aux cheveux noirs de jais, bien campée à la barre, se souvient très bien du moment où l'un des policiers s'est exclamé "ça change tout !". "Ça m'a un peu embêtée car dans ma tête je me suis dit, 'je n'accuse personne'", raconte-t-elle aujourd'hui. Si elle rejette l'idée d'avoir pu confondre les appels alarmés de la mère d'Alexandre Beckrich avec des cris d'enfants, elle concède ne plus savoir à quel étage se situait son appartement ni d'où provenaient précisément ces pleurs. Les parties civiles, meurtries par les revirements de la justice, sont toujours partagées sur l'innocence de Patrick Dils, malmené lors de son audition mercredi dernier.

Nous avons besoin de nous forger une conviction et c'est pour cela que nous tourmentons les témoins.

Thierry Moser, avocat de Serge Beckrich

devant la cour d'assises de Metz

Dans le box, Francis Heaulme semble toujours absent de son propre procès. Mais le président resserre petit à petit les débats autour de sa personne. L'accusé, très peu entendu jusqu'à présent, a déplié sa longue silhouette à deux reprises, ce mercredi, pour venir déposer à la barre. Lui aussi a la mémoire qui flanche quand il s'agit de dérouler le fil des évènements. Au président, qui s'étonne de son irruption à l'hôtel de police de Metz au lendemain du double meurtre, entre deux hospitalisations pour ivresse, Francis Heaulme articule : "Je n'ai pas bonne mémoire." Puis, face à l'insistance tout en retenue de Gabriel Steffanus : "Je ne me rappelle pas !"

"Y a eu des jets de pierre"

Le matin même, l'accusé a pourtant livré un récit précis et circonstancié de son passage par Montigny-les-Metz le 28 septembre 1986 : "Avant de partir, ma grand-mère m'a dit de rentrer avant 18 heures. Je suis parti en vélo, je suis arrivé à Montigny à 13h30. J'ai pris la route de Pont-à-Mousson, j'ai aperçu un groupe d'enfants en haut du tunnel. Il y a eu des jets de pierre, je me suis arrêté, y avait plus personne. Je suis reparti, je suis allé au cimetière de l'Est passer la journée sur la tombe de ma mère. Je suis repassé à Montigny à 16h45 et je suis rentré à Vaux à 17h20."

Dans cette affaire, la seule chose qui ne varie pas dans le discours de Francis Heaulme est cette histoire de pierres. Il est d'ailleurs le premier à l'avoir évoquée, devant le gendarme Jean-François Abgrall en 1992. "Dans l'affaire Dils, il n'est jamais mentionné qu'on lui aurait lancé des pierres, c'est vous qui, tout d'un coup, vous lancez sur cette histoire", observe le président. Plusieurs témoins ont confirmé par la suite avoir vu les enfants jeter des cailloux sur les passants, les cyclistes ou les automobilistes. L'un d'entre eux a même raconté à la barre avoir donné une paire de claques à deux jeunes quelques mois plus tôt, sans pouvoir préciser s'il s'agissait des petits Beckrich et Beining. "Moi je n'ai mis qu'une petite claque en sermonnant fermement, mais quelqu'un avec le sang chaud, cela aurait pu dégénérer", a-t-il poursuivi, lourd de sous-entendus.

En renvoyant Francis Heaulme devant les assises en 2013, les magistrats avaient estimé que ce jet de pierres pouvait constituer un mobile suffisant pour cet homme, viscéralement attaché à son vélo et capable d'accès de violence inouïe pour des provocations futiles. Il a d'ailleurs plusieurs fois confié avoir eu l'intention de revenir "corriger" les enfants. Avant de le renvoyer dans le box, le président lui rappelle qu'il aurait dit à sa grand-mère : "Un jour, je les aurai". "Je ne me rappelle plus", marmonne une nouvelle fois Francis Heaulme. La cour a encore deux semaines pour l'aider à se souvenir. Le procès doit durer jusqu'au 18 mai.

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