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Contrôle au faciès : treize plaignants se sentent "considérés comme des citoyens de seconde zone"

Treize hommes noirs ou arabes, déboutés en première instance, ont réclamé mercredi devant la Cour d'appel de Paris une condamnation de l'Etat en s'estimant victimes de contrôles au faciès à répétition. Ils ont reçu le soutien du Défenseur des droits.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
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Des policiers contrôlent l'identité d'un groupe d'individus à la garde du Nord à Paris, le 30 novembre 2012. (FRED DUFOUR / AFP)

"On en a marre parce que les contrôles de routine, ça nous arrive tout le temps. Rien que ce mois-ci, j'ai été contrôlé deux fois", explique Régis. Il est l'un des treize plaignants qui souhaitent faire condamner l'Etat pour des contrôles au faciès, dont ils s'estiment les victimes. Mercredi 25 février, ils sont venus plaider leur cause devant la Cour d'appel de Paris, après avoir été déboutés en première instance, en octobre 2013. Depuis, ils ont reçu le soutien précieux du Défenseur des droits, Jacques Toubon, représenté à l'audience par son avocat, Me Nicolas Demard.

Pour les plaignants, il ne s'agit pas des 10 000 euros d'indemnités réclamés par leurs avocats, mais bien de mettre fin à une pratique discriminatoire qu'ils jugent humiliante en obtenant une condamnation de l'Etat pour faute lourde. "Je me contenterai d'une condamnation symbolique", assure Bocar, "mais je veux que les politiques s'emparent de ce sujet". Il rappelle avec amertume l'engagement de campagne numéro 30 de François Hollande : lutter contre le délit de faciès lors des contrôles de police.

"Fouilles, insultes, tutoiements et palpations"

Ils sont âgés de 18 à 35 ans. Ils sont étudiants ou salariés. Ils n'ont pas de casier judiciaire. "Leur seule caractéristique commune c'est leur origine ou leur couleur de peau", a assuré Me Slim Ben Achour, l'un des avocats des parties civiles. Au cours de l'audience, les contrôles policiers, parfois violents, sont décrits avec soins. "Fouilles, insultes, tutoiement, palpations", Me Félix de Belloy a détaillé les "humiliations" et la "peur profonde" ressentie par les victimes, évoquant "un préjudice énorme".

Ils ont l'impression d'être considérés comme des citoyens de seconde zone, réduits à leur couleur de peau, considérés comme des criminels

Me Félix de Belloy

au tribunal

Les avocats ont longuement insisté sur le contexte de la société française. "Notre espace culturel et politique est saturé de propos discriminatoires", a lancé Me Slim Ben Achour. Il a regretté les "discours haineux" de certains partis politiques et s'est désolé que certaines personnes "vendent des livres comme des petits pains (au chocolat je serais tenté de dire)", en une double référence au polémiste Eric Zemmour, déjà condamné pour discrimination raciale mais auteur à succès, et à Jean-François Copé. Il a conclu en invitant les juges à condamner l'Etat pour démontrer que "non, juridiquement, nous ne vivons pas dans un régime d'apartheid", en écho aux termes employés par le Premier ministre Manuel Valls.

"Le Défenseur des droits n'est pas un gauchiste révolutionnaire"

Dans leur combat, les treize hommes, tous noirs ou arabes, ont obtenu le renfort du Défenseur des droits, Jacques Toubon. Très décrié lors de sa récente nomination, celui-ci a trouvé là une occasion de redorer son blason auprès des militants et associations. "C'est un soutien important, il s'inscrit dans sa mission et montre qu'il s'agit d'un sujet important de notre société", a expliqué Me Slim Ben Achour. Son collègue, Me Félix de Belloy, s'est également réjouit de cet appui lors de l'audience, en soulignant avec malice que "le Défenseur des droits n'a pas à sa tête un gauchiste révolutionnaire". 

A l'audience, Me Nicolas Demard a regretté l'absence de "traçabilité" des contrôles d'identités, ces derniers ne faisant l'objet d'aucun "procès-verbal (ou récépissé)". Il a tenté de démontrer que ces contrôles manquaient d'encadrements, n'offrant pas les "garanties" suffisantes contre les risques de contrôles arbitraires. L'avocate de l'État, Me Claire Litaudon, a accusé le Défenseur des droits de se servir de ce procès comme d'une "tribune médiatique". Le ministère public a ajouté qu'il se trompait de lieu pour développer son argumentaire, avant de l'inviter à s'adresser aux députés.

L'aménagement de la charge de la preuve

A la barre, les débats se sont révélés techniques. La pomme de discorde a été l'aménagement de la charge de la preuve en cas de discrimination. Est-ce aux plaignants de démontrer le caractère discriminatoire du contrôle ou à l'Etat de prouver le contraire ? Les avocats des parties civiles, s'appuyant sur la loi du 27 mai 2008, estiment qu'il revient à l'État de faire la démonstration de l'absence de "traitement discriminatoire" et non aux citoyens. L'avocate de l'État et le ministère public font valoir de leur côté que cette loi ne s'applique que dans le cadre de discriminations entre employeurs et employés.

Par ailleurs pour Me Claire Litaudon, représentante de l'Etat, les règles du contrôle d'identité sont respectées pour l'ensemble des dossiers des plaignants. "Des contrôles abusifs, il y en a eu, il y en a. C'est déplorable. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Mais ce n'est pas le rôle de la cour de modifier le code de procédure pénale", a-t-elle fait valoir. Par conséquent, elle demande tout comme le ministère public la confirmation du jugement de première instance. Les magistrats rendront leur décision le 24 juin.

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