Lutte contre la corruption : quatre questions sur le non-renouvellement "implicite" de l'agrément d'Anticor par le gouvernement

Sans cet agrément, l'association Anticor ne peut plus se porter partie civile dans des dossiers de corruption. Une décision qualifiée de "cadeau de Noël aux corrupteurs" par l'avocat de l'ONG, qui va la contester devant la justice administrative.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le logo de l'association de lutte contre la corruption Anticor, qui n'a pas reçu de réponse à sa nouvelle demande d'agrément après l'annulation du précédent par la justice. (ROMAIN DOUCELIN / HANS LUCAS / AFP)

Anticor a attendu en vain que tombe la décision. L'association de lutte contre la corruption et l'atteinte à la probité a annoncé, mercredi 27 décembre, faire "face à un refus implicite" du gouvernement de renouveler son agrément, attribué pour trois ans, qui lui permet de saisir la justice dans des affaires qui relèvent de son expertise. Le délai pour le renouveler est arrivé à expiration à minuit, dans la nuit de mardi à mercredi, et l'exécutif n'a communiqué aucune décision.

"Cette décision ne nous surprend pas malheureusement", a réagi la présidente de l'ONG, Elise Van Beneden, auprès de franceinfo, "car nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement". Celui-ci n'a pas justifié son choix. Retour en trois questions sur cette décision, qui illustre les rapports compliqués entre la justice et le politique. 

1 A quoi sert cet agrément ?

L'agrément est essentiel pour permettre à Anticor d'intervenir dans des dossiers de corruption présumée. Sans ce sésame, l'association peut toujours signaler des faits à la justice, mais ne peut plus se porter partie civile. Une plainte avec constitution de partie civile débouche obligatoirement sur la désignation d'un juge d'instruction. "Cette démarche est fondamentale, puisqu'elle permet de contourner la décision d'un procureur, dont la carrière dépend du gouvernement, de classer sans suite une affaire politico-financière sensible", a expliqué la présidente d'Anticor à franceinfo.

En se constituant partie civile, Anticor allait chercher un dossier politico-financier sur le bureau d'un procureur pour le déposer sur le bureau d’un juge d'instruction, qui est, lui, constitutionnellement indépendant.

Elise Van Beneden, présidente d'Anticor

à franceinfo

Ce pouvoir conféré par l'agrément permettait à l'association " de faire barrage à l'impunité et de promouvoir, dans la mesure de [ses] forces, l'égalité devant la loi, en disant haut et fort que les élus ne sont pas des super-citoyens et qu’ils doivent rendre des comptes à la justice et, à travers elle, aux citoyens", poursuit Elise Van Beneden. Ainsi, le non-renouvellement implicite constaté mercredi est "un cadeau de Noël pour les corrupteurs", dénonce de son côté l'avocat d'Anticor, Vincent Brengarth, sur X (ex-Twitter).

Créée en 2002, Anticor est impliquée dans plus de 160 procédures, dont l'enquête sur l'attribution du Mondial de football au Qatar ou encore les poursuites pour "prise illégale d'intérêts" visant le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler. Elle est ainsi, selon les termes du Monde, "l'un des plus actifs poils à gratter de la République". Des plaintes d'Anticor ont aussi entraîné des poursuites concernant la cession de la branche énergie d'Alstom à General Electric, ou encore une enquête préliminaire au sujet de contrats en Russie d'Alexandre Benalla, ancien chargé de mission auprès du président de la République, Emmanuel Macron.

2 Qui était chargé de renouveler ce statut ?

La question s'était déjà posée en avril 2021. Le renouvellement de l'agrément de l'Anticor pour trois ans ne s'était pas déroulé sans difficulté. Et pour cause : l'association venait de déposer une plainte pour "prise illégale d'intérêts" à l'encontre de la personne chargée de le lui délivrer, à savoir le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. C'est donc le Premier ministre d'alors, Jean Castex, qui avait pris l'arrêté renouvelant l'agrément d'Anticor.

Cette fois encore, la procédure a fait l'objet d'un déport du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, en faveur de la Première ministre, Elisabeth Borne. Mais le 23 décembre, cette dernière s'est, elle aussi, déportée in extremis, confiant par décret cette tâche à la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna.

3 Pourquoi l'agrément est-il aujourd'hui en suspens ?

En 2021, quand il avait renouvelé l'agrément d'Anticor pour ce qui devait être une période de trois ans, Jean Castex avait exprimé des réserves. L'analyse de la demande de l'association avait souligné  "un manque de transparence interne sur les dons collectés, l'association n'ayant pu justifier le respect de ses propres procédures pour assurer l'information effective des membres de son Conseil d'administration, au moins jusqu'en mai 2020". Le communiqué du Premier ministre évoquait aussi "une contestation des conditions de renouvellement du Conseil d'administration en juin 2020, dans le cadre d'une action contentieuse portée par une partie des membres de l'association".

L'arrêté signé par Jean Castex mentionnait que "l'absence de transparence" sur un don représentant "près de 17% des ressources" d'Anticor en 2020 pouvait "faire naître un doute sur [son] caractère désintéressé et indépendant" et que l'association n'avait "pas, par le passé, garanti l'information de ses membres" sur ses finances. Mais il accordait l'agrément, observant qu'Anticor avait "manifesté l'intention" de "se doter d'un commissaire aux comptes" et prévu "une refonte de ses statuts".

Ces points avaient déjà été soulevés au sein d'Anticor, dans un climat de dissension interne raconté par Le Monde . Après la décision de Jean Castex, deux membres d'Anticor avaient saisi le tribunal administratif pour contester l'arrêté, estimant que toutes les conditions d'agrément n'étaient pas réunies et que la procédure de renouvellement était irrégulière. La justice a finalement annulé l'agrément, en juin, pointant " une erreur de droit" : l'administration ne peut pas "accorder l'agrément à une association qui n'en remplit pas les conditions" en se fondant sur le fait qu'elle "se serait engagée à prendre des mesures correctives", écrivait le tribunal dans sa décision.

L'association, qui assurait remplir "l'ensemble des conditions" d'obtention d'un agrément, avait aussitôt déposé une nouvelle demande. Le gouvernement devait y répondre dans un délai qui a expiré à minuit, dans la nuit de mardi à mercredi. La direction d'Anticor assure ne pas savoir pourquoi elle n'a pas reçu de réponse positive. Au cours des six mois d'instruction par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice", aucun reproche n'a été formulé contre l'association", a-t-elle assuré sur X, mercredi.

4 De quels recours dispose l'association ?

Sans réponse sur son statut, Anticor a annoncé "contester cette décision devant la justice administrative". Elise Van Beneden s'est d'ailleurs dit "d'une certaine manière soulagée de pouvoir enfin démontrer que l'association remplit bien tous les critères pour être agréée, à l'abri des considérations politiques du gouvernement". En août, l'association avait déjà déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris pour contester l'annulation de l'agrément accordé en 2021.

En attendant, "aucun adhérent d'Anticor n'a besoin d'une autorisation du gouvernement pour exercer le droit constitutionnel qu'est le droit de demander des comptes à ceux qui nous gouvernent", commentait-elle déjà sur X mardi soir.

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