Anticor : pourquoi le non-renouvellement de son agrément fait polémique

L'agrément de l'association, qui lui permet d'intervenir dans des procédures judiciaires, n'a été pas été renouvelé par le gouvernement. L'ONG dénonce une décision "politique".
Article rédigé par franceinfo
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Des participants à l'université d'été de l'association anticorruption Anticor, le 28 septembre 2019, à Nantes (Loire-Atlantique). (JEREMIE LUSSEAU / HANS LUCAS / AFP)

L'association Anticor a perdu son agrément. Le gouvernement avait jusqu'au mardi 26 décembre à minuit pour se prononcer sur le renouvellement de ce sésame. L'exécutif ne l'a donc pas fait, ce qui équivaut à la perte de cet agrément judiciaire. Un sésame qui permet concrètement depuis 2015 à Anticor d'agir en justice dans les affaires de corruption et d'atteinte à la probité présumées, notamment en cas d'inaction du parquet. Sans agrément, l'ONG ne peut plus se porter partie civile.

Anticor, créée en 2002, est impliquée dans des dizaines d'affaires, dont certaines célèbres et médiatiques comme, dernièrement, la plainte contre le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti. L'opposition est aussitôt montée au créneau, principalement à gauche, pour dénoncer le non-renouvellement de son agrément. Voici pourquoi cette affaire fait polémique.  

L'association est en pointe dans de nombreuses affaires judiciaires

Le pedigree et les faits d'armes d'Anticor sont connus. L'association est réputée pour mettre son nez partout, dès qu'il y a des soupçons de corruption ou de conflits d'intérêts. Elle s'est ainsi impliquée dans des dossiers ultra-médiatiques et ultrasensibles, aux ramifications politico-judiciaires, comme l'attribution de la Coupe du monde de football au Qatar ou encore l'enquête sur Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée. Anticor est également intervenue dans le volet russe de l'affaire Benalla, la cession de la branche énergie d'Alstom à General Electric ou encore dans l'affaire Bygmalion. Elle avait également déposé plainte contre Eric Dupond-Moretti, finalement relaxé par la Cour de justice de la République (CJR) à la fin du mois de novembre dernier.

Anticor était aussi sur le banc des parties civiles au procès des emplois fictifs de la mairie de Paris, en septembre 2011. Ses avocats avaient plaidé plus de deux heures. Jacques Chirac, ancien maire de la capitale, a finalement été condamné à deux ans de prison avec sursis. Le nom d'Anticor est lié, au total, à près de 160 procédures. Avec la perte de cet agrément, ces procédures ne s'arrêtent pas mais l'association ne pourra plus se porter partie civile.

Le gouvernement n'a donné aucune explication

Le gouvernement ne s'est pour le moment pas justifié sur ce non-renouvellement de l'agrément de l'association. Rien ne l'y oblige dans la procédure : le gouvernement avait jusqu'à mardi minuit  pour se prononcer. Il ne l'a pas fait, ce qui vaut donc refus implicite.

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, s'était déporté de toute décision, en raison de l'implication d'Anticor dans la procédure devant la CJR. C'était donc à Elisabeth Borne de se prononcer, mais la Première ministre s'était à son tour déportée, le 24 décembre, car elle pouvait être concernée par deux dossiers portés devant la justice par l'association, sur la tour Triangle à Paris et les concessions d'autoroutes. La décision était donc assumée par le ministère des Affaires étrangères, qui n'a donc pas répondu à la demande de renouvellement d'Anticor.

Le non-renouvellement intervient après plus de deux ans de procédure

Le tout premier agrément judiciaire d'Anticor avait été délivré en 2015, pour trois ans. Il avait été renouvelé sans problème en 2018. Cela devient plus compliqué en 2021 : après plusieurs mois d'incertitude, le Premier ministre de l'époque, Jean Castex, renouvelle l'agrément, mais avec des réserves. Dans la foulée, en juin 2021, deux dissidents de l'association saisissent la justice administrative pour contester ce renouvellement, arguant qu'Anticor ne respecterait pas les conditions d’indépendance, de caractère désintéressé et d’information de ses membres. Deux ans plus tard, le 23 juin 2023, le tribunal administratif de Paris leur donne raison et annule l'arrêté de 2021, signé par Jean Castex. Anticor dépose alors un recours.

Le 16 novembre, la cour administrative d'appel (CAA) de Paris confirme l'annulation de l'agrément. Lors de l'audience, en octobre, le rapporteur public s'était pourtant prononcé pour l'annulation du jugement du tribunal administratif. Et la Première ministre elle-même avait estimé que le tribunal administratif de Paris avait commis "une erreur de droit ainsi qu'une erreur d'interprétation" en annulant l'agrément d'Anticor. Elle relevait que l'ONG avait bien mis en place des mesures concernant la transparence sur les dons et leur contrôle par un commissaire aux comptes.

Sans attendre l'examen de son recours, Anticor avait déposé dès le mois de juin une nouvelle demande d'agrément, après l'annulation du précédent. Et c'est à cette demande que le gouvernement devait répondre avant mardi à minuit.

L'association dénonce une "décision totalement politique"

Me Vincent Brengarth, l'avocat de l'association, a critiqué mercredi 27 décembre sur franceinfo "une décision totalement politique". "Je suis indigné face à cette décision qui porte un coup de canif à la lutte contre la corruption, poursuit-il. Nous ne connaissons pas les motifs officiels pour lesquels le gouvernement n'a pas entendu renouveler la demande d’agrément de l’association." Cela confirme à ses yeux "l'inanité de la procédure d'agrément, dans laquelle les gouvernants peuvent tour à tour être censeurs de l'action des associations et mis en cause". 

"Cette décision ne nous surprend pas", a réagi de son côté Élise Van Beneden, la présidente d'Anticor, sur franceinfo. Nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement."

L'association a annoncé dès mercredi matin sa volonté de contester la décision du gouvernement. Selon une source diplomatique contactée par France Inter, ce rejet d'agrément n'empêche pas Anticor de signaler des dossiers à la justice et de porter plainte. "Nous nous préparions à l’éventualité d’un rejet de la demande d’agrément", confirme Me Vincent Brengarth. Mais Me Brengarth fait part d'un doute sur la capacité de l'association à relancer une enquête quand la justice ne s'en saisit pas elle-même. 

L'opposition et une partie du milieu judiciaire s'indignent

Ce non-renouvellement a été aussitôt dénoncé dans le milieu politique, essentiellement à gauche. "Stupéfiant, révoltant, inquiétant", a réagi le député (LFI) de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, sur le réseau social X. "Le gouvernement ne lutte pas contre la corruption, il lutte contre Anticor", a embrayé la députée LFI Raquel Garrido.

François Molins, procureur général honoraire près la Cour de cassation, a estimé, sur X, qu'il serait "plus sain pour notre démocratie que ce ne soit pas le gouvernement qui statue sur les demandes d'agrément mais une autorité administrative indépendante comme la HATVP" (Haute autorité pour la transparence de la vie publique).

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